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                               En conclusion, reprenons les faits et 
                    traçons le scénario d’une alternative possible au terrorisme 
                    et à la guerre qui lui répond. 
                     
                             
                    Le terrorisme islamique n’est pas l’initiative de quelques 
                    illuminés. Les bien-pensants de l’Occident relèvent 
                    qu’aucune manifestation de masse au Moyen-Orient n’a 
                    condamné les attentats aveugles. Quelques théologiens ont 
                    émis des opinions de droit canon rappelant la prohibition 
                    coranique du suicide ou celle de tuer des civils. Mais en 
                    Italie contre les Brigades rouges, au Pays basque contre 
                    l’ETA, ce furent des centaines de milliers de manifestants 
                    qui dénoncèrent dans la rue les crimes commis en leur nom. 
                    Certes. Mais les Italiens ne se sont jamais reconnus dans 
                    les Brigades rouges. Le mouvement ne fut jamais relié à la 
                    population dans le sens que nous indiquions plus tôt.  
                     
                             
                    Les Basques, s’ils sympathisèrent avec 
                    l’ETA à l’époque franquiste, n’en ressentent plus le besoin 
                    aujourd’hui. Ils ont obtenu tout ce qu’ils voulaient, 
                    reconnaissance de leur identité au sein de l’Espagne, 
                    autonomie provinciale, enseignement de la langue… La 
                    poursuite de la lutte armée en vue d’une totale indépendance 
                    ne les motive plus. Mais qu’ont gagné les Arabes? Résolution 
                    du conflit avec Israël? Bonne gouvernance? Irak? Savent-ils 
                    d’ailleurs eux-mêmes ce qu’ils veulent?  
                     
                             
                    Si déposséder un peuple de sa culture ou de sa terre est un 
                    acte de guerre, tout projet de résistance passe par 
                    l’évaluation des moyens les plus économiques en vies et en 
                    matériel pour renverser la situation. Arafat et sa clique 
                    furent certainement confortés dans leur choix de la violence 
                    par la victoire des terroristes dans les guerres de 
                    décolonisation. Sans les détournements d’avion de 1970, sans 
                    la sanglante prise d’otages des JO de 1972, le monde, 
                    pensaient-ils, n’aurait pas entendu le cri des Palestiniens. 
                    Est-ce si sûr? Car si le gouvernement israélien peut montrer 
                    une extrême détermination, il doit rendre compte à plus fort 
                    que lui. Son sort dépend de l’opinion publique américaine. 
                    Et celle-ci s’offusque vite. Il fallait pour l’amener à 
                    soutenir la cause d’Arafat une autre stratégie qu’exploser 
                    des autobus.  
                     
                             
                    Les Palestiniens ont gâché leurs chances. Au concours du 
                    meilleur martyr, ils partaient bien placés devant un peuple 
                    juif devenu « sûr de lui et dominateur », dixit De Gaulle. À 
                    chaque provocation israélienne (mépris des décisions de 
                    l'ONU; continuation des implantations dans les territoires 
                    occupés, même après les accords d'Oslo; marche de Sharon sur 
                    le Mont du Temple...), les Palestiniens pouvaient répondre 
                    par des encerclements pacifiques de colonies, des marches au 
                    flambeau sur Jérusalem, des manifestations de femmes et 
                    d'enfants devant les tanks de Tsahal et les caméras de CNN. 
                    Avec le vieux fond d'antisémitisme en Occident, l'attrait du 
                    pétrole arabe, l'idéologie tiers-mondiste des intellectuels 
                    et de la presse, leur affaire se présentait bien. Les 
                    Israéliens devenaient clairement les oppresseurs, les 
                    Palestiniens les victimes. Par orgueil mal placé et culture 
                    de la violence, les Palestiniens ont préféré se donner le 
                    mauvais rôle. Ils ont raté l’examen devant la seule 
                    puissance, l’opinion publique occidentale, qui pouvait faire 
                    triompher leur cause.  
                     
