Montréal, 15 décembre 2005 • No 161

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

POURQUOI LES INNOVATIONS
NE TOMBENT PAS DU CIEL?

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          Depuis maintenant plus d’un siècle, c’est aux États-Unis que prennent naissance des innovations technologiques qui entraînent de profonds bouleversements s’apparentant à de véritables révolutions technologiques (cinéma, téléphone, radio, télévision, informatique, Internet, moteur de recherche, biotechnologie, etc.). Même si la plupart des découvertes et des inventions sont nées en Europe, c’est aux États-Unis qu’elles ont donné lieu à l’émergence de trajectoires technologiques génératrices de nouveaux produits et de nouvelles industries.

 

          Il n’est pas anodin de remarquer que c’est dans le pays doté d’une stabilité politique et institutionnelle remarquable que l’on assiste à des révolutions technologiques fondamentales. C’est précisément un tel cadre qui fait défaut à l’Europe en général, et à la France en particulier qui n’a guère connu de stabilité institutionnelle et politique depuis la révolution française. Or, c’est dans les pays où les révolutions politiques sont les plus probables ou l’instabilité politique grandissante que les révolutions technologiques sont étouffées et contrariées, notamment par l’instabilité institutionnelle qui accroît le risque-pays.
 

Innovation, incertitude institutionnelle et risque-pays

          Les innovations ne constituent nullement des entités désincarnées dont la logique d’apparition et de diffusion répondrait à une trajectoire mécanique indépendante des comportements des acteurs concernés par leur genèse et leur diffusion (entreprises, chercheurs, entrepreneurs). Les innovations sont sensibles au risque-pays. À force de vouloir capturer les phénomènes économiques dans des modèles de plus en plus sophistiqués, les analyses économiques en oublient trop souvent la dimension humaine, laquelle est à chaque instant présente dans la dynamique de la technologie: la compétition est le fait de rapports entre acteurs économiques; et les innovations surgissent de ces rapports. Les modèles des économistes ont tendance à donner l’illusion que les innovations technologiques s’imposent aux individus et aux organisations par le jeu d’une trajectoire technologique immanente qui découlerait d’un modèle unique d’évolution. « On n’arrête pas le progrès » dit le dicton populaire. Pourtant, dans de nombreux pays soumis à des révolutions de palais chronique, le progrès s’est bel et bien arrêté, et avec lui, le développement économique et social.

          Les innovations sont sensibles au risque-pays parce qu’elles résultent toujours d’un comportement d’investissement et que l’investissement est sensible au risque. Le risque-pays rétroagit lui-même sur deux éléments fondamentaux: les facteurs financiers et les facteurs démographiques. Les facteurs financiers et démographiques illustrent, outre leur spécificité, un problème humain commun: la question du temps. Le problème de l’horizon temporel dans lequel se projettent nécessairement chaque individu et chaque groupe d’individus est déterminant. La prise en compte du futur permet de donner un sens aux changements plutôt que de les subir en s’accrochant à un présent routinier et répétitif. Mais, si le présent est répétitif, le futur est toujours nouveau car résultant d’un processus évolutif. De plus, le futur est pour une grande part indéterminée, et cette indétermination est fonction croissante du risque-pays.

          Cette inscription dans le temps est la marque d’un projet, lequel exprime des aspirations – des ambitions – individuelles. C’est une dimension humaine majeure car l’individu ne peut vivre sans vision d’avenir, l’individu ne s’inscrit pas dans la seule répétition à l’identique du présent.

          Cette inscription dans un projet a des conséquences financières et démographiques. Sur le plan financier, la prise en compte du temps s’exprime à travers les comportements d’épargne. La dynamique financière traduit l’arbitrage intertemporel réalisé par les individus et qui permet aux entreprises d’investir. De ce point de vue, le placement financier est l’expression d’un double choix en faveur du futur: d’une part, le détenteur de revenu ne consomme pas immédiatement tout son revenu en perspective du lendemain; d’autre part, il permet ainsi de financer les investissements des entreprises, lesquels correspondent à la production et aux emplois de demain.

          La prise en compte du temps s’exprime aussi dans les comportements démographiques. La dynamique démographique est la traduction d’un arbitrage intertemporel non plus cette fois en termes financiers mais en termes humains. La jeunesse, c’est clairement l’avenir d’un groupe social et l’expression d’une forme d’investissement dans le capital humain.

