Montréal, 15 octobre 2005 • No 159

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

RÉFLEXIONS SUR LA RICHESSE ÉCONOMIQUE

 

par André Dorais

 

          Méconnaître la signification exacte d’un mot est souvent sans conséquence, mais ce n’est pas toujours le cas. On échange quotidiennement biens et services grâce à de la monnaie, de l’épargne et du capital, alors qu’on ne s’entend même pas sur les termes. Ceux-ci constituent-ils trois formes différentes de richesse? Si la richesse est incomprise, n’y a-t-il pas danger de la perdre? Y a-t-il même lieu d’y prétendre?

 

Historique de la valeur de la monnaie

          Aujourd’hui, la valeur de la monnaie est entièrement basée sur la confiance des gens envers l’autorité qui la met en circulation. L’autorité prétend décréter la valeur de la monnaie comme elle décrète la loi. On peut parler de « valeur d’autorité ». Toutefois, il n’en fut pas toujours ainsi. Historiquement, on choisissait la monnaie à partir des objets qui étaient convoités en tant que tels. En d’autres mots, la popularité de l’objet était un critère de sélection de la monnaie. Parce que les objets d’or et d’argent métallique démontraient plusieurs qualités, dont celles de détenir une grande valeur par unité de poids, d’être divisibles, malléables et durables, les gens ont fini par les utiliser comme monnaie.

          La valeur de la monnaie d’espèces se fondait sur son poids et sa qualité. Toutefois, la lourdeur des pièces a conduit les gens à utiliser des substituts de papier, plus faciles à manier. Malheureusement, le papier-monnaie est également plus facile à falsifier que le métal. Les hommes de l’État ont donc utilisé le prétexte, toujours le même, de corriger le mal pour étendre leur autorité en s’arrogeant le contrôle de la monnaie. Ils ont décrété que le monnaie métallique n’avait plus d’importance et que dorénavant seuls les billets sur lesquels ils apposaient leurs photos avaient une valeur. Curieusement, ils se sont assurés de garder l’or, confisqué aux épargnants, dans leur banque centrale au cas où les gens perdraient confiance en leur autorité, qui, pourtant, est censée aujourd’hui être seule capable d’attribuer la valeur à la monnaie.
 

L’épargne

          La monnaie permet de remplacer une partie de ses biens de consommation pour mieux les échanger et satisfaire ses besoins. Elle n’est qu’un moyen facilitant l’échange. Cependant, elle ne nourrit ni n’habille personne. Or le sens historique d’épargner est là, soit épargner des biens de consommation dans le but d’être soutenu pour une période prolongée. Plus l’échange est répandu, plus la consommation, au sens large, se raffine et plus grande est la satisfaction. L’épargne sous forme de biens de consommation ne s’additionne pas et par conséquent doit être distinguée de l’épargne monétaire. Cette distinction est d’autant plus importante à établir aujourd’hui étant donné que la monnaie ne tire plus sa valeur d’un bien, mais de la confiance attribuée à l’autorité monétaire.
 

Le capital

          Lorsqu’on prend le temps de fabriquer des « outils », c’est qu’on cherche à améliorer la qualité de ses biens ou en accroître la quantité. Plus le temps de fabrication est long, plus on a besoin de biens de consommation pour se soutenir pendant cette période d'investissement où l'on ne produit rien. De même, lorsqu’on remet à un producteur ou à un intermédiaire son épargne monétaire dans le but d’accroître sa richesse, c’est qu’on lui remet, en dernier lieu, une partie de ses biens de consommation puisque la monnaie (de métal) n’en est que la représentante. Dans ces deux exemples, l’investissement en est un qui se définit en termes de biens de consommation. Plus il y en a à échanger, plus on a de moyens d’investir dans des outils ou des biens de production, dont le but est d’accroître les biens de consommation ou d’en améliorer la qualité. Il ne peut donc jamais avoir trop d’épargne au sens strict du terme.

          Plusieurs niveaux de production peuvent être nécessaires pour en arriver au bien final, qu’est le bien de consommation. C’est-à-dire que la fabrication d’un bien de production nécessite elle-même, au préalable, la fabrication d’un autre bien de production qui, à son tour, nécessite la fabrication d’un autre bien préalable, et ainsi de suite dans une série d’étapes qui varient en nombre selon la complexité du produit final.
 

« La monnaie permet de remplacer une partie de ses biens de consommation pour mieux les échanger et satisfaire ses besoins. Elle n’est qu’un moyen facilitant l’échange. Cependant, elle ne nourrit ni n’habille personne. »


          À l’autre bout de cette série d’étapes on arrive aux deux moyens originaux de production que sont les éléments naturels (terre, eau, minerai, etc.) et le travail humain. Afin de les distinguer des biens de production qui en découlent, on qualifie aussi ces derniers de « biens en capital » ou de « biens intermédiaires ».