                             
                    Qu’Arafat ne soit pas Gandhi, on s’en doutait. Le propos est 
                    ailleurs. La preuve est apportée que la plus juste des 
                    causes ne peut plus être servie par le terrorisme. En cela 
                    réside la nouveauté. 
                      
                      
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                         La guerre après la victoire  | 
                       
                     
                              Notre scénario d’alternative à la guerre est basé sur un 
                    monde musulman qui n’est pas l’ennemi ontologique du nôtre. 
                    L’observance littérale du Coran est une piètre explication 
                    d’un différend millénaire. Si les juifs et les chrétiens ont 
                    pu contourner ou ignorer les lois « éternelles et immuables » autorisant l’esclavage, condamnant à mort ceux qui violent 
                    le Sabbat, à la lapidation les adultères et les 
                    blasphémateurs, au bûcher les incestueux(1), nul doute que 
                    les habiles casuistes de l’Islam trouveront de nouvelles 
                    interprétations dès qu’ils en percevront la nécessité 
                    politique (par exemple, basées sur le précepte « Pas de 
                    contrainte en religion(2) ».)  
                     
                             
                    Ces arrangements avec le ciel se négocient déjà(3). 
                    L’Islam bouge. Il évolue – et le terrorisme en est la 
                    conséquence. C’est au moment des grandes transformations 
                    culturelles et économiques, comme les ont vécues la France 
                    des années 1780, la Russie du début du 20ème siècle, que le 
                    risque de violences est le plus grand, lorsqu’une frange de 
                    la société qui peut espérer bénéficier du nouveau régime se 
                    heurte à ceux qui craignent pour leurs intérêts et la 
                    tradition.  
                     
                             
                    Le terrorisme est ce combat d’arrière-garde, désespéré, pour 
                    éviter une sécession entre la classe en voie d’émancipation 
                    et les traditionalistes. La piaillerie des néo-conservateurs, « choc, 
                    choc, choc des civilisations », ne résiste pas à l’examen. 
                    L’asymétrie des forces en est l’évidence. Toutes les cartes 
                    sont dans les mains de l’Occident, culture, technologie, 
                    richesse, armée, et même la démographie stabilisée commence 
                    d’échapper à l’Islam. Les Soviets recrutaient parmi l’élite 
                    intellectuelle et mondaine, les musulmans parmi les paumés. 
                    Les fous de Dieu ne peuvent pas vaincre. Tout juste 
                    peuvent-ils causer des dommages ici ou là, comme quelque 
                    nuit d’ouragan ou un tremblement de terre.  
                     
                             
                    La responsabilité du gouvernement américain n’est donc pas 
                    de gagner une guerre, ce résultat est acquis, mais d’en 
                    limiter le coût. Il est comptable des vies perdues, des 
                    souffrances inutiles, des gaspillages de ressources, et le 
                    jugement de l’Histoire sera sévère. 
                     
                             
                    Car comme tant de responsables, les Bushistes cherchent 
                    moins le succès de la collectivité dont ils ont la charge 
                    que d’apparaître, eux, comme les auteurs de ce succès(4). 
                    Dans le combat contre l’islamisme, ils ne font rien d’autre 
                    qu’alourdir l’addition. Le monde entier triomphe de 
                    l’islamisme avec ou sans eux, parce qu’il ne peut pas en 
                    être autrement.
                     
                      
                      
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                         L’Occident est un oxydant  | 
                       
                     
                              L’invective de « munichois » à l’encontre des adversaires de 
                    l’intervention militaire au Moyen-Orient n’est pas seulement 
                    injurieuse et sotte au regard des faits, elle manifeste le 
                    peu de confiance des va-t-en-guerre dans les valeurs même 
                    qu’ils prétendent défendre.  
                     
