Montréal, 15 décembre 2005 • No 161

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

LE LIBÉRALISME: DU POLITIQUE À L’ÉTHIQUE

 

« De grand coeur j'accepte la devise: “le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins”. Et j'aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également: “le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout”. Et lorsque les hommes y seront préparés ce sera celui qu'ils auront. »
 

 

-Henry David Thoreau, 1849

 

 

par André Dorais

 

          La politique est l’art de gouverner, l’éthique, l’art de la conduite. Cependant, savoir se conduire, c’est savoir se gouverner. La politique est d’abord une éthique, mais qui prétend que l’homme ne peut se gouverner seul. Au contraire, le libéral affirme que l’homme se gouverne lui-même tant qu’on le laisse libre. Il y a politique non pas parce que l’homme ne sait pas se conduire, mais parce qu’elle ne le laisse pas se conduire. L’éthique se suffit à elle-même.

 

          Un monde sans politique n'en serait pas un sans institutions où règne le chaos, mais plutôt un où ces institutions seraient établies volontairement à l’aide d’ententes et de contrats. Il s’agit d’un idéal, mais non d’une utopie. Le libéralisme n’est pas qu’une doctrine politique, mais une quête d’émancipation. Le libéral ne s’enferme pas dans l’idée que la liberté ne puisse s’épanouir qu'au sein d'une société politique, puisqu’il n’attribue pas à celle-ci un champ différent dont l’éthique s’occupe déjà.

          De son côté, l’étatiste croit non seulement que la justice est préservée grâce au politique, mais qu'elle s’épanouit grâce à elle, de sorte qu’il cherche à agrandir l’État. Oser franchir la frontière politique signifie, à ses yeux, l’injustice et la mort de la liberté. Le libéral croit exactement le contraire, soit que l’épanouissement de l’homme passe par la réduction de l’État. Plutôt que de préserver la liberté, il affirme que l’État l’étouffe. L’anarchiste libéral (ou le libertarien anarcho-capitaliste pour utiliser un terme similaire) va plus loin en affirmant qu’on doit pacifiquement abolir l’État et par conséquent la politique, car c’est le problème et non la solution. Il en fait une question de principe: l’homme peut et doit se gouverner seul.

          L’État est le problème, car il est tout entier basé sur la coercition. Celle-ci est nécessaire en réponse aux comportements agressifs, mais en réponse seulement. En d’autres mots, le maintien de la sécurité exige la contrainte, mais non pas dans l’établissement des institutions vouées à cette fin. Établir la sécurité au moyen de ressources tirées de la taxation et de l’imposition, peu importe le régime politique qui les impose, est non seulement inutile, mais injuste d'un point de vue libéral strict.

          Au cours des trois derniers siècles, le libéralisme s’est confiné essentiellement à deux champs: le politique et l’économique. À son tour, le libéralisme politique a été étroitement associé aux régimes démocratiques, alors que le libéralisme économique est entendu comme synonyme du capitalisme. Or le libéralisme n’a nul besoin du politique, encore moins de la démocratie. Celle-ci impose et taxe sans limites, car elle ne qualifie pas ces moyens de coercitifs, mais comme des leviers pour établir sa conception de la justice, soit essentiellement une plus grande égalité économique. Autrement dit, la liberté entendue sous cette conception se limite essentiellement à pouvoir vivre des fruits du travail d’autrui.
 

« Le libéralisme n’a nul besoin du politique, encore moins de la démocratie. »


          On croit généralement que la démocratie possède une assise solide en se fondant sur les droits individuels, mais ceux-ci sont tout de même malmenés. Les droits individuels sont d’abord des libertés naturelles, c’est-à-dire que l’homme n’a nul besoin de les revendiquer puisqu’elles relèvent de lui. L’homme peut se mouvoir, s’associer, s’exprimer, et cetera, sans avoir à en demander la permission. Pourvu qu’il reconnaisse les mêmes libertés en l’autre, il agit conformément à l’éthique.

          L’ensemble des libertés naturelles, et non seulement celles qu’on retrouve dans les Chartes, constituent le domaine de l’éthique. Elles relèvent toutes du même critère, soit le respect de la propriété ou la non-agression envers autrui. Ces concepts, dans leur acception large, ont essentiellement la même signification, soit le respect d’autrui et de ce qui lui appartient. Si la propriété se confine plus souvent aux biens, elle n’exclut pas le respect de la personne au sens où elle doit être entendue également comme propriété de soi. De même, la non-agression se confine plus souvent à l’individu, mais s’étend également au respect de ses biens.

          Respecter ce seul principe, la propriété ou la non-agression, implique nécessairement le respect de l’ensemble des libertés. Ces libertés sont moralement antérieures et supérieures aux impératifs et aux intérêts du gouvernement. Les libéraux de la tradition classique diraient que les citoyens ne sont contraints d'obéir au gouvernement que s’il garantit à chacun ses libertés. Le gouvernement trouve sa légitimité dans la mesure où il protège et élargit systématiquement la jouissance de ces « droits de l'homme » au profit des citoyens. L’anarchiste libéral va plus loin en affirmant que l’éthique se suffit à elle-même, c’est-à-dire que le respect de la propriété ou de l’ensemble des libertés n’a besoin que d’une garantie institutionnelle, mais pas nécessairement politique.

          À taxer et à imposer, le gouvernement viole la propriété au sens strict, soit la liberté de disposer de ses biens comme on l’entend. L’anarchiste libéral ne fait pas de la justice une question de degré, mais une question de principe, c’est-à-dire qu’il ne tolère aucune violation à la liberté. À ceux qui en font une question de degré, il pose les questions suivantes: quel est le degré légitime de taxation et d’imposition et comment le déterminer? En répondant « un degré raisonnable » on ouvre la porte à tous les excès et en répondant que le gouvernement doit faire ci ou ça, on enfreint nécessairement la liberté de disposer de ses biens.

          Une conception de la justice qui varie en degré selon qui est au pouvoir, est-ce vraiment de la justice? N’est-ce pas plutôt son contraire? Pour être vraiment cohérente, la justice libérale doit franchir une étape supplémentaire, soit de passer du politique à l’éthique, ou de l’étatisme à l’anarchisme.
 

 

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