Le contexte institutionnel

          Les agents économiques ne sont donc pas des objets sans conscience obéissant aveuglement à des lois de comportements mécaniques. Ils sont, au contraire, doués de personnalité et de rationalité: ils peuvent changer d’avis ou commettre des erreurs et c’est bien là le propre de la décision humaine. La dimension psychologique va donc s’avérer cruciale dans l’appréhension du risque: si les acteurs économiques considèrent, à tort ou à raison, qu’il est trop difficile d’innover, le fait qu’ils le pensent est justement ce qui va les motiver dans leur choix de retarder ou ralentir les innovations. Les « signaux » que produit l’environnement institutionnel sont à cet égard fondamentaux.

          Considérons deux économies fictives caractérisées par le poids des prélèvements et des dépenses publiques. Dans l’économie A, les prélèvements et les dépenses publiques sont élevés. En conséquence, les incitations à travailler sont diminuées: en effet, le gain procuré par le revenu du travail est amputé par les prélèvements alors qu’une plus grande partie de la consommation des ménages (santé, éducation, loisir) est prise en charge par la collectivité et qu’une plus grande partie du revenu ne dépend donc plus du travail (c’est le revenu indirect). Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur l’existence d’un système de protection sociale qui traduit un degré élevé de développement et de civilisation mais d’en examiner tout simplement les conséquences en termes d’incitations économiques. Percevoir des revenus du travail amoindris dans une telle économie qui offre des biens publics et du revenu social est moins dramatique; mais cet environnement ne délivre plus d’incitations favorables au travail et à la production de richesses qui restent pourtant la condition nécessaire à la croissance et au financement de tous les systèmes sociaux.

          Dans l’économie B, les prélèvements et les dépenses publiques sont plus faibles. De fait, les incitations à produire sont augmentées: l’enrichissement issu du travail est moins amputé alors qu’une part plus faible de la consommation est prise en charge par la collectivité et que la part des revenus sociaux est moins importante. Bénéficier de services publics moindres dans une économie qui encourage l’enrichissement par le travail et permet la création des emplois – du fait de prélèvements (charges et impôts) modestes – est moins dramatique et incite à se procurer du revenu par le travail (revenu direct).

          Imaginons maintenons que les économies A et B baignent dans le même environnement scientifique et technique dont une des caractéristiques fondamentales est de ne pas connaître de frontières géographiques(1). Les habitants de A et B ont alors accès au même potentiel de connaissances. Même si les deux économies partagent le même environnement scientifique et technique, les incitations à acquérir ces connaissances et à les utiliser pour développer des innovations seront plus grandes dans l’économie du pays B. Quoique ces deux situations extrêmes demeurent des cas d’école, il est clair que les économies du continent européen se rapprochent de la situation de type A alors que les économies anglo-saxonnes sont plus proches de la situation de type B. C’est cette différence contextuelle qui explique pour une grande part dans le décalage technologique persistant entre l’Europe et les États-Unis.

La pédagogie de l’échec

          L’innovation demeure un processus aléatoire. La réussite commerciale de l’innovation n’est jamais garantie; ni la dépense préalable en R&D, ni le degré de technicité n’assurent le succès de l’innovation. C’est pourquoi les innovateurs doivent pouvoir réaliser plusieurs tentatives. C’est alors que la dimension psychologique et l’environnement sociétale interviennent à nouveau de manière cruciale. Le processus d’essais et d’erreurs fait partie intégrante de l’innovation. L’environnement socioculturel des acteurs économiques doit donc être ouvert à « l’échec », bien que ce terme péjoratif est mal adapté pour qualifier ce qui n’est qu’une étape nécessaire dans un long et tortueux processus de tâtonnement.
 

« Les agents économiques ne sont donc pas des objets sans conscience obéissant aveuglement à des lois de comportements mécaniques. Ils sont, au contraire, doués de personnalité et de rationalité: ils peuvent changer d’avis ou commettre des erreurs et c’est bien là le propre de la décision humaine. »


          Les économistes ont souligné le rôle majeur de l’apprentissage dans les processus d’innovation. Or, l’apprentissage implique l’échec, qui permet de rectifier les comportements, donc d’apprendre. Ainsi, les individus évoluant dans le pays A auront une plus grande aversion pour le risque alors que les individus évoluant dans le pays B sont incités à prendre des risques. De ce point de vue, la société américaine est bien plus ouverte que la société française: alors que la première voit dans l’échec la preuve que l’individu a tenté quelque chose, la seconde voit dans l’échec la preuve de l’incapacité de l’individu à construire de l’ordre social – d’où l’importance des réglementations qui encadrent les comportements et le rôle prééminent donné à l’État comme garant de l’ordre social – et se sert de l’échec pour inhiber l’innovateur potentiel. L’échec est une faute qui vous renforce dans l’idée que l’autre est meilleur que vous ou, ce qui revient au même, que vous n’auriez jamais dû tenter cette « folie ». Il en découle une aversion au risque exacerbée doublée d’une tyrannie de l’échec qui rigidifient les comportements et braquent les individus par rapport à toute perspective de changements et toute idée nouvelle.

          Les récents débats autour du développement du réseau Internet ou des possibilités ouvertes par les manipulations génétiques (notamment les OGM) sont, à cet égard, révélateurs de deux attitudes psychologiques opposées: d’un côté, on peut s’émerveiller des possibilités ouvertes par la technique; d’un autre côté, on peut en être effrayé. La technique est par nature ambivalente; il ne s’agit nullement de nier les dangers dont elle est toujours porteuse. Mais, il est tout aussi caricatural de nier les progrès qu’elle permet de mettre en oeuvre. Les débats virulents autour des possibilités nouvelles offertes par la technologie sont révélateurs des fantasmes que développe une certaine partie de l’opinion française face à la technologie, notamment quand elle vient des États-Unis.

          Alors qu’il peut être une définition de l’espérance et une version positive de l’ambition personnelle, le « tout est possible » prend chez nous une connotation effrayante qui pousse nos dirigeants à légiférer ou, dans les cas extrêmes, à déclarer un moratoire au nom du principe de précaution. Si l’intention est louable, on sait aussi qu’on ne peut, par définition, baliser par avance le champ des possibles sauf à appauvrir la dynamique de l’innovation. Les attentes de l'« opinion publique » sont en ce domaine bien paradoxales: soit les gens s’effraient du fait que personne ne contrôle le réseau Internet, dénonçant une anarchie insupportable; soit ils s’effraient du fait que le réseau peut être contrôlé par un « big brother » capable d’épier le moindre acte de notre vie privée.

          Devant cette indécision, la technologie n’a pas de réponse. Internet est un reflet « virtuel » du marché: personne ne contrôle le marché car tout le monde y participe d’une manière ou d’une autre.
 

La dimension financière et démographique du risque-pays

          Le risque-pays est une donnée structurelle que l’on ne peut modifier que par des politiques structurelles qui sont de nature à agir notamment sur l’environnement financier et démographique d’un pays. L’incapacité à mettre en oeuvre de telles réformes de structure est un facteur d’accroissement du risque-pays.

La dimension financière

          Revenons un instant sur l’épisode des enchères organisées en Angleterre et en Allemagne pour l’attribution des fréquences aux nouvelles générations de téléphones portables. À cette époque, le gouvernement français s’est refusé à adopter ce même processus d’enchères. La raison invoquée était qu’il était indispensable de protéger les intérêts des groupes français de communication qui n’avaient pas les moyens de riposter à une offre de firmes étrangères plus richement dotées(2).

          Remarquons au passage que la notion de firmes étrangères produit une résonance étrange à un moment où l’on s’efforce de construire l’Europe. En effet, alors que nos dirigeants se sont efforcés de nous expliquer qu’il fallait construire l’Europe dont l’euro – sa monnaie unique – constituerait le premier symbole, il est assez surprenant que ces mêmes dirigeants considèrent les capitaux allemands, anglais, espagnols ou italiens comme des capitaux étrangers dont il faudrait se protéger. De plus, c’est précisément cette volonté de privilégier la souveraineté nationale par rapport aux intérêts stratégiques des firmes qui a contribué, par le passé, à notre isolement dans un grand nombre de secteurs industriels.

          Il est aussi légitime de se demander pourquoi, alors que la France se présente comme une des premières puissances économiques du monde, les groupes français des télécommunications n’ont justement pas les capacités financières nécessaires pour participer aux restructurations en cours et à venir. Ce constat peut être fait dans le secteur hautement technologique de informatique mais aussi dans un secteur plus traditionnel comme l’industrie touristique alors que la France est le pays le plus visité dans le monde. On observe le même phénomène dans le secteur bancaire. Alors qu’elle commence à sortir d’un isolement imposé par l’histoire des nationalisations des années Mitterrand et la mise en oeuvre d’une réglementation purement nationale pour s’insérer maintenant dans le tissu bancaire européen, force est de constater que nos banques sont loin d’avoir la puissance d’actions de leurs homologues européennes.

          Cette insuffisance de capacités de financement – alors que la plus grande partie de l’épargne des ménages est co-optée pour les besoins de financement de la dette publique – pénalise gravement notre économie, tendant à nourrir cette aversion plus forte pour le risque à un moment où les changements technologiques imposent aux acteurs économiques de faire des choix décisifs mais risqués. La nationalisation de la quasi-totalité du secteur bancaire français dans les années 80, au moment même où les banques européennes se préparaient à un renforcement de la concurrence qui allait nécessairement suivre l'harmonisation du marché bancaire européen, a encore éloigné le système bancaire de sa principale mission de financement de l'activité économique en en faisant le fer de lance d’une politique industrielle de promotion des « champions nationaux » qui s’est avérée être une impasse coûteuse pour le contribuable (voir le cas de Bull).

          De plus, la fiscalité française agit comme un puissant instrument d’orientation de l’épargne en faveur de l’État: les pouvoirs publics canalisent l’épargne vers les produits attrayants – assurance-vie – qui ont pour vocation de financer la dette publique. Le remboursement de la dette publique, s’il est nécessaire, constitue un détournement de l’épargne vers le passé – il s’agit de rembourser les dépenses réalisées hier – alors que la vocation « naturelle » de l’épargne est d’être tournée vers le futur, en permettant de financer l’investissement, c’est-à-dire à faire émerger les activités et les métiers de demain. C’est pourquoi l’État se doit d’être mesuré dans ses dépenses: sa capacité d’endettement n’est pas infinie sauf à hypothéquer l’avenir d’une nation toute entière. N’oublions pas que l’état des finances publiques, et notamment la capacité à maintenir un taux d’endettement soutenable dans le temps, est un élément fondamental du risque-pays.

          L’histoire des grandes innovations montre enfin qu’un inventeur est rarement à la fois créateur et gestionnaire, et que le lancement d’une innovation requiert une équipe qui permet de réunir différentes compétences (ingénieur, manager et financier). Il est aussi rare qu’il dispose de l’argent nécessaire à l’exploitation industrielle de son invention, d’où l’intérêt de la société anonyme qui lui permettra d’accéder aux marchés des capitaux. Encore faut-il que les marchés financiers soient suffisamment développés et orientés vers l’innovation. Aux États-Unis, le développement du capital-risque (venture capital) contribue à assurer le financement des PME les plus innovantes. Lorsqu’une entreprise créée ou reprise sur deux disparaît dans les cinq années qui suivent sa création, le risque est considérable pour l’apporteur de capital; mais le gain en cas de succès permet de largement récupérer sa mise initiale. Cette seule possibilité, aussi minime soit elle, suffit à constituer une puissante incitation à la création d’entreprise. Les candidats à l’innovation, moins timides, se risquent plus volontiers à plusieurs tentatives.

          La possibilité de faire fortune ou le risque de tout perdre constituent des éléments culturellement acceptés dans les sociétés anglo-saxonnes et interviennent de manière déterminante dans les comportements d’innovation. En France, non seulement l’échec est mal vécu mais la réussite économique est mal acceptée par la collectivité qui se plaît à montrer du doigt « ceux que la crise – ou la croissance selon la conjoncture – enrichit ». Mais, ce serait une erreur grave de chercher à limiter les opportunités d’enrichissement qui résultent de l’aboutissement d’un processus d’innovations.

La dimension démographique

          Puisque le capital humain joue un rôle primordial dans la croissance économique, puisque la richesse est avant toute chose dans la personne humaine, il convient de redonner à la variable démographique toute son importance dans l’analyse de la dynamique économique en général, et dans l’étude des comportements d’innovation et de diffusion des innovations en particulier. Alfred Sauvy fut l’un des rares économistes à avoir intégré les facteurs démographiques dans l’explication de la croissance économique en posant explicitement la question des rapports entre progrès technique et structures démographiques(3). Il a défendu la thèse selon laquelle le dynamisme démographique favorise la croissance économique et le progrès technique tandis que la stagnation démographique est un facteur de ralentissement des innovations.

          Plus tard, dans le modèle de croissance néoclassique, la démographie intervient comme un paramètre exogène qui explique la croissance de la taille de l’économie. Certes, la taille de l’économie est une variable importante dans le sens où l’importance des marchés conditionne les tailles critiques des entreprises à partir desquelles il est rationnel d’entreprendre des investissements, et notamment des investissements dans la R&D.

          Pourtant, les facteurs démographiques sont rarement évoqués par les théoriciens de l’innovation sauf sous leur angle purement quantitatif. Mais la prise en compte de la dimension humaine de l’innovation invite à poser par exemple le problème du vieillissement de la population. L’Europe est caractérisée par la faiblesse de ses taux de fécondité et, dans le même temps, la durée moyenne de la vie augmente régulièrement. Il en découle un vieillissement de la population qui n’est pas sans conséquence sur la dynamique économique en général – notamment le financement des systèmes de retraite –, et sur la dynamique des innovations en particulier. En effet, le vieillissement d’une population peut produire deux effets qui vont affecter la propension à innover d’une nation.

          D’une part, sans jeunesse, pas d’innovations, car l’incitation à innover diminue avec l’âge des individus. Le cycle de vie des entreprises est en rapport avec celui des individus qui la composent et le personnage de l’entrepreneur est doté de certaines qualités – goût du risque et de la nouveauté, esprit aventurier ou pionnier – qui caractérisent plutôt les personnes les moins âgées. D’autre part, la légitimité sociale du changement – et son degré d’acceptation par l’ensemble du corps social – dépendent de l’âge moyen de la population. Si le changement stimule les plus jeunes, il inquiète et menace dans le même temps les plus âgés. Car pour les premiers, le changement est le moyen de lancer une carrière et de conquérir une place dans la société; pour les seconds, c’est une remise en cause de leurs positions acquises. Ainsi, le degré d’ouverture au changement d’une société sera lié en partie à l’âge moyen de sa population.

          Enfin, la structure par âge d’une population conditionne la viabilité des systèmes de financement des retraites, notamment les systèmes fondés sur le principe de répartition dont la pérennité repose sur le respect d’un ratio population active/population à la retraite. Ce ratio peut être considéré comme un véritable « taux d’intérêt biologique » qui conditionne le rendement des systèmes de répartition. Le déclin démographique, lié notamment à l’allongement de la durée de la vie et la baisse du taux de fécondité, provoque une baisse du « taux d’intérêt biologique » qui, à son tour, accroît le risque-pays.
 

Conclusion

          Les innovations technologiques ne se décrètent pas. Elles ne sont pas non plus le résultat inéluctable de grands programmes technologiques financés par les États dont les attentes ne correspondent pas nécessairement à ceux de la société civile.

          La genèse et la diffusion dans le tissu économique et social des innovations technologiques supposent un contexte institutionnel favorable à l’investissement et à la prise de risque. Dans de nombreux pays enfermés dans le dogme de l’État régulateur, une vision trop maximaliste du principe de précaution (qui conduit à ne pas entreprendre de recherche sous le prétexte que l’on ne connaît pas les effets par avance) combinée à une application poussée du principe de redistribution des revenus (qui modifie les conditions d’arbitrage en faveur de la prise du risque) constituent les principaux facteurs d’épuisement des innovations.

          Les caractéristiques structurelles d’un pays (stabilité institutionnelle, degré de liberté, respects des droits de propriété) conditionnent le risque-pays qui s’apparente à un risque global (macro-risque). Plus ce risque global est élevé, moins les acteurs économiques sont incités à investir en général, à innover en particulier. Le comportement d’innovation est caractérisé par un risque local (ou micro-risque). Les acteurs économiques et sociaux sont d’autant plus incités à affronter le micro-risque que le macro-risque est réduit. Cependant, l’incapacité à conduire les réformes structurelles qui s’imposent dans les pays européens est de nature à accroître le macro-risque, entretenant le décalage technologique persistant entre l’Europe et les États-Unis.

 

1. Si frontière il y a, c’est la frontière du savoir.
2. Le refus des enchères: un retour de la politique industrielle? Le Figaro-Économie, 7 juin 2000.
3. Sauvy [1952].

 

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