Montréal, 15 juin 2005 • No 155

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

À QUAND LES MISES EN GARDE
EN CONTINU AU PETIT ÉCRAN?

 

par Gilles Guénette

 

          Dans un vieil épisode des Simpsons, Bart, qui souhaite devenir casse-cou professionnel, se retrouve à l'hôpital après avoir subi une mauvaise chute. Son médecin, qui tente de le dissuader dans son choix de carrière, lui fait visiter – à lui et à sa famille – une aile spéciale: « Ce petit garçon s'est cassé la jambe en essayant de voler comme Superman. Le père de ce garçon lui a donné un coup sur la tête pour imiter un spectacle de lutte récent à la télévision. Et je vous épargne l'horreur de visiter la salle dite des trois Stooges. » Ce à quoi la mère de Bart s'empresse d'ajouter: « Seigneur, je ne m'étais pas rendue compte que la télévision avait une influence aussi dangereuse. »

 

          Eh oui, la télévision est responsable de bien des maux. Les études le démontrent. Le mois dernier, l'une d'entre elles révélait que la télé renforce les mauvaises habitudes chez les enfants, surtout chez les garçons (La Presse, 25 mai 2005). Selon l'étude menée auprès de 534 élèves montréalais de 10 ans par une professeure au département de nutrition de l'Université de Montréal, près du quart des enfants – soit 25% des garçons et 18% des filles – mangent tous les jours devant le petit écran. Ils y engloutissent plus de frites, de chips, de crème glacée, de bonbons, de pâtisseries et de céréales sucrées que s'ils étaient assis à table, sans télévision allumée (l'étude ne dit pas si ces enfants ont des parents, mais bon…).

          C'est que les gens, petits et grands, semblent perdre toute notion de responsabilité lorsqu'ils se retrouvent devant leur télé. Il suffit qu'ils développent une maladie ou une mauvaise habitude pour qu'ils rejettent le blâme sur la télé! Obésité, hyperactivité, piètre estime de soi, insomnie, sexualité débridée…, la télé! Certains chercheurs la qualifient même de drogue (voir « Une drogue, la télé? », le QL, no 105). Alors si la télé cause tant de tort à la société, il n'est pas difficile d'imaginer que tôt ou tard, vu la gravité de la situation, un gouvernement progressiste et responsable décrétera pour le plus grand bien de tous qu'il faudrait forcer les chaînes de télé à diffuser des mises en garde en continu.

          « Hein? C'est pas un peu radical », que vous vous demandez? Peut-être, mais il s'agit d'un problème de santé publique. Et on ne lésine pas avec la santé du public! On appose bien des mises en garde sur les appareils de loterie vidéo, les tondeuses à gazon, les emballages de plastique, les boîtes de mets surgelés, les verres à café, les produits du tabac. C'est vrai, plus de la moitié du paquet de cigarettes est maintenant confisquée par l'État pour permettre l'annonce de mises en garde. Nul doute qu'en ce moment même des « intervenants sociaux » ou « professionnels de la victimisation » planchent sur un projet visant à obliger la diffusion de mises en garde sur une portion significative (disons, un tiers) du petit écran.
 

« Si la télé cause tant de tort à la société, il n'est pas difficile d'imaginer que tôt ou tard, vu la gravité de la situation, un gouvernement progressiste et responsable décrétera pour le plus grand bien de tous qu'il faudrait forcer les chaînes de télé à diffuser des mises en garde en continu. »


          Imaginez des messages comme: « La télévision rend asocial »; « La télévision crée une dépendance »; ou « Trop de télé peut mener à l'obésité » défiler au bas de l'écran. Et, question de rendre l'exercice encore plus constructif, l'insertion par le ministère de la Santé du Québec de slogans de ses propres campagnes publicitaires (à la « Vas-y, fais-le pour toi! ») entre ces mises en garde. Quelle meilleure façon de modifier les comportements du citoyen téléspectateur. Quelle meilleure façon de le sensibiliser tout en établissant une ligne directe de dialogue entre l'État et lui: « Pourquoi ne pas marcher pour te rendre au bureau ce matin? »; « As-tu mangé en famille dernièrement? »; « Pourquoi ne visiterais-tu pas une zone d'exploitation contrôlée ce week-end? »; « Va jouer dehors! Tes amies t'attendent. »

          Pensez-y, nous économiserions « collectivement » des millions de dollars en frais de santé et les citoyens ne s'en porteraient que mieux. Ceux-ci remercieraient le ciel (ou l'État, c'est selon) pour ces mises en garde. Ils ne les suivraient sans doute pas personnellement, mais seraient réconfortés à l'idée que leurs voisins, eux, les suivent – en plus d'être sensibilisés aux dommages collatéraux de la télé.

          Cela vous semble ridicule? Ça l'est. Mais avouez qu'on n'en serait pas à la première mesure ridicule mise de l'avant par un gouvernement pour nous protéger de nous-mêmes!

          À voir l'intérêt que portent les chercheurs aux supposés méfaits de la télé sur nos vies – l'obésité, pour n'en nommer qu'un –, à voir les coûts du système de santé public grimper en flèche, et à voir avec quelle aisance l'État s'immisce toujours plus dans nos vies, ça n'est qu'une question de temps avant que l'on voit apparaître de telles mises en garde. Au moindre signe d'opposition, le ministre dira quelque chose comme le médecin des Simpsons dit à Bart et sa mère: « C'est le prix qu'il faut payer pour des heures innombrables de divertissement de haute voltige. »

          Prévoyez le coup, décrochez! Ou offrez-vous un plus gros téléviseur, vous pourrez toujours installer une plante ou un pouf devant la bande où défileront les mises en garde.

 

 

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