Montréal, 15 novembre 2005 • No 160

 

OPINION

 

Paul Beaudry est étudiant en droit à l'Université de Montréal.

 
 

POUR LA NON-INTERVENTION GOUVERNEMENTALE EN MATIÈRE CULTURELLE

 

par Paul Beaudry

 

          Écouter un débat sur la culture entre les aspirants au leadership du Parti québécois s’avère une expérience si désolante qu’elle suffit pour nous convaincre que l’État ne devrait pas intervenir dans le domaine de la culture. Lors d’un des débats ayant eu lieu en octobre dernier, il semblait y avoir consensus parmi les candidats à la chefferie du PQ à l’effet qu’il fallait éliminer la pauvreté chez les artistes. Un projet aussi utopique et absurde aurait suscité un rire poli s’il avait été formulé par un jeune cégépien marxiste, mais le fait qu’il provienne de gens susceptibles de mener le parti formant l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale avait de quoi laisser perplexe.

 

          La prochaine question était inévitable: comment s’assurer de la réalisation d’un tel projet? Les propositions fusèrent: il faut subventionner les artistes dans les régions, parce que ce sont les arts qui assurent la vitalité des régions (pardon?); il faut remplir nos bibliothèques publiques avec des oeuvres québécoises; il faut faire en sorte que les bibliothèques publiques achètent en priorité des livres provenant d’auteurs de leurs régions respectives (pauvres lecteurs de la Côte-Nord). Pourquoi pas imposer des quotas sur les emprunts des lecteurs québécois? J’imagine déjà ce qui pourrait arriver dans quelques années dans une bibliothèque publique près de chez vous:

Lecteur: J’aimerais bien emprunter ce roman de Gabriel Garcia Marquez.

Bibliothécaire: Je crains que ce soit impossible, car en consultant votre dossier, je vois que vous n’avez pas lu votre quota de livres québécois pour le mois.

Lecteur: Comment ça? J’ai lu L’Histoire de Pi de Yann Martel!

Bibliothécaire: Ce livre a connu trop de succès pour qu’on puisse le qualifier de livre « québécois ». Il est dans la section des « best-sellers internationaux ». Si vous voulez un vrai livre québécois, vous devrez lire des livres du terroir, tels Patriote enragé de Pierre Tremblay ou Syndiqué jusqu’au bout de George Larose.

Lecteur: C’est dommage… Pourriez-vous m’indiquer où je pourrais trouver les oeuvres d’Ernest Hemingway?

Bibliothécaire: Désolé, vous ne pouvez pas consulter l’oeuvre d’un auteur anglophone sans la permission d’un fonctionnaire du ministre de la Sauvegarde de la langue.

Lecteur: Mais vous êtes folle!

Bibliothécaire: Je vais devoir vous demander de quitter la bibliothèque. Des gardes de sécurité de la langue vous escorteront jusqu’à la sortie.

          Certains croiront que j’exagère. Peut-être, mais rappelons qu’il y a cinquante ans, personne au Québec n’aurait pu concevoir l’existence d’une « police » de la langue française veillant au respect des lois québécoises sur l’affichage commercial.
 

Convention contre la mondialisation économique

          Malheureusement, il n’y a pas que les candidats à la chefferie du Parti québécois qui se préoccupent de culture. Le 20 octobre dernier, la Conférence générale de l’UNESCO a adopté, à 148 voix contre deux, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Cette convention, selon le site de l’UNESCO, « réaffirme le droit souverain des États d’élaborer des politiques culturelles en vue de "protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles", d’une part, et de "créer les conditions permettant aux cultures de s’épanouir et interagir librement de manière à s’enrichir mutuellement", d’autre part ». Malgré tout ce beau vocabulaire, on peut facilement, en lisant la convention, déceler deux tendances marquées chez ceux qui l'ont rédigée: un dédain pour la mondialisation économique et une valorisation du protectionnisme pour promouvoir la diversité culturelle.
 

« Il existera toujours des politiciens et des bureaucrates croyant que les décisions prises volontairement par des millions de consommateurs ne sont pas valables et qu’il doit y avoir des interventions gouvernementales pour corriger les défaillances du marché. »


          La convention prône l’interventionnisme gouvernemental pour favoriser les différentes expressions culturelles chez les individus, les groupes sociaux, les femmes, les minorités, les autochtones, les artistes, etc. Pour atteindre ses objectifs, la convention prévoit (vous l’aurez deviné) la création d’un Fonds international pour la diversité culturelle! Après le scandale « pétrole contre nourriture », voilà que l’on crée un autre organisme international qui devra être géré par des bureaucrates onusiens!

          Le site internet de l’UNESCO dénonce les inégalités et l’homogénéisation des cultures créées par la mondialisation. Évidemment, les grands responsables de cette homogénéisation culturelle sont les États-Unis! Selon l’UNESCO, il faudrait donc permettre aux États de légiférer afin de protéger leur population contre l’invasion culturelle américaine. Or, cette façon de voir les choses considère l’individu comme un pion à la merci des puissances économiques dont le bagage culturel doit être « protégé » par décret étatique. Si un Guatémaltèque préfère un produit culturel américain à un produit culturel guatémaltèque, il exerce mal sa liberté de choisir: l’intervention de l’État s’impose!
 

Protectionnisme culturel imposé

          Ce dégoût pour l'« uniformisation culturelle » exprimé par nos élites intellectuelles me rappelle l’histoire d’un ami qui, il y a quelques années, avait visité des communautés mayas du Guatemala avec un anthropologue guatémaltèque. L’anthropologue lui racontait la frustration des universitaires de grandes universités américaines qui, en visitant les villages mayas, constataient avec dégoût que plusieurs mayas avaient délaissé leurs habits traditionnels au profit de jeans et de t-shirts. Il s’agissait d’un autre exemple d’hégémonie culturelle américaine! Or, ces Guatémaltèques n’avaient pas délaissé leurs habits traditionnels parce qu’ils y avaient été forcés; ils les avaient délaissés parce que le coût d’une paire de jeans et d’un t-shirt était moins élevé que le coût de fabrication d’un habit traditionnel. Plusieurs indigènes continuaient par ailleurs à confectionner ces habits, mais ceux-ci étaient majoritairement destinés à être vendus parce qu’ils rapportaient un profit élevé, lequel profit leur garantissait une meilleure qualité de vie.

          Cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres indiquant que l’ouverture des marchés et la libéralisation économique ne bénéficient pas qu’aux « grandes puissances économiques », mais également à des populations que des organisations comme l’UNESCO veulent protéger contre l’« hégémonie » culturelle et économique américaine. Cette « protection » aura très souvent comme conséquence de créer de la pauvreté chez plusieurs populations en limitant leur pouvoir de commercer librement avec d’autres pays.

          Il existera toujours des politiciens et des bureaucrates croyant que les décisions prises volontairement par des millions de consommateurs ne sont pas valables et qu’il doit y avoir des interventions gouvernementales pour corriger les défaillances du marché. Or, le protectionnisme culturel prôné par ces politiciens et bureaucrates, qu’ils soient des candidats à la chefferie du PQ ou des bureaucrates de l’UNESCO, ne reflète que leurs préférences personnelles qu’ils désirent imposer en utilisant l’argent des contribuables.

          Comme le disait le lauréat Nobel d’économie Friedrich Hayek, cette volonté de l’individu de contrôler la société, même au nom de principes nobles telle la diversité culturelle, doit être rejetée comme « a striving which makes him not only a tyrant over his fellows, but which may well make him the destroyer of a civilization which no brain has designed but which has grown from the free efforts of millions of individuals » (Friedrich A. Hayek, « The Pretense of Knowledge », Nobel Prize Lecture, 11 décembre 1974). Espérons que les sages paroles d’Hayek ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd.
 

 

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