Montréal, 15 juillet 2005 • No 156

 

OPINION

 

Cassandre Malka est étudiante en droit à l'Université de Montréal.

 
 

MARIAGE HOMOSEXUEL:
OTTAWA DEVRAIT SE RETIRER

 

par Cassandre Malka

 

          Le débat médiatique autour de la récente décision de la Cour suprême qui élargit la définition du mariage afin de permettre aux couples homosexuels de s’unir par cette institution, a opposé le camp du pour, représenté par le lobby gai, et le camp du contre, représenté notamment par les Églises, sur la place publique. Comme d’habitude, les questions fondamentales sur le sujet ont été esquivées. Par conséquent, l’affaire semble vouée aux préférences de la majorité de la population, qui vacille entre l’une et l’autre de ces positions extrêmement polarisées. Le véritable débat porte cependant sur l’ingérence du gouvernement dans la sphère privée des individus, par l’entremise de la compétence fédérale pour les unions maritales.

 

          L’institution du mariage se veut, par son essence, le dépositaire de la validité des unions de couple. La célèbre opposition philosophique entre la factualité, qui s’intéresse à ce qui est, et la validité, qui s’attarde à ce qui devrait être, permet d’exposer plus clairement le caractère particulier de l’institution maritale. En effet, à l’ensemble des unions existantes, s’oppose l’idéalisation de certaines unions, commémorée par le mariage. Ainsi, le mariage est fondamentalement une institution discriminante, car elle n’idéalise qu’un certain type d’unions, par opposition aux autres.

          Il s’ensuit logiquement que le fait de vouloir redéfinir une institution devant être le reflet de nos conceptions morales et spirituelles dépasse largement la compétence qu’une société libre et démocratique investit en son gouvernement. Il appartient donc aux institutions religieuses et aux particuliers au sein de la sphère privée, et non publique, de déterminer la validité des différents types d’unions existantes.

          La décision de la Cour suprême du Canada est inquiétante car au lieu de limiter l’ingérence gouvernementale, elle semble confirmer cette capacité juridique. Cela nous amène devant deux possibilités. La première est que l’invalidation des dispositions constituant une forme de discrimination envers les couples homosexuels n’est que la première étape d’un processus plus large qui va éliminer tous les types de discrimination, comme celui envers la polyandrie, pour ne citer qu’un exemple. Le fait que la Cour suprême se soit attardée uniquement sur la cause des couples homosexuels pourrait être de la retenue judiciaire car celle-ci a le mandat de répondre uniquement aux questions qui lui sont posées.

          Néanmoins, cette évolution qui veut dépouiller la définition du mariage de son caractère idéalisant constitue un travestissement inutile de la langue. En effet, l'opération légale qui vise à éliminer toute prétention à la validité du terme « mariage », assimile celui-ci au terme « union ». Toutefois, une réforme des dispositions légales pour les unions impliquerait de leur substituer des termes plus adéquats. Cela me semble être le plan d’action le plus objectif. Néanmoins, le manque flagrant de courage politique explique cette hésitation de la part du gouvernement canadien de s’en remettre au terme « union civile » pour l’ensemble des citoyens. Si la Cour suprême n’avait pas été mandatée pour débattre de la discrimination à l’égard des homosexuels, nous aurions certainement conservé la définition traditionnelle.
 

« La décision de la Cour suprême du Canada est inquiétante car au lieu de limiter l’ingérence gouvernementale, elle semble confirmer cette capacité juridique. »


          Évidemment, il reste toujours la possibilité selon laquelle la Cour suprême partage tout simplement les préférences de la population canadienne et se permet d’imposer au Parlement l’idéal populaire des unions de couple. Cette deuxième possibilité est des plus inquiétantes. Elle confirmerait la crainte exprimée par certains cercles intellectuels selon laquelle les tribunaux dans nos sociétés séculières s’investissent dans un rôle de clergé. La modernité, qui semble, selon certains, vidée de substance au niveau spirituel, apporte un nouveau type d’idéalisme. Par contraste à l’Église qui imposait ses valeurs au nom d’un pouvoir cosmique personnifié par le corps du Christ, cette idéologie naissante impose une solidarité envers ses membres de par leur simple appartenance à l’espèce humaine. Néanmoins, des fragments de la pensée chrétienne sont encore présents, ce qui explique la sacralisation actuelle de l’amour monogame au sein de nos sociétés.

          Cette nouvelle idéologie qui germe au sein de nos institutions ne peut prétendre être moins oppressive que l'idéologie chrétienne de jadis. Toutes deux tentent d’imposer ou de suggérer un mode de vie plutôt qu’un autre. Que la base de cette idéologie soit laïque ne justifie pas l’imposition de préférences douteuses au sein de nos institutions. La solution la plus appropriée serait que le gouvernement fédéral se retire de la réglementation du mariage et permette à la population canadienne de contracter des arrangements selon ses choix, sans aucune restriction idéologique. Une telle démarche aurait comme conséquence d’éliminer toutes les limitations contractuelles, comme par exemple celles érigées jadis par l’Église.

          La réticence à apporter des changements dans ce domaine peut également s’expliquer du fait que le mariage est un sujet très émotif, ce qui limite le débat. Pourtant, si l’on prend l’exemple plus simple du registre des naissances par contraste aux baptêmes, cette distinction apparaît plus claire. Tandis que le registre des naissances tente d’établir la factualité, le baptême tente d’instituer la reconnaissance des naissances du point de vue de la communauté chrétienne. La configuration des unions n’échappe pas à ce type de distinction. Tandis que les « unions civiles » tenteraient d’établir la factualité des unions des couples, le mariage maintiendrait la validité des unions selon diverses traditions. Bien que nous ayons chacun nos préférences personnelles au sujets des différentes unions, il ne sied pas au gouvernement d’entériner ces préférence par une législation.

          En conclusion, j’aimerais souligner le cheminement paradoxal des groupes de pression homosexuels qui avait pourtant, au courant des années soixante-dix, pris le parti de la non-intervention étatique si bien résumé par la phrase de feu le premier ministre Pierre Trudeau, selon laquelle le gouvernement n’a pas d’affaire dans la chambre à coucher des gens…
 

 

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