                             
                    Ne pas agir n’est pas nécessairement subir. Des forces sont 
                    à l’oeuvre dans nos sociétés, un élan vital les traverse et 
                    les façonne; depuis des siècles, il est un ferment de 
                    rationalité, de douceur et de prospérité. Ne pas intervenir 
                    militairement consiste simplement à laisser agir ce ferment. 
                    C’est lui, son pouvoir d’attraction, qui a oxydé jusqu’à 
                    l’écroulement le régime soviétique et s’attaque maintenant à 
                    la Chine. L’Islam n’est-il pas encore plus vulnérable? Car 
                    il est finalement plus proche de l’Occident que ne l’étaient 
                    nos deux précédents ennemis, l’Internationale socialiste 
                    soviéto-maoïste et le national-socialisme. Islam et Occident 
                    partagent une valeur commune, non pas la démocratie, non pas 
                    les droidloms, mais celle qui les a précédés, le 
                    capitalisme. 
                     
                             
                    Le capitalisme est bien notre oxydant, notre arme de 
                    destruction massive des préjugés, des violences, des 
                    obscurantismes, des traditions brimantes et des modes de vie 
                    étouffants. Le « doux commerce », cher à Montesquieu, 
                    néglige toutes les classifications religieuses et 
                    politiques. « Quelques particuliers audacieux font armer les 
                    rois, la guerre s’allume, tout s’embrase, l’Europe est 
                    divisée; mais ce négociant anglais, hollandais, russe ou 
                    chinois, n’en est pas moins l’ami de mon coeur: nous sommes, 
                    sur la surface de la terre, autant de fils de soie qui lient 
                    ensemble les nations, et les ramènent à la paix par la 
                    nécessité du commerce; voilà, mon fils, ce que c’est qu’un 
                    honnête négociant(5). » Sedaine annonçait en 1765 cette 
                    heureuse mondialisation, où un être humain n’est plus défini 
                    par sa naissance et sa croyance, mais par le service qu’il 
                    peut rendre à autrui.  
                     
                             
                    On peut se demander pourquoi le capitalisme n’est pas né 
                    dans les villes cosmopolites et marchandes d’Istanbul, 
                    Bagdad et Alexandrie, plutôt qu’à Venise, Amsterdam et 
                    Londres. Peut-être parce que l’Islam est trop patriarcal. 
                    Tout au long de l’Histoire, le problème des sociétés 
                    humaines a été de contrôler la saturation de testostérone 
                    dans le monde: trop de machisme, de politique, d’armée, de 
                    police et de clergé barbu. Or le capitalisme en se 
                    développant entraîne la montée d’une autre forme de pouvoir, 
                    qui est son versant féminin, la séduction. Certes, la 
                    séduction est un pouvoir, non celui de la trique, du flic et 
                    du fisc, mais celui de susciter nos désirs. La mode plutôt 
                    que la menace; la publicité plutôt que la punition. 
                    Efficace, difficile à résister sans doute, mais la séduction 
                    ne tue pas. L’émergence de cette énergie féminine qui 
                    dynamise en douceur le capitalisme est une belle avancée de 
                    l’humanité; on comprend qu’elle subvertisse plus lentement 
                    les sociétés musulmanes si patriarcales. 
                     
                             
                    « Ramener à la paix par la nécessité du commerce. » 
                    L’Histoire n’y verrait pas une victoire du gouvernement 
                    américain – mais justement parce qu’elle ne serait pas 
                    perçue comme yankee, elle serait plus facile à obtenir. Les 
                    gens veulent légitimement visualiser ce qu’ils gagnent à un 
                    changement de mode de vie, surtout lorsqu’il affecte une 
                    tradition religieuse, si sclérosée soit-elle. Ils veulent 
                    être séduits. La liberté économique précède toujours la 
                    liberté politique; c’est le capitalisme qui mène au 
                    libéralisme, l’introduit insidieusement, prend la société 
                    par surprise, elle qui croyait seulement s’enrichir et qui 
                    se trouve soudain libre. 
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