Montreal, 15 juillet 2005 • No 156

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

LE REGISTRE DES ARMES À FEU:
LA VOIE SANS ISSUE

 

par Mathieu Bréard

 

          La Commission d'enquête sur le scandale des commandites vient à peine de se terminer que déjà un autre cirque médiatique plane au-dessus de nos têtes; celui du registre fédéral des armes à feu. Mis sur pied en 1995 par le gouvernement de Jean Chrétien, ce programme s'avère être un véritable fiasco financier et juridique que l'on cherche à camoufler par tous les moyens. Cette stratégie semble avoir fonctionné puisque les médias abordent le sujet du bout des lèvres et la population est mal informée. On refuse de reconnaître que le contrôle des armes à feu est un échec. Vous avez été choqués par les révélations fracassantes de la Commission Gomery? Vous le serez davantage lorsque les fonctionnaires ayant travaillé sur le registre devront rendre des comptes.

 

Ignorer le passé

          Certains ont peut-être l'impression que le contrôle des armes à feu est un phénomène relativement nouveau qui prend naissance uniquement après les événements tragiques de Polytechnique. Or, il y a déjà plusieurs décennies que le gouvernement se penche sur la question et ne cesse d'adopter des législations plus liberticides les unes que les autres, mais qui n'ont aucune incidence sur le taux d'homicide. D'ailleurs, de nombreux criminologue et sociologue québécois tels Maurice Cusson, Jean Caron, Marc Ouimet, Étienne Blais, ont déjà été très critiques à l'égard toutes ses mesures. En 1993, dans son rapport annuel, le vérificateur général du Canada écrivait que jamais aucune de ces lois n'avait démontré son efficacité. Malgré tout, nos fonctionnaires continuent de faire la sourde oreille et préfèrent écouter uniquement les groupes de pression plus proche de leurs émotions que du bon sens.

          Elle est déjà loin l'époque où les pionniers de la Nouvelle-France pouvaient parcourir librement le pays avec une arme à feu sur l'épaule. Dès la fin du 19e siècle, l'étau se resserre avec l'adoption d'une première loi qui oblige les citoyens à faire enregistrer leur arme de poing. En 1977, le projet de loi C-51 – dont l'objectif est de réduire la criminalité – oblige les propriétaires à se procurer un certificat d'enregistrement officiel (AAAF). En 1978, on va même jusqu'à interdire complètement le droit de porter une bonbonne de poivre de Cayenne avec des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à dix années de pénitencier. Au début des années 1990, le processus de désarmement de la population atteindra son apogée. La loi C-17 impose l'idée que tout individu ayant une arme à feu en sa possession est un criminel en devenir et qu'il représente une menace sérieuse pour la société. Finalement en 1995, la loi C-68 met sur pied une énorme banque de données afin d'enregistrer des millions de propriétaires d'arme a feu. Une façon apparemment intelligente d'assurer la sécurité publique. Inutile de dire que pendant ce temps, les délinquants, eux, sont morts de rire! Nous parlons ici de tous ces individus qui n'hésitent pas un seul instant à utiliser une arme enregistrée ou non pour commettre un crime.
 

Une formidable catastrophe administrative

          Abus de pouvoir, certificats d'enregistrement émis en trop, inscriptions perdues, voilà autant de problèmes que rencontre le Centre canadien des armes a feu. Lors de sa mise pied en 1995, le registre devait coûter la somme de 2 millions de dollars aux contribuables. Quelques années plus tard, la vérificatrice générale Sheila Fraser parle du pire gouffre financier qu'elle ait vu de toute sa carrière avec des dépenses atteignant plus de 2 milliards de dollars.

          Comment un tel fiasco a-t-il été possible? Dès 1997, le registre connaît ses premiers revers, étant déjà complètement paralysé. La procédure pour s'enregistrer est longue, comporte une dizaine de formulaires, et le système informatique confié à la firme EDS ne cesse de cumuler les erreurs. De nombreux propriétaires d'arme à feu sont forcés de refaire de nouvelles demandes, quand ils ne se font pas dire carrément qu'ils n'ont jamais été inscrits dans le registre... Pour améliorer ce réseau, il faudra débourser plus de 227 millions $ et procéder à de multiples remboursements puisque le permis, à l'origine disponible au coût de 60$, devient soudainement gratuit. Malheureusement, rien ne fonctionne et EDS se voit retirer le contrat qui est confié aux firmes GCI et BDP. Il faut tout recommencer à zéro et la nouvelle facture s'élève à plus de 300 millions $. À la fin de l'exercice, il en coûtera plus de 725 millions $ et le système ne sera toujours pas opérationnel.

          Pendant ce temps, un vent de protestation balaie les provinces canadiennes où l'on s'interroge sur la validité de la loi. L'Alberta traîne Ottawa devant la Cour suprême. Une bataille imprévue, longue et coûteuse qui se termine par une victoire du fédéral qui devra gérer entièrement le registre. Aujourd'hui, seuls le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard s'engagent à poursuivre en justice tout individu qui refuse de faire enregistrer ses armes. À ce stade, comment ne pas remettre en question le fonctionnement d'un registre qui perd toute sa crédibilité?
 

Une Charte des droits complètement bafouée

          Ce qui est frappant lorsque nous examinons le projet de loi C-68, ce sont les nombreuses violations de la Charte des droits et libertés qui se font au détriment de millions de citoyens honnêtes et responsables. Ceux-ci sont considérés injustement par les autorités comme des criminels potentiels passibles de peines d'emprisonnement sévères et complètement démesurées. Jugeant la situation inacceptable, plusieurs propriétaires d'arme à feu ont déjà porté leurs causes devant les tribunaux. C'est le cas entre autres de Bruce Montague, un homme d'affaires de l'Ontario, père de trois enfants, impliqué socialement et sans casier judiciaire. Refusant de se conformer à la loi C-68, il fut arrêté le 11 septembre 2004. Sa propriété fut visitée par des officiers de la police provinciale qui y feront de nombreuses perquisitions sans mandat. Aujourd'hui, Montague continue de défendre ses droits et nous pouvons suivre l'évolution de son action sur son site Web.
 

« Le débat sur les armes à feu est émotif avant d'être rationnel et il est inacceptable de voir autant intervenants faire preuve d'une aussi grande malhonnêteté intellectuelle. Sans opposition réelle, ils peuvent faire avaler n'importe quoi à la population. »


          En 2002, le chasseur Jean-François Laflamme circule paisiblement sur une route de Saint-Maurice lorsqu'il est arrêté par hasard par des agents de la Sûreté du Québec. Sa carabine est saisie, on prend ses empreintes digitales et on l'accuse en vertu de la loi d'être en procession d'une arme illégale. Du jour au lendemain, on le transforme en criminel alors qu'il n'avait jamais rien fait de mal. Risquez-vous la prison lorsque vous oubliez de renouveler votre permis de conduire?

          Bien sûr, les médias se gardent bien de présenter cette réalité, puisqu'ils concentrent leurs efforts uniquement sur les déboires administratifs du registre. Ils nous laissent entendre qu'une meilleure gestion des coûts redonnera à la loi toute sa légitimité. Or il n'en n'est rien puisque C-68 est inconstitutionnelle.
 

Le droit à la sécurité

          L'article 7 de la Constitution canadienne stipule que chaque citoyen a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Le registre des armes à feu vient empêcher un citoyen honnête de défendre sa propriété, ses biens et sa famille contre une agression criminelle. Nous parlons ici d'un droit fondamental qui ne concerne en rien l'État. Pourtant, de nombreux intervenants continuent de véhiculer le mythe qui veut que l'utilisation d'une arme à feu soit inutile puisque la police assure adéquatement la protection de la population. Cette confiance aveugle rend le citoyen complètement dépendant d'un service qui n'a pas la moindre efficacité au moment d'une infraction et qui n'a jamais empêché des milliers de viols et des meurtres crapuleux de se produire.

          En novembre 2002, Robert et Bonnie Dagenais, deux retraités de l'enseignement, ont été sauvagement assassinés dans leur chalet de Val-des-Monts. Ils avaient pourtant réussi à composer le fameux 911, mais la police est arrivée trop tard. C'est également le cas pour tous ces Canadiens qui demeurent dans des zones rurales où les services de sécurité publique ne répondent que très rarement à leurs appels. Quand nous pensons qu'une agression se déroule en seulement quelques minutes, il est ridicule d'empêcher une personne de prendre les moyens nécessaires pour protéger sa vie. Il s'agit d'une démarche responsable et parfaitement légitime. Trois chercheurs, Gordon Witkin, Monika Guttman et Tracy Lenzy, ont démontré que la police réussit à empêcher un crime dans seulement 5% des cas. Tout le reste vient grossir les statistiques et profite surtout aux criminels.
 

Droit à la vie privée

          Aujourd'hui, l'État s'appuie de plus en plus sur les bases de données pour répertorier différents renseignements sur l'ensemble de la population. Le respect de la vie privée est l'un des aspects fondamentaux de la liberté individuelle. Le registre des armes à feu viole ce principe puisqu'il oblige tous les propriétaires à se soumettre, à tous les cinq ans, à des interrogatoires en règle, fouillant les moindres recoins de leur vie personnelle. Des questions sur la vie familiale, la vie sentimentale, la santé, les finances, les loisirs, les valeurs, la consommation, ou encore sur les convictions politiques et religieuses.

          Le 29 août 2001, dans son rapport, le commissaire à la vie privée fut très critique à l'endroit de cette procédure jugée trop indiscrète et dont la somme de renseignements recueillis est excessive. Face aux déboires récents du département des ressources humaines du Canada, nous pouvons nous interroger sur les risques de voir ce type de renseignements tomber entre les mains d'organisations criminelles ou être facilement accessibles par les fonctionnaires. À l'heure actuelle, plus de 3,5 millions de personnes sont enregistrées dans le registre et les informations recueillies sont bien souvent erronées et inexactes.
 

Droit à la protection contre les perquisitions abusives

          Lorsque les policiers désirent mener une intervention chez un trafiquant de drogue, ils doivent d'abord obtenir un mandat d'un juge. Il s'agit d'un droit garanti par la Charte des droits et libertés (article 8) afin d'empêcher toute intrusion injustifiée de l'État sur une propriété privée. Une fouille sans mandat est considérée illégale. Or, la loi C-68 stipule que les autorités ont le droit d'entrer chez un propriétaire d'arme à feu et de faire des perquisitions sans mandat. Une action qui peut être menée sur un simple doute ou tout autres motifs jugés valables. Imaginez l'humiliation pour les membres d'une famille sans histoire de voir des agents fouiller leurs documents et autres objets personnels. Cette pratique demeure inquiétante et ouvre la porte à de nombreuses dérives dont l'abus de pouvoir.
 

Le silence des propriétaires d'armes à feu

          Au Québec, l'immobilisme des propriétaires d'arme à feu est frappant. Ils préfèrent rester dans l'ombre plutôt que d'assurer la défense de leurs droits. Tout le terrain est occupé par la coalition anti-arme qui mobilise les médias afin de faire la promotion de C-68. Ce mouvement possède une plate-forme solide et travaille en étroite collaboration avec de nombreux spécialistes des relations publiques. Comme la grande majorité des citoyens ne connaissent absolument rien aux dossiers des armes à feu, ils sont facilement influençables. Ils entendent un seul et unique discours basé sur la peur dans lequel on se garde bien de leur présenter tous les aspects du débat. Dans une société qui vibre au rythme des images et où l'on met bien souvent de côté l'analyse critique, il ne faut pas s'étonner des résultats. Le débat sur les armes à feu est émotif avant d'être rationnel et il est inacceptable de voir autant intervenants faire preuve d'une aussi grande malhonnêteté intellectuelle. Sans opposition réelle, ils peuvent faire avaler n'importe quoi à la population. Il est grand temps de renverser la vapeur, car tôt ou tard, cet État infantilisant en viendra à interdire complètement la possession d'arme à feu – comme il tente actuellement de le faire avec l'utilisation du tabac.

          Mais où se trouvent les propriétaires d'arme a feu? Où se trouvent ces hommes et ces femmes prêts à se battre pour la défense de leurs droits? Ce n'est pas en restant cachés derrière les murs de son club de tir préféré que les choses vont changer. Ce n'est pas non plus en participant à des forums de discussion privés que les mentalités vont évoluer. Bien sûr vous pouvez vous plaindre sans arrêt des interventions ridicules de nos fonctionnaires, condamner la démagogie d'une Pierrette Venne, mais tout cela est inutile à long terme. Le seul choix disponible demeure l'action et ceux qui le refusent ont choisi depuis longtemps de se mettre la tête dans le sable et de devenir des esclaves dociles de l'État. Pour se donner bonne conscience, on n'a souvent tendance à vivre dans l'attente d'une solution miracle. Pour votre information, le messie n'existe pas. Pour gagner sa liberté, il faut apprendre à se mouiller et se battre.

          Pour protéger les droits des propriétaires d'arme a feu, il faut une coalition solide, dont les représentants devront croire en la pertinence du changement tant au niveau public que politique. L'un des principaux objectifs sera d'entretenir des liens de bonne entente avec le milieu journalistique et de posséder la crédibilité nécessaire pour être de toutes les tribunes. Pourquoi, lorsqu'il est question d'armes à feu au Québec, le seul discours entendu et celui des opposants? La raison est simple, il n'existe pas d'organisation ayant des intervenants disponibles et capables de prendre la parole en toutes circonstances. La vérité, on préfère se cacher ou s'en remettre timidement à une Claire Joly qui accepte à l'occasion de monter seule aux barricades.
 

Conclusion

          Au terme de cet article, la loi C-68 n'a plus besoin de présentation. Il s'agit d'une entreprise en totale faillite qui n'a plus aucune légitimité autant politique que juridique. Les propriétaires d'arme à feu ont maintenant entre les mains tous les outils nécessaires pour couler le registre et l'envoyer sur la très longue liste des plus grandes fraudes étatiques de l'histoire canadienne. Pourtant en dépit de toutes ses factures salées, ses violations des droits individuels et ses nombreux déboires informatiques, certaines organisations continuent aveuglément d'en faire la promotion. Pour eux, il n'y a pas de limites aux gaspillages et ils sont prêts à vous faire payer davantage pour protéger leurs utopies. À ce sujet, nous apprenions dernièrement que le gouvernement fédéral allait réinvestir 64 millions de dollars dans le registre, comme si les folies n'avaient pas assez duré. Ils n'ont pas encore compris qu'il n'y a aucun lien rationnel entre les objectifs de la Loi sur les armes à feu et les différentes mesures adoptées pour la mettre en application.