Montréal, 15 mars 2005 • No 152

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

RÉFLEXIONS SUR LA JUSTICE

 

par André Dorais

 

          Qu'est-ce que la justice? Y en a-t-il une seule? S'il y en a plus qu'une, sont-elles compatibles? Si les diverses conceptions de la justice sont conciliables, alors il n'y en a qu'une, du moins il n'y en a qu'une qui soit universelle. Sans la justice, l'homme est assujetti au plus fort, voire menacé d'extinction. Elle est nécessaire à son épanouissement.

 

L'universalité de la justice

          Les hommes se battent pour la justice, mais si ce combat est physique plutôt qu'intellectuel comment être sûr qu'elle règne? Une justice imposée s'apparente davantage à l'oppression qu'à la raison. La coercition peut être admise dans le cadre d'une sanction pénale, c'est-à-dire comme réponse à l'injustice, mais elle ne saurait constituer un objectif. Dire que la coercition ou l'agression est un but, c'est prétendre que l'injustice est l'état naturel et permanent de l'homme. Or cela n'a aucun fondement scientifique.

          La justice découle autant de la raison que de la morale, car elle est à la fois intérêt et devoir. Elle est universelle dans la mesure où elle s'en tient à la non-agression, c'est-à-dire qu'elle répond à l'intérêt de chacun. Par là, elle reconnaît d'emblée une égalité entre les hommes, si ce n'est qu'en tant qu'ils sont d'une même espèce. Elle est à la base de toute morale, mais n'en constitue pas la totalité. Toute morale commence par la justice, mais aucune, sauf l'éthique libérale, ne s'en tient à cette prescription.

          Lorsqu'on parle de morale ou d'éthique, on renvoie à des normes de conduite, des vertus. Imposer sa conception des vertus au détriment de la justice, c'est trahir à la fois celles-ci et celle-là. Compassion, charité, courage, générosité, et cetera, ne s'imposent qu'à soi-même, jamais à autrui. La justice aussi ne s'impose qu'à soi-même, mais son caractère intellectuel lui confère une universalité qu'on ne peut attribuer aux autres vertus.

          L'homme est doué de raison et agit d'après elle. Il reconnaît en autrui la même faculté, par conséquent une liberté d'agir qu'il respecte tant qu'il perçoit une réciprocité. Ce n'est pas une garantie, car il est d'abord un être de désir. Néanmoins, c'est dans son intérêt.
 

Politique et justice

          La justice est d'essence morale. La politiser n'amène rien de plus. Au contraire, c'est en assurer la perversion. En effet, il est impossible à l'État de rendre justice selon le principe de non-agression, car il doit nécessairement nous soutirer des impôts pour la rendre. Les tenants d'un État minimal prétendent qu'il s'agit d'une « coercition raisonnable », mais cette justification ouvre la porte aux étatistes de tout acabit qui considèrent qu'il est aussi légitime de l'utiliser à d'autres fins.
 

« Aujourd'hui, les tenants de l'étatisme (démocrates, utilitaristes, socialistes, environnementalistes, etc.) ne se préoccupent plus tant de savoir s'ils corrigent une injustice que d'améliorer des situations particulières au moyen de la coercition. La justice est déviée, le vol et la fraude banalisés. »


          L'utilitarisme, soit la prétention d'exercer pareille coercition ou de troquer un « petit mal » pour un « grand bien », est aujourd'hui considéré « morale d'État ». Pour le libéral cependant, troquer un « petit mal » pour un « grand bien » n'est acceptable qu'à la condition qu'il s'agisse d'une décision qui ne concerne que l'homme qui la prend, ou ses représentants directs (parent, tuteur, etc.). Par contre, ce troc est inacceptable lorsque établi par l'entremise de la taxation et de l'imposition, car alors il s'agit de choix imposés à une partie de la population, voire à la majorité.

          D'une « agression raisonnable », il ne peut advenir qu'une « justice approximative ». Aujourd'hui, les tenants de l'étatisme (démocrates, utilitaristes, socialistes, environnementalistes, etc.) ne se préoccupent plus tant de savoir s'ils corrigent une injustice que d'améliorer des situations particulières au moyen de la coercition. La justice est déviée, le vol et la fraude banalisés. On s'est endormi sur le lit de l'idéologie. Il n'existe pas de « morale d'État », car l'État n'est que coercition.

          L'État n'est pas conçu pour servir, même pas la justice. Les services rendus par les fonctionnaires de l'État, à l'instar des salaires qu'ils reçoivent, sont établis par la taxation et l'imposition plutôt que par des prix déterminés librement. Par conséquent, une allocation adéquate des ressources est impossible. Le gouvernement est appelé à taxer davantage ou à réduire ses services. Pendant ce temps, l'innovation est réduite. Il s'agit d'un cercle vicieux.

          Seule une plus grande liberté peut venir à bout de ces problèmes. Trop de gens pensent que l'échange volontaire ne saurait satisfaire les besoins de chacun, mais c'est cet échange qui permet à l'homme de se nourrir, se vêtir, se loger, s'enrichir et de faire vivre le gouvernement, ceux qui y travaillent et en bénéficient.

          Pour le libéral, la justice est possible sans le politique. La justice se fonde au carrefour de la raison et de la morale. Elle est dans l'intérêt de l'homme et en ce sens nécessaire. La justice s'en tient à la non-agression, tandis que la morale commence par elle.
 

 

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