Montréal, 15 décembre 2005 • No 161

 

OPINION

 

Jonathan Hamel est étudiant en économie politique à l'Université Laval. Il expose ses réflexions et commente l'actualité sur son blogue: La Sphère des idées J.H.

 
 

LES BASES DU LIBÉRALISME
ET LA PENSÉE DE HAYEK

 

par Jonathan Hamel

 

          Un grand auteur du libéralisme, Friedrich A. Hayek, a clairement expliqué les limites théoriques de l'approche planificatrice par l’intermédiaire de l’État: à savoir que l’individu a une connaissance finie des choses et qu’un modèle rationaliste, fut-il construit par le plus brillant des hommes, n’a qu’une vision essentiellement limitée des choses. Le modèle le plus fidèle à la réalité est un modèle qui emploie tout le monde. Il n’y a donc pas de dirigeants plus importants que les autres qui imposent leur vision des choses. Ce modèle est un modèle radicalement décentralisé et donc individualisé.

 

Décentralisé et individualisé

          Le libéralisme classique anglais s’est beaucoup attaqué à la concentration des pouvoirs dans les mains du monarque. John Locke a été le penseur le plus influent de cette époque à dénoncer l’étatisme monarchiste et son oeuvre Traîté du gouvernement civil est un plaidoyer en faveur de la suprématie des droits individuels contre le monopole et la coercition de l’État. Un plaidoyer optimiste pour redonner le pouvoir aux citoyens.

          Le libéralisme politique a beaucoup évolué de Locke, à Burke, à Adam Smith, Tocqueville, Lord Acton et Hayek. Il y a toujours eu une évolution pour briser le système de privilèges acquis et donner la chance à tout le monde de pouvoir s’élever dans la société.

          Hayek a critiqué radicalement les présupposés des grands rationalistes de l’époque des Lumières, Descartes et Rousseau. Il voyait chez ces personnages une idéalisation de la raison humaine prise comme « une » et « absolue ». Comme si un être « raisonnable » et « rationnel » pouvait posséder un modèle capable de résoudre tous les problèmes. Hayek plaide plutôt pour le côté faillible de la raison.

           Pour lui, l’humain est un être qui n’est pas a priori indépendant; il est un être social, intégré dans cette société et c’est ce caractère « social » qui est le moteur naturel de l’interaction humaine et de la coopération volontaire. L’individualisme promu par le libéral n’est donc pas du tout de l’égoïsme. Il faut bien faire la différence entre ces deux termes. La collaboration spontanée s’inscrit dans la philosophie libérale au départ.
 

« L’humain est un être qui n’est pas a priori indépendant; il est un être social, intégré dans cette société et c’est ce caractère "social" qui est le moteur naturel de l’interaction humaine et de la coopération volontaire. »


          Comme l'écrit Hayek dans « Vrai et faux individualisme »:
 

          Quels sont, alors, les caractères essentiels du vrai individualisme? La première chose qui doit être dite est qu'il s'agit d'abord d'une théorie sociale: un essai pour comprendre les forces qui déterminent la vie sociale de l'homme, et ensuite seulement un ensemble de principes politiques déduits de cette vision de la société. Ce fait devrait en lui-même suffire à refuser le plus sot des malentendus qui courent à ce sujet: l'idée suivant laquelle l'individualisme postulerait (ou fonderait ses arguments sur cette hypothèse) l'existence d'individus isolés ou autosuffisants, au lieu de partir de l'étude de gens dont la nature et le caractère sont déterminés par le fait qu'ils existent en société. Si cela était vrai, l'individualisme n'aurait vraiment rien à apporter à notre compréhension de la société. [...] L'étape suivante de l'analyse sociale de l'individualisme est dirigée, elle, contre un pseudo-individualisme rationaliste qui ne conduit pas moins au collectivisme dans la pratique. Elle consiste à affirmer que nous pouvons découvrir, en examinant les effets combinés des actions individuelles, que bien des institutions sur lesquelles repose le progrès humain sont apparues et fonctionnent sans qu'aucun esprit ne les ait connues ni ne les contrôle. Que, suivant l'expression d'Adam Ferguson, « Les nations se retrouvent face à des institutions qui sont bel et bien le résultat de l'action des hommes, sans être celui d'un projet humain » et que la collaboration spontanée des hommes libres engendre souvent des résultats qui dépassent ce que leur cervelle d'individus pourra jamais entièrement saisir.

          Selon Hayek, les institutions sociales se sont développées naturellement, par le résultats d’actions humaines et non par un quelconque « projet social ». Le caractère spontané des insitutions sociales comme la famille prouve bien que l'individu est inscrit spontanément dans des cadres sociaux, sans pour autant que ceux-ci soient construits par quelque penseur omniscient.

          L'homme a toujours été un « animal grégaire ». Il en allait de sa survie durant les âges de la Préhistoire et l'apport positif que nous amènent les autres est tout aussi vrai aujourd'hui. Cet aspect du regroupement est naturel et volontaire; l'État est au contraire une institution artificielle obligatoire qui force les gens à se soumettre à des régles décidées par une élite d'intellectuels rationalistes qui croient avoir trouvé la Vérité pure et le modèle parfait pour régenter les comportements sociaux.
 

Profondément humaniste et optimiste

 

          [...] la collaboration spontanée des hommes libres engendre souvent des résultats qui dépassent ce que leur cervelle d'individus pourra jamais entièrement saisir.

          Cette citation de Hayek, qui mérite d'être relue et étudiée, est la base du capitalisme où l’échange entre hommes libres contribue à leurs intérêts respectifs.

          La philosophie libérale est profondément humaniste et optimiste, elle croit au potentiel de l’individu et aux bienfaits de la conjonction des actions humaines. Plus que jamais, elle est aussi sceptique face à de quelconques principes directeurs qu’il faut imposer – que ceux-ci viennent de préceptes moraux religieux ou de préceptes socialistes. Le libéralisme est ancré dans la tolérance, tolérance envers les valeurs de l’autre. Le libéralisme est l’antithèse de l’impérialisme, c’est l’humilité de se dire qu’on n’est pas parfait et que l'on n’a pas à imposer ses valeurs, même celles qui ont trait à la démocratie, aux autres. Le libéralisme croit à une coercition minimale de l’État tant économiquement que socialement.

          La philosophie libérale est aussi essentiellement créatrice, axée vers l’avenir, bien loin du pessimisme généralisé que les socialistes et les conservateursnous exposent. Ceux-ci veulent un État plus fort et coercitif, soit par l'interventionnisme économique et l'imposition de valeurs « progressistes », soit par la construction d'une machine militaire et l'imposition de valeurs traditionnelles.
 
          Hayek a tracé radicalement la différence entre les libéraux et les conservateurs: le libéral ne croit pas aux solutions collectivistes autant de « droite » que de « gauche ». Même si moralