Montréal, 15 avril 2005 • No 153

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

DES MOTS QUI REBUTENT

 

par André Dorais

 

          Il y a des mots et des idées que certaines gens ne veulent pas entendre, car ils les croient empreints d’immoralité. Prononcez le mot « profit » et certaines personnes s’étouffent! D’autres, à l’esprit plus ouvert, n’en ressentent pas moins un malaise à parler de profit, de compétition ou encore d’individualisme, car elles procèdent à la même association, si ce n’est qu’à un moindre degré.

 

Le profit

          « Au gouvernement on ne travaille pas pour le profit ». Voilà une phrase qu’on entend presque à tous les jours. Elle n’est pas fausse, mais elle sous-entend qu’il vaille mieux travailler pour le gouvernement que pour le marché, car « profit » ne rime pas avec « entraide ». C’est oublier que sans le profit, le politicien, le fonctionnaire et le bénéficiaire n’existeraient pas. Du moins, ils devraient trouver un autre moyen de se faire vivre, car ce n’est qu’en imposant le profit, le revenu et le capital qu’ils tirent leurs propres revenus.

          Non seulement les marchands et les entrepreneurs aident les gens, mais ils doivent constamment améliorer cette aide sous peine de se faire remplacer par d’autres qui n’y manqueront pas. L'aide prend la forme de produits et de services de plus grande qualité ou à meilleur prix, ou encore les deux.

          L’amélioration des produits et des services n’est possible qu’à la condition que l'homme d'affaires réinvestisse une partie, voire la totalité, des profits tirés des activités de son entreprise. Une entreprise qui ne ferait que donner ses produits finirait par disparaître. Par conséquent, le profit est une condition sine qua non à la hausse du niveau de vie.

          Le profit n’est-il pas le résultat de l’exploitation d’autrui? Plusieurs le pensent, d’où le fait qu’ils croient légitime qu'on l’impose. Pourtant, lorsqu’on leur demande si tous les marchands sont des exploiteurs, ils répondent non et précisent leur pensée en disant qu’il y a exploitation lorsque le profit est excessif. Si on est libre d’acheter et de vendre des produits et services, on ne peut pas parler d’exploitation. Et si un marchand s'évertue à trop chercher une marge élevée de profit, d’autres entrepreneurs saisiront l’occasion d’offrir les mêmes produits ou services à meilleur coût.

          Beaucoup de gens ne peuvent concevoir que de ce qu’ils considèrent vil, l’appât du gain ou la quête de profit, puisse naître quelque chose de bon: l’innovation, la baisse des prix ou la hausse du niveau de vie. Ils sous-entendent que tout vendeur est un profiteur. Or, acheteur et vendeur tirent un avantage de chaque transaction, soit en monnaie, soit en bien ou service.

          Le profit n’est possible qu’à la condition qu'il y ait l'offre d'un produit ou d'un service désirée par les consommateurs. Essayez de vendre vos guenilles pour un million de dollars, juste pour voir combien de gens vous pourrez exploiter! L’appât du gain est inoffensif tant qu’il n’est pas appuyé par la force de l’État; il est même souhaitable tant qu’il est associé à l’idée de rendre service à autrui.

          Ainsi, la quête de profit non seulement n’est pas mauvaise en soi, mais elle sert d’incitation à l'amélioration de sa condition de vie et de celle d’autrui. Dans un contexte où la propriété est respectée, on ne peut donc dissocier la quête de profit du désir de servir.
 

La concurrence

          La concurrence (ou la compétition) dont il est question dans une économie de marché n’a rien à voir avec celle du règne animal où tuer est une question de survie. L’homme reconnaît d’emblée que s’il tue autrui, le vole ou le fraude, il devra en payer le prix. Il ne s’agit pas non plus d’une compétition ludique ou sportive, car son objectif est de mieux servir les gens.

          Cette concurrence est saine à plus d’un point de vue: 1) Elle se pratique dans un esprit de coopération et non de confrontation comme on le laisse trop souvent entendre. Cela ne signifie pas que la confrontation soit inexistante, mais plutôt qu’elle ne constitue pas le moteur de l’échange; 2) Elle encourage chacun à se dépasser; 3) Elle bénéficie à tous à moyen et à long terme.
 

