Montréal, 15 février 2005 • No 151

 

OPINION

 

Mickaël Mithra est Ingénieur et cadre bancaire à Paris.

 
 

L'ÉGLISE ET LE PRÉSERVATIF

 

par Mickaël Mithra

 

          J’ai beau avoir l’habitude, je suis toujours surpris. Quand la presse évoque un problème, réel ou imaginaire, la vraie solution n’est jamais évoquée. C’est bien la marque d’une aliénation générale et uniforme, qu’on retrouve partout, dans presque tous les groupes, politiques, religieux ou autres, y compris quand ils se présentent comme de farouches antagonistes.

          À cet égard, l’affaire de l’Église catholique et du préservatif est très symptomatique.

 

Incompréhensible position

          Il s’agit d’un feuilleton bien connu, au cours duquel des représentants, membres ou porte-parole locaux de cette institution bimillénaire prennent position, de manière plus ou moins cohérente et concertée, avant de se faire rappeler à l’ordre par le Vatican. Dernièrement, nous avons assisté sur ce sujet à une « volte-face de l'Église catholique espagnole », selon l’expression de l’AFP, « qui a douché les espoirs d'un changement de doctrine sur l'interdiction de l'usage du préservatif ».

          Il faut être sacrément aliéné pour ne pas percevoir à l’instant l’absurdité de ce débat. Faut-il le rappeler, de nos jours, l’Église n’a plus aucun pouvoir de coercition: par conséquent, son « interdiction » est aussi futile que celle de mon boulanger concernant mon intention de me fournir ailleurs que chez lui. De telles « interdictions » devraient prêter à rire où à hausser les épaules chez n’importe quel individu normalement constitué, qualité de plus en plus rare apparemment.

          La position des catholiques eux-mêmes est incompréhensible: car enfin la doctrine de l’Église ne peut pas être dictée par l’opinion publique. Si elle l’était, on voit mal quel genre d’utilité elle pourrait encore avoir, de quel genre de prestige elle pourrait encore jouir. Elle se réduirait simplement à une espèce d’observatoire des moeurs qui approuve par définition tout ce que font les gens, un organe dénué de toute spécificité. Or les chrétiens qui sont intéressés à la conservation de l’Église, en tant que fidèles, attendent, j’imagine, qu’elle leur montre la voie, qu’elle les guide, comme un troupeau qui suit son berger.

          Être chrétien, comme d’ailleurs être musulman ou communiste, c’est accepter une doctrine et s’en remettre à l’autorité d’un texte, d’un prélat ou d’une tradition relativement figée. Ce n’est pas chercher à adapter les textes, les tradition et les discours du prélat à sa situation personnelle, car sinon le mot « chrétien » perd toute espèce de signification. Que penseriez-vous d’un homme qui voudrait qu’on l’appelle « chrétien » tout en exigeant que le Pape fasse profession publique d’athéisme? Que penseriez-vous d’un homme qui voudrait qu’on l’appelle « communiste » tout en exigeant la réécriture du Capital selon les idées de Rothbard? Ou d’un prétendu « musulman » qui voudrait remplacer dans le Coran le nom de Muhammad par celui de Raël? Voilà des fous ou des manipulateurs, diriez-vous.

          Car le phénomène auquel nous assistons est bien le suivant: des chrétiens veulent rester chrétiens, c’est-à-dire s’en remettre (au moins en partie) à l’autorité morale du Pape, mais ils veulent en même temps lui dicter ce qu’il doit dire; ils veulent s’en remettre à une doctrine, à condition qu’ils décident eux-mêmes de son contenu, c’est-à-dire qu’elle cesse d’être ce qu’elle est: ils sont attachés à quelque chose en faisant en sorte que ce soit quelque chose d’autre. Et ceci par choix personnel, car personne ne les y oblige. Si ce n’est pas là une aliénation furieuse, je demande ce que c’est.

          Bien sûr, ce qui se cache derrière cette folie est une folie encore plus grande: l’idée que ce qui est (censé être) immoral (l’utilisation du préservatif) va cesser de l’être parce que quelqu’un (le Pape) aura changé d’avis sur la question. Et qu’est-ce qui devrait motiver ce changement d’avis? L’opinion publique. Pour les chrétiens « progressistes », comme d’ailleurs les autres adeptes de la pensée magique, l’opinion publique doit décider de ce qui est moral, autrement dit la morale est arbitraire, fluctuante, imprévisible. N’importe quoi peut être moral ou immoral. Celui qui n’a pas entendu le dernier discours du Pape pourra donc se trouver en état de péché mortel parce qu’il en est resté au discours précédent, ou tout simplement parce qu’il n’a pas la télévision. Et si on considère, de surcroît, que c’est Dieu qui détermine en réalité ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, cela revient à exiger que Dieu obéisse à l’opinion publique, comme une girouette. On se demande dans ces conditions à quoi il peut bien servir et pourquoi il faut le vénérer.

