| L’auteur de La Guerre 
                    des mondes a-t-elle eu lieu? nous donne plusieurs 
                    exemples de ce qui s’est écrit comme énormités au fil des 
                    années. Voici la description des 
                    réactions suscitées par l’émission selon les intellos du 7e 
                    art, ceux de la revue Cinéma 1957:
 
 
                      
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                        Voitures filant à 120 à l’heure dans les deux sens, 
                        campagnards se précipitant à la ville et citadins fuyant 
                        vers la campagne, suicides, jambes cassées, fausses 
                        couches, invasions massives des églises, des hôpitaux et 
                        des commissariats de police, la panique dura plus de 
                        douze heures. On raconte même que des membres de la 
                        Croix-Rouge durent se rendre dans les montagnes du 
                        Dakota quelques semaines plus tard pour persuader les 
                        derniers réfugiés que finalement les Martiens n’avaient 
                        pas débarqués et qu’ils pouvaient rentrer chez eux. 
                        (p. 207) |            
                    En 1968, Richard W. O’Donnell, un journaliste du Boston 
                    Globe, est chargé de faire un papier anniversaire sur 
                    l’événement. Il part à la recherche d’habitants de Boston 
                    qui se seraient laissés emporter par la vague de panique. Un 
                    homme raconte qu’il a sauvé un ami qui allait tomber du haut 
                    d’un toit où il s’était perché pour scruter l’horizon à la 
                    recherche de Martiens. Une femme raconte qu’un attroupement 
                    de gens s’était formé sur Tremont Street et qu’on pouvait 
                    « voir la terreur se dessiner sur leur visage ». Un autre 
                    raconte qu’il s’est préparé à l’invasion en ressortant un 
                    vieux casque en métal de la Première Guerre mondiale.
 « O’Donnell raconte qu’il 
                    ressentait de la fierté à l’égard de ses concitoyens. 
                    Jusqu’au moment où, en effectuant quelques recherches 
                    supplémentaires, il découvrit que, ce fameux soir, la 
                    station WEEI affiliée à CBS avait retransmis non pas 
                    l’émission de Welles, jugée trop peu populaire, mais une 
                    émission religieuse. Personne, à Boston, n’avait écouté la 
                    pièce d’Orson Welles! » (p. 167) L’histoire est tellement 
                    ancrée dans l’imaginaire collectif que même des gens qui 
                    n’ont pas écouté l’émission « s’en souviennent » comme s’ils 
                    l’avaient entendue (un peu comme ces personnes qui disent s'être fait enlever par des extra-terrestres ou 
                    être allées « de l'autre côté » après avoir subi un 
                    arrêt cardiaque: elles racontent toutes sensiblement la même 
                    histoire qu'elles ont entendue maintes et maintes fois...).
 
 Pour expliquer, en 
                    partie, ce phénomène, Lagrange relate les travaux du 
                    psychosociologue Muzafer Sherif. « Spécialiste de la 
                    formation des normes au sein de groupes restreints, Sherif 
                    est notamment célèbre pour avoir montré comment un individu 
                    peut en venir à voir autre chose que la réalité qu'il 
                    observe sous la pression d'un groupe qui affirme  que les choses se passent autrement (le psychologue 
                    utilisait des comparses qui affirmaient que telle ligne 
                    était plus longue qu'une autre, en fait, elle était plus 
                    courte, insinuant le doute dans l'esprit du cobaye et le 
                    conduisant à se rallier à cette opinion collective fausse 
                    pour ne pas être marginalisé). » (p. 169)
 
           Selon Pierre Lagrange, la 
                    véritable panique n’a donc pas débuté le soir de l’émission, mais 
                    le lendemain. La véritable panique dont il faut parler n’est 
                    pas celle des auditeurs – la pièce était annoncée depuis 
                    quelques semaines, plusieurs avaient reconnu la voix de 
                    Welles, etc. –, mais celle des gens des médias et des 
                    intellectuels qui ont cru que tout d’un coup, l’Amérique 
                    avait été submergée par une vague d’irrationnalisme et que tout 
                    le monde avait pris au premier degré cette émission de 
                    radio.
 Invité à la radio de 
                    Radio-Canada, le 1er octobre dernier, l'auteur explique 
                    ainsi le phénomène:
 
 
                      
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                        Ce sont les gens cultivés, ceux qui sont en général les 
                        garants de la vérité et de ce qui est considéré comme 
                        étant rationnel ou pas, qui ont plongé comme un seul 
                        homme dans cette idée que tout le reste du monde était 
                        formé de gens stupides qui étaient prêts à croire 
                        n’importe quoi. […] Cette histoire de panique ne tient 
                        que si l’on est persuadé effectivement que le public est 
                        stupide et prêt à avaler n’importe quelle histoire. Mais 
                        si on commence à avoir une idée un peu plus raisonnable 
                        des gens, pas comme une espèce de masse informe qui se 
                        jette par les fenêtres dès qu’il entend un truc à la 
                        radio, on est obligé de réviser notre point de vue parce 
                        que si panique il y a eu, c’est un phénomène extrêmement 
                        localisé qui concerne une petite partie de la 
                        population. |            
                    Voilà ce que fait M. Lagrange dans son 
                    bouquin. Il tient pour acquis que les gens ne sont pas tous 
                    des cruches et revisite les lieux. À l’aide de coupures de 
                    presse de l’époque et de livres consacrés au sujet – 
                    certains plus crédibles que d’autres –, il décortique la 
                    réalité et démontre que ce qui s’est réellement produit le 
                    30 octobre 1938 n’a rien à voir avec ce qu’on a qualifié de 
                    déferlement de panique à travers l’Amérique.
 
                      
                        | Une fois la poussière retombée |            
                    Selon Lagrange, si Welles n’était pas devenu ce qu’il est 
                    devenu, le réalisateur génial que l’on connaît, s’il n’avait 
                    pas notamment réalisé Citizen Kane, il est certain 
                    que cette émission ne serait jamais devenue la plus célèbre 
                    émission de l’histoire de la radio. Et on n’enseignerait pas 
                    l'affaire dans les cours de communication à l’université.
 On pourrait ajouter que 
                    si l’événement avait eu lieu en Ontario, par exemple, ou en 
                    Belgique, personne n’en aurait jamais entendu parler. Le 
                    fait que l’histoire se soit passée aux États-Unis aura 
                    permis – et continue de permettre – à tout un chacun de 
                    casser du sucre sur le dos des Américains. « Non, mais ils 
                    sont quand même cons ces Américains d’avoir cru à tout ça! »
 
 Le fait aussi que l'action se soit passée à la radio explique en partie 
                    l’invention. Les médias, c’est connu, aiment bien parler 
                    d’eux-mêmes. Quoi de mieux alors pour démontrer leur immense 
                    pouvoir sur les masses que d’inventer un tel événement? 
                    (Bien sûr personne ne s’est levé un bon matin en se disant, 
                    « Tiens, je vais créer un mythe de toute pièce ce matin! » 
                    L'histoire a plu, personne, surtout pas les journalistes et 
                    les intellectuels dont c'est censément le rôle, n’a donc senti le besoin de la 
                    remettre en question. Un peu comme tous les mythes colportés 
                    au fil des années sur le paradis communiste en Union 
                    soviétique ou la « grande noirceur » au Québec.)
 
 La Guerre des mondes n’a 
                    pas eu lieu. Cela prendra sans doute plus qu’un livre pour 
                    mettre fin au mythe – c’est que beaucoup 
                    de gens  affectionnent les mythes –, mais heureusement l’information est 
                    maintenant accessible sur le grand marché des idées. The 
                    Truth is Out There.
 
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