« Malheureusement, les étatistes donnent mauvaise presse à la concurrence pour s’arroger plus facilement des monopoles et des quasi-monopoles dans différents secteurs d’activités: la santé, l’éducation, les pensions, l’énergie, etc. »


          Malheureusement, les étatistes donnent mauvaise presse à la concurrence pour s’arroger plus facilement des monopoles et des quasi-monopoles dans différents secteurs d’activités: la santé, l’éducation, les pensions, l’énergie, etc. Cette façon coercitive de procéder encourage les acteurs du secteur privé à vouloir la même chose. Les entreprises demandent des subventions et une protection contre la concurrence. En cédant à ces revendications, le gouvernement appauvrit les consommateurs, encourage le nationalisme et attise la confrontation qu’il a lui-même initiée.
 

L’individualisme

          Il n’y a pas de mal à promouvoir sa différence, en autant qu’on ne viole pas la propriété d’autrui. Or se servir du pouvoir d’imposition et de taxation constituent une telle violation. Ces modes de revenus n’ont pas le consentement de tous, ce qui est pourtant essentiel pour maintenir, au-delà des différences, une égalité entre les hommes.

          On parle ici de l’égalité qui donne une dignité à l’être humain, soit celle qui rejette toute forme d’agression envers autrui, y compris l’imposition et la taxation. Il s’agit de traiter l’homme comme une « fin en soi », dirait Kant. Lorsque cette égalité est établie, la promotion des différences est inoffensive. Dans le cas contraire, les différences s’établissent selon des rapports de force destructeurs.

          L’individualisme conçoit l’homme au-delà de ses différences. Il s’agit d’une philosophie qui donne de l’importance aux individus parce qu’ils font partie d’une même espèce. Tous les regroupements auxquels l’homme appartient par choix ou caractérisation – genre, ethnicité, traits culturels et sociaux, pratiques religieuses et sexuelles, etc. – lui sont subordonnés.

          Le collectivisme prétend en vain à l’universalité. Chaque perspective collectiviste voudrait que la langue qu'elle privilégie, ses pratiques, ses politiques et ses croyances soient unanimement partagées. Mais ramener la réalité humaine à ces traits communs constitue une des principales erreurs des collectivistes, pour qui l’individu n'a de l’importance que s'il appartient à certains groupes. Cette philosophie est non seulement erronée, elle est dangereuse pour la survie de l’espèce. On n’a qu’à revoir l’histoire du communisme et du national-socialisme pour s’en convaincre. Seul l’individualisme est universel, car il va au-delà des croyances, des traits sociaux et culturels de l’homme. Si le mot rebute toujours, on n’a qu’à le remplacer par le mot « libéralisme », qui a la même signification.

          Il ne s’agit pas de nier ces traits et caractéristiques, mais de les reconnaître comme ce qui différencie un homme d’un autre. Cette faculté, de reconnaître, regrouper et distinguer, est une caractéristique universelle qui permet d’affirmer qu’il existe une égalité entre les hommes. Elle reconnaît l’intérêt à coopérer avec autrui, peu importe ses différences. Il s’agit donc d’une philosophie pacifique qui a pour principe la non-agression.

          L’individualisme est également à différencier de l’égoïsme. Donner de l’importance à l’individu n’enlève rien à la collectivité, mais signifie notamment que les choix d’un homme, quand bien même il serait seul à les désirer, doivent être respectés tant et aussi longtemps que celui-ci n’agresse personne pour les réaliser.

          L’individualisme ne corrige pas nécessairement l’égoïsme, mais ne l’encourage pas non plus. Agir égoïstement n’est pas une raison suffisante pour imposer un homme. L’égoïsme et les préjugés sont communs, ils peuvent être déplaisants, mais n’agressent personne, si ce n’est que psychologiquement. La véritable agression est commise lorsqu'on impose les gens sous prétexte qu'on veut rendre le monde « meilleur ». Or, ne pas démontrer de qualités morales n’est pas synonyme d’injustice et imposer les revenus n’améliore pas le caractère.

          L’individualisme est donc tolérant et promeut la différence dans le respect d’autrui. On ne peut en dire autant du collectivisme. Celui-ci cherche à ramener les choix de chacun aux valeurs prédominantes de la société, de la communauté ou de l’association. Pour ce faire, la démagogie et la manipulation, d’une part, l’imposition et la coercition, d’autre part, lui sont nécessaires.

          En peignant en noir un certain vocabulaire, tout ce qu’on fait est d’exprimer ses sentiments. Pour comprendre l’action humaine, il faut aller au-delà des sentiments, sans les réprimer. Décrire l’action humaine demande autant de rigueur que de décrire l’objet inanimé, voire davantage, sachant que les sentiments surgissent plus facilement dans l’étude de l’homme que dans celle de la nature en général. Des valeurs et des croyances sont ébranlées, mais de ce bouillonnement s’ensuit la création et l’innovation qui, à leur tour, adoucissent la vie.
 

 

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