          Évidemment, on parle aussi de capital au sens monétaire du terme, soit comme une somme d’argent, soit comme la différence entre l’actif et le passif d’une entreprise. Toutefois, de la même façon qu’on exclut la monnaie de l’épargne pour saisir ce qu’elle représente, on doit éviter de confondre le capital monétaire du capital comme « biens en capital ».

          En somme, les biens en capital servent à produire d’autres biens intermédiaires et les biens de consommation, c’est-à-dire qu’ils visent à accroître la richesse ou à satisfaire les besoins. L’épargne constitue les biens dont la consommation est reportée, tandis que la richesse inclut celle-ci et les biens intermédiaires. Qu’en est-il de la monnaie? Ne constitue-t-elle pas aussi une richesse?
 

La monnaie comme bien de production

          D’abord, en quoi consiste exactement la monnaie d’espèces? Certains considèrent qu’il s’agit d’un bien d’une troisième catégorie, soit un bien d’échange, d’autres considèrent qu’il s’agit d’un bien intermédiaire qui a la particularité d’être utilisé comme moyen d’échange. Pour considérer la monnaie comme un bien intermédiaire il faut se rappeler qu’un même bien à deux endroits différents n’a pas nécessairement la même valeur et que, par conséquent, il y a production non seulement dans la mesure où il y a transformation d’un bien, mais aussi lorsqu’un bien est transféré d’un lieu à un autre ou encore change de propriétaire.
 

          […] s’il y a une barre de chocolat sur le comptoir entre vous et moi, elle peut être consommée par l’un de nous. Toutefois, dans l’hypothèse où elle appartient à l’un, elle ne peut être consommée par l’autre sans sa permission. Pour le propriétaire, il s’agit d’un bien de consommation; pour l’autre, il s’agit d’un bien d’un ordre plus élevé, qui ne nécessite ni modification physique, ni déplacement, mais plutôt un transfert de titre de propriété, c’est-à-dire un échange qui lui permet de considérer la barre de chocolat comme un bien de consommation à lui. Or, la transformation d’un bien d’un ordre à un autre plus bas est précisément ce qui est signifié par production. – William Barnett II & Walter Block(1)

          Que la monnaie d’espèces puisse être considérée comme un bien de production va de soi considérant qu’on se la procure pour la même raison qu’on se procure un bien de production, à savoir pour ce qu’elle peut « transformer ». La monnaie ne modifie pas l’objet ou le service comme tel, elle permet plutôt de changer son rapport avec lui. Or, c’est ce à quoi on s’attend d’un bien de production, soit d’accroître la satisfaction. Par conséquent, un bien de consommation n’est pas nécessairement différent d’un bien de production puisque l’ultime critère qui les différencie est le rapport entre la personne et l’objet.

          La monnaie fiduciaire joue également ce rôle au sens où elle permet un échange de propriété, à cette différence qu’on lui attribue une valeur alors qu’on ne devrait pas. En effet, puisqu’elle est mise en circulation sans qu’il y ait eu production de richesse au préalable, elle sert donc à s’approprier la richesse sans elle-même en constituer. On tente de la justifier en prétextant la mettre en circulation au même rythme qu’était produite la monnaie de métal, mais cela ne lui donne aucune valeur métallique. Que les billets servent, comme autrefois dans le système de l’étalon-or, de créance à la monnaie métallique est une chose; qu’ils puissent constituer la monnaie elle-même en est une autre. Les ex-substituts de monnaie métallique étaient une dette, la monnaie métallique un actif, tandis que la monnaie fiduciaire n’est rien d'autre qu’un moyen d’échange frauduleux imposé par l'État.

          Dans la mesure où on fonde sa richesse sur une monnaie fiduciaire, on court le risque de la voir complètement disparaître dans un vent de panique, car lui attribuer une valeur démontre une incompréhension de la monnaie qui ne saurait durer. Produite sans restriction et sans coût, il n’y a aucune raison de lui attribuer une valeur d’échange. Sa légalité ne lui confère ni sa valeur, ni sa légitimité.

 

1. Il s’agit d’une traduction libre de l'extrait suivant: « However, if there is a candy bar on the desk between you and me, it can be consumed by either of us. However, assuming it is owned by one of us, it may not be consumed by the other, without permission. For the owner it is a consumers’ good; for the other party it is something of a higher order that first requires neither physical transformation nor spatial relocation, but, rather, a transfer of ownership rights; i.e., exchange, for it to become a consumers’ good of his. But, the transformation of a good from higher to lower order is, precisely, what is meant by production. » Money: Capital Good, Consumers’ Good, or (Media of) Exchange Good?

 

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