          Voilà ce que les chrétiens « progressistes » cherchent à réaliser: transformer Dieu en girouette et réduire le Pape à l’état de pantin creux abritant un magnétophone sur lequel tout le monde cherche à enregistrer sa voix. C’est cette girouette qu’ils veulent vénérer et ce pantin qu’ils veulent écouter. Rien d’autre. En réalité, c’est bien leur propre vacuité et leurs propres jacassements qu’ils veulent contempler, sous le nom de « Dieu » et d’« Église catholique ».
 

« Voilà ce que les chrétiens "progressistes" cherchent à réaliser: transformer Dieu en girouette et réduire le Pape à l’état de pantin creux abritant un magnétophone sur lequel tout le monde cherche à enregistrer sa voix. C’est cette girouette qu’ils veulent vénérer et ce pantin qu’ils veulent écouter. »


          Devant cette farce, quelle est l’attitude des médias?: Ce qui est « véritablement immoral », c'est le rejet par l'Église « d'une méthode qui sauve des vies humaines », commentait El Periodico. Et alors? À ma connaissance, des millions de gens utilisent des préservatifs et ils ne croupissent pas pour autant dans les geôles du Vatican.

          …et des « associations »?: La présidente de la Fédération des gays et lesbiennes d'Espagne, Beatriz Gimeno, a déploré que l'Église ait renié « son accès de lucidité ». On se demande bien en quoi l’avis de l’Église ou de mon boulanger la concerne.

          …celle des hommes politiques?: L'Église doit « réfléchir » aux conséquences d'une position « inhumaine » car « même les évêques doivent connaître la faiblesse de la nature humaine et savoir qu'elle n'atteint pas la perfection divine », a commenté le porte-parole du Parti socialiste catalan (PSC) Miquel Iceta.

          Il n’y a rien « d’inhumain » a exposer son point de vue, pourvu qu’on ne cherche pas à l’imposer dans le sang comme le font tous les amis socialistes de Miquel Iceta, lui compris, sur toute la surface de la Terre. La nature humaine n’est ni « faible », ni « forte », ni quoi que ce soit d’autre. « Faible », « forte », par rapport à quoi? Dire autre chose, c’est cautionner le mysticisme comme le fait d’ailleurs explicitement Miquel Iceta en parlant de « perfection divine », notion intrinsèquement absurde et incompréhensible.

          Autrement dit, tous ces parlotteux entrent dans la foire d’empoigne idéologique pour l’embrouiller encore plus, ils cautionnent le mysticisme qui consiste à croire que le Pape a un quelconque pouvoir, ils nient – ce qui revient au même – le libre arbitre de l’homme, et ils cherchent eux aussi à enregistrer leur voix sur le magnétophone, admettant ainsi qu’ils considèrent comme important ce que dira le pantin, que pourtant ils prétendent rejeter au nom de leurs prétendus « athéisme », « laïcité » et tout ce qu’on voudra. Car enfin, la première chose qu'ils devraient dire, c’est que personne n'est obligé de suivre les avis de l’Église, et qu’il n’y a donc pas à chercher à les influencer. Car, bien évidemment, les chrétiens ont le droit d’utiliser des préservatifs. Si certains, après cela, refusent de les appeler « chrétiens », c’est également leur droit. Où est le problème? Où est l’agression? Où est le préjudice? Nulle part. Mais cela, personne ne le dit. Personne, car tous ceux qui ont la parole raisonnent exactement comme les chrétiens « progressistes »: ils croient que la morale est arbitraire, que le Pape a du « pouvoir », que l’homme est « faible », etc. La pensée magique habituelle.

          Personne ne dit non plus, alors que c’est l’évidence, que les prêtres ont le droit de se marier, ce qui ne signifie pas que des gens soient obligés de leur mettre une église à disposition ou d’aller à leur messe. Personne ne dit, alors que cela crève les yeux, que les femmes ont le droit d’être prêtres (quoique personne n’ait l’obligation de les considérer comme telles), que l’Église n’interdit pas l’avortement (puisqu’elle n’a aucun pouvoir d’interdire quoique ce soit), que les divorcés ont le droit de communier (tout comme le prêtre a le droit de leur refuser la communion), que les suicidés ont le droit de se faire enterrer à l’Église, etc.

          Seuls des fous peuvent croire qu’il faut « militer », « combattre » ou « se mobiliser »(1) pour obtenir de pouvoir exercer des droits que personne ne leur conteste. Mais les fous sont nombreux.

 

1. Se mobilier pour les préserver est au contraire très utile. Mais ce n’est pas la question ici.

 

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