Montréal, 15 avril 2005 • No 153

 

OPINION

 

Jean-Hugho Lapointe est avocat. Il détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.

 
 

L'AFFAIRE WAL-MART ET LA LIBERTÉ D'ASSOCIATION AU CANADA

 

par Jean-Hugho Lapointe

 

          Le commentaire le plus typique que l'on aura pu entendre des syndicalistes, groupes de pression, certains politiciens ou autres intervenants socialistes concernant la fermeture du magasin Wal-Mart de Jonquière consiste à prétendre que Wal-Mart serait coupable de ne pas respecter la liberté d'association. Cette affirmation fut notamment lancée par Michel Grant, professeur en relations du travail à l'Université du Québec à Montréal, sur les ondes de LCN, le jour de l'annonce de la fermeture du magasin.

 

          Il faudrait comprendre plusieurs choses des propos de M. Grant. De un, le droit qu'ont les gens de s'associer devrait constituer une limite au droit d'un entrepreneur de cesser ses activités commerciales lorsqu'il le juge opportun. Or, cette prétention n'est toujours qu'un souhait des groupes syndicaux et non une règle vérifiable. Nous reviendrons sur ce point.

          De deux, que la liberté d'association au Canada constituerait une valeur forte, sur laquelle on peut s'appuyer pour condamner une décision de gestion qui ne va pas dans le sens des intérêts de nos centrales syndicales. Mais de quelle liberté d'association s'agit-il au juste?
 

La fable de la liberté d'association au Canada

          Au Canada, depuis la seconde moitié du XXè siècle, la liberté d'association est devenue la seule liberté fondamentale qui n'existe que lorsque exercée positivement. Tout individu a le droit de s'exprimer ou de garder le silence, d'avoir une opinion ou de ne pas en avoir, d'avoir une religion ou d'être athée. Cependant, lorsqu'il s'agit de la liberté d'association d'un salarié en contexte syndical, un individu peut s'associer, mais ne peut pas refuser de s'associer, sauf en quittant son emploi. Voilà, en somme, le principe de la sacro-sainte formule Rand.

          Lorsque des syndicalistes s'appuient sur la liberté d'association pour condamner des pratiques d'entreprise comme la décision de fermer un magasin en présence d'une accréditation syndicale, ils négligent de dire qu'à la base, ils ont été les premiers à nier à d'autres cette liberté d'association.

          Les premières victimes, dans toute l'histoire de la fermeture du Wal-Mart de Jonquière, sont ces employés qui, à l'origine, étaient opposés à l'implantation d'un syndicat dans le magasin – n'éprouvant ni le souhait ni le besoin d'en établir un – et qui se retrouvent malgré eux à subir la perte d'un emploi dont ils étaient satisfaits.

          Ces employés, lors du débarquement des organisateurs syndicaux avec leurs méthodes d'implantation coercitives, se sont finalement vus offrir le choix entre joindre le syndicat ou quitter leur emploi. Malgré leur volonté de ne pas s'associer à ce regroupement dont les motifs étaient pour le moins discutables, ils se retrouvent aujourd'hui possiblement sans revenu parce qu'un groupe organisé a décidé qu'il fallait syndiquer les activités de l'ignoble multinationale américaine.

          Face à de telles situations, à la vue d'honnêtes gens satisfaits de leur gagne-pain qui s'en voient privés par l'effet de la coercition syndicale et par le truchement d'une association à laquelle ils ont été forcés d'adhérer malgré leurs réserves ou leur opposition, il faut se demander quelle est la réelle valeur de la liberté d'association et jusqu'à quel point des intervenants, pour qui cette liberté a tant de valeur en certaines circonstances et aucune dans d'autres, peuvent s'en servir pour juger de la légitimité de gestes posés dans un contexte de libre entreprise.
 

Association forcée

          Il émane d'une association, quelle qu'elle soit, un ou des principes sous-jacents auxquels une personne, dans sa libre conscience, adhère ou n'adhère pas. Aucun Canadien ne souhaite être forcé de s'associer à des principes incompatibles avec ses valeurs. Pourtant, lorsqu'il s'agit d'activités syndicales, une telle coercition est acceptée et encouragée, et d'autant plus au Québec, sous le prétexte que sans celle-ci, le pouvoir et les intérêts syndicaux seraient affaiblis.

          Les motifs derrière la manoeuvre de syndicalisation au magasin Wal-Mart de Jonquière représentaient-ils une fin qui justifiait les moyens, et surtout, justifiait de courir le risque que se matérialisent les conséquences que l'on connaît maintenant? Les conditions de travail étaient-elles si catastrophiques, ou y avait-il un espoir sérieux de les bonifier significativement(1)?

          Plusieurs employés du magasin de Jonquière sont victimes d'une tentative de syndicalisation manifestement mal ou non fondée qui a mal tourné. Peut-être la question se soulèvera-t-elle un jour à savoir si ces employés ne pourraient pas imputer la responsabilité de leurs déboires à ces organisateurs syndicaux qui les ont fait monter à bord d'un navire sans destination.
 

« La "liberté syndicale", c'est la loi de la majorité et la coercition pour les autres, regroupées sous le sobriquet accrocheur de "solidarité". Il y a en fait bien peu de termes qui soient plus incompatibles avec le mot "liberté" que le mot "syndical". »


          Au demeurant, s'il faut permettre que la liberté d'association des gens puisse être ainsi brimée de façon à protéger le mouvement syndical, il n'y a certes pas lieu pour le mouvement syndical de s'appuyer sur la liberté d'association pour condamner quelque décision d'entreprise que ce soit. Le syndicalisme tel qu'on le connaît repose en effet sur la violation de la liberté d'association avant de reposer sur son respect.
 

Être forcé de faire affaires?

          L'autre conclusion à tirer des propos du professeur Grant est qu'en vertu de la liberté d'association permettant à des salariés de former une unité de négociation, une entreprise ne devrait pas avoir la liberté de fermer ses portes quand bon lui semble ou, autrement dit, devrait être forcée de poursuivre ses opérations contre son gré en certaines circonstances.

          Il y a lieu de se demander dans quel espèce de système économique nous serions si, pour démarrer une entreprise, un entrepreneur devait composer avec cette épée de Damoclès voulant qu'il puisse être forcé de maintenir ses portes ouvertes advenant telle ou telle situation et ce, malgré qu'il juge que pour protéger ses intérêts, il soit préférable de fermer boutique.

          Dans la même veine que M. Grant, un professeur de la Faculté de droit de l'Université Laval, Pierre Verge, publiait, dans l'édition du 15 mars 2005 du Journal du Barreau, un article au sujet de la fermeture d'entreprises pour des motifs antisyndicaux(2).

          Passant rapidement en revue la jurisprudence parsemée ayant déjà traité de près ou de loin de la question, et repoussant pour divers motifs la logique des décisions non-favorables à sa position, il en arrive à indiquer ce qui suit:
 

          Toutefois, le système juridique n'accepte pas que cette liberté – dont peut autrement se réclamer un employeur pour fermer, totalement ou partiellement, l'entreprise dont il est propriétaire – puisse contrevenir à l'ordre public.

          Et il ajoute plus loin:
 

          Fermer une entreprise en raison de l'exercice de la liberté syndicale, selon ces lois, nous fait ainsi entrer dans la sphère de l'illégalité.

          Associer ainsi les notions de liberté et de syndicalisme tient presque d'une forme d'humour noir. La « liberté syndicale », c'est la loi de la majorité(3) et la coercition pour les autres, regroupées sous le sobriquet accrocheur de « solidarité ». Il y a en fait bien peu de termes qui soient plus incompatibles avec le mot « liberté » que le mot « syndical » dans le contexte de la Formule Rand.

          Ceci étant dit, il faudrait comprendre des propos du professeur Verge que l'ordre public, et rien de moins, exige d'un employeur qu'il soit forcé de poursuivre ses opérations même s'il le juge inapproprié ou préjudiciable, si sa décision de cesser ses activités repose sur le fait qu'il ne souhaite pas gérer son entreprise en présence d'un syndicat.

          Autrement dit, protéger l'existence d'une entité syndicale qui s'est implantée dans une entreprise constituerait un fondement de notre société, alors que l'entreprise créatrice d'emplois n'en serait, elle, qu'un accessoire, forcée de s'y adapter, sans quoi l'ordre de la société dans laquelle nous vivons serait menacé. De plus, l'exercice de la « liberté syndicale » l'emporterait sur la liberté de contracter. Ainsi, refuser de se soumettre à la première en exerçant la seconde impliquerait de commettre une illégalité.

          Il est difficile d'interpréter les propos du professeur Verge sans y lire que l'existence du syndicalisme doit avoir préséance sur celle de l'entreprise. L'entreprise se voit donc au service de la syndicalisation. Elle ne peut poursuivre ses autres objectifs qu'une fois son but principal rempli, soit celui d'assurer l'exercice de la « liberté syndicale », ceci étant une exigence d'ordre public. Ultimement, l'importance qu'il faudrait accorder à la syndicalisation des emplois l'emporterait sur celle qu'il faudrait accorder à leur existence même.

          De telles affirmations sont consternantes, mais sachant que le corps professoral universitaire est syndiqué, faut-il se surprendre des propos de MM. Grant et Verge?
 

Conclusion

          Il n'y a pas si longtemps, on entendait des groupes socialistes ou des syndicalistes prétendre que les magasins Wal-Mart appauvrissent les régions. L'on aurait donc pu s'attendre à un soulagement, voire même de la joie, suite à la fermeture du magasin, mais fort étrangement, une telle réaction ne s'est pas exprimée.

          Par l'effet du jeu de l'offre et de la demande, les produits et services vendus par le magasin seront dorénavant vendus par d'autres. Ceci pourra encourager la création de nouveaux emplois chez les compétiteurs du magasin Wal-Mart, et ainsi permettre à une partie des ex-employés du magasin de se dénicher un emploi similaire.

          Les conditions offertes par ces nouveaux emplois ne seront pas supérieures, et probablement pas égales, à celles offertes par Wal-Mart, et le consommateur saguenéen n'en sortira certainement pas gagnant au change.

          À la fin, on se demandera toujours dans quel but cette démarche syndicale a été lancée.

 

1. Il était à tout le moins manifeste que les conditions de travail du magasin ne pourraient devenir matériellement différentes de celles en vigueur à travers la chaîne. On rapporte que le mouvement origine des centrales syndicales américaines qui tentent sans succès d'infiltrer Wal-Mart au sud de la frontière et qui ont choisi le Québec comme territoire de prédilection étant donné son cadre législatif favorable aux syndicats. Si tel est le cas, la FTQ aurait alors sciemment contribué à transformer en cobayes de laboratoire les employés du Wal-Mart de Jonquière.
2. Pierre Verge, « Un employeur a-t-il le droit de fermer son entreprise pour un motif "antisyndical" »?, Journal du Barreau, Volume 37, numéro 5 (15 mars 2005).
3. Et nous n'aborderons pas, ici, les façons qu'emploient souvent les exécutifs syndicaux pour orchestrer les « majorités » dont ils ont besoin.

 

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