Montréal, 15 avril 2005 • No 153

 

OPINION

 

Pascal Salin est professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine et co-fondateur de l'Institut Turgot. Il est l'auteur de Libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2000).

 
 

AUGMENTATION DES PROFITS:
IL N'Y A RIEN À PARTAGER! *

 

par Pascal Salin

 

          La nouvelle d'une augmentation des profits des entreprises françaises du CAC 40 a suffi pour que les salariés, ou plutôt les syndicats et leurs habituelles caisses de résonance politiques, s'indignent et réclament un plus juste « partage des fruits de la croissance ». Davantage sensible aux vociférations de la rue qu'à une analyse sereine des problèmes, le gouvernement s'est empressé de dresser une oreille attentive à ces clameurs.

 

          Pourtant, l'idée selon laquelle il existerait un « partage des fruits de la croissance » est tout simplement dénuée de sens. Comment fonctionne en effet – ou devrait fonctionner – une économie libre? Ses fondements sont d'ordre microéconomique et contractuel. Les variables macroéconomiques – revenu national, masse des salaires ou des profits – sont le résultat de millions de décisions individuelles et de contrats et ne constituent que des constructions statistiques a posteriori. Mais, si l'on souhaite bien comprendre la formation des revenus, il est impératif de revenir au niveau des décisions concrètes des individus.

          Ainsi, les propriétaires d'entreprises promettent par contrat un salaire à leurs employés, de même qu'ils promettent un intérêt à ceux qui leur prêtent de l'argent. Les salaires et les intérêts sont des rémunérations certaines puisque leur montant périodique est déterminé contractuellement entre les parties, et leur existence résulte donc des engagements pris par les entrepreneurs. Quant à ces derniers, ils reçoivent un revenu qu'on appelle le profit et qui est fondamentalement incertain: sa nature est en effet résiduelle, c'est-à-dire que le profit est constitué par ce qui reste disponible dans l'entreprise une fois tous les engagements contractuels honorés (vis-à-vis des salariés, des prêteurs, mais aussi des fournisseurs et des clients).

          La formation des revenus résulte donc d'un nombre immense de décisions individuelles qui rétroagissent les unes sur les autres. Ainsi, s'il existe un progrès technique important dans certaines activités, ceux qui les développent seront incités – parce qu'ils en ont la possibilité – à accroître les salaires offerts pour attirer les salariés dont ils ont besoin. Sur un marché libre où la concurrence existe, cela entraîne l'augmentation de tous les salaires, chaque producteur devant répondre aux signaux du marché et faire le nécessaire pour conserver ou attirer la main-d'oeuvre dont il a besoin. Il faut d'ailleurs rappeler que la seule cause durable d'augmentation des salaires ne peut provenir que des innovations, ce qui inclut d'ailleurs aussi bien les innovations institutionnelles que les innovations d'ordre purement technologique. Tout le reste, et en particulier les prétendus efforts en vue d'effectuer une répartition «juste» des revenus, n'est qu'illusion et démagogie.

          Dans une économie en changement, comme l'est l'économie française, l'incertitude est nécessairement présente. Les entrepreneurs existent heureusement, et ils sont les seuls à remplir une fonction sociale indispensable: prendre le risque en charge. Ils sont rémunérés pour cela par le profit. Celui-ci dépend, d'une part, de la qualité de leur gestion – et c'est précisément parce que leur rémunération est risquée qu'ils sont incités à constamment améliorer leur gestion – et, d'autre part, de l'évolution de l'environnement qu'ils ne peuvent évidemment pas maîtriser.
 

« Dans une économie en changement, comme l'est l'économie française, l'incertitude est nécessairement présente. Les entrepreneurs existent heureusement, et ils sont les seuls à remplir une fonction sociale indispensable: prendre le risque en charge. Ils sont rémunérés pour cela par le profit. »


          Dire que le profit est risqué, c'est dire qu'il est variable: il peut être très élevé pour certains producteurs et à certaines périodes, faible ou même négatif dans d'autres circonstances, avec même le risque d'être conduit à la faillite. Il est alors absurde de prétendre que les profits sont excessifs et qu'il convient d'en redistribuer une partie aux salariés. Ces derniers ont reçu ce qui avait été décidé contractuellement et ils n'ont donc pas été volés ou exploités. Et quel pourrait être le rôle des profits s'ils devaient être redistribués lorsqu'ils sont relativement importants, mais pris en charge par les seuls entrepreneurs lorsqu'ils sont négatifs? À la limite, c'est évidemment la survie même des entreprises – donc des emplois et des salaires – qui est en jeu.

          Dans le cas de la France actuelle, le taux de rendement des valeurs de l'indice CAC 40 devrait atteindre 2,82% pour les résultats de l'année passée, ce que l'on peut difficilement considérer comme un taux de rendement considérable (par exemple en comparaison des obligations et autres titres à revenu fixes) et la simple augmentation de ce taux par rapport aux années précédentes ne suffit évidemment pas à le considérer comme « excessif ». N'aurait-il pas fallu alors considérer, par exemple, que le taux de 1,10% en 1999 était « insuffisant »? Par ailleurs, le taux de rendement des valeurs de l'indice du CAC 40 n'est évidemment pas représentatif du taux de profit de l'ensemble des entreprises françaises.

          Certes, on trouvera toujours des statisticiens pour affirmer, chiffres à l'appui, que le partage du revenu national au cours de telle ou telle période a évolué aux dépens ou au profit des salaires.

          Mais leurs statistiques n'ont strictement aucun intérêt dans la mesure où il n'existe pas de revenu national à partager. Si nous étions dans une économie totalement centralisée et planifiée, l'autorité centrale répartirait des ressources qu'elle se serait appropriées et elle pourrait être considérée comme le propriétaire du « revenu national ». Dans une économie libre, ces procédures sont dénuées de sens et elles ne devraient pas pouvoir fonder une quelconque politique économique.

          Le pouvoir d'achat des salariés français ne pourra durablement s'améliorer, nous l'avons dit, que dans la mesure où le rythme des innovations sera élevé. Il faut pour cela restaurer les incitations à entreprendre, à faire des profits, à travailler et à épargner qui sont actuellement détruites par les excès de la fiscalité et de la réglementation. Ce n'est pas en exhortant les entreprises à augmenter les salaires par prélèvement sur les profits ou en augmentant les rémunérations des fonctionnaires, en prélevant évidemment plus d'impôts sur les Français, que l'on pourra répondre aux espoirs des salariés. Pour créer une véritable prospérité en France, il n'y a absolument pas d'autre solution que de s'attaquer enfin avec vigueur et rapidité aux terrifiants obstacles réglementaires et fiscaux qui détruisent la liberté contractuelle et freinent l'innovation et la créativité.

 

* Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro, le 19 mars 2005.

 

SOMMAIRE NO 153QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHEAUTRES ARTICLES DE P. SALIN

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? SOUMISSION D'ARTICLES POLITIQUE DE REPRODUCTIONÉCRIVEZ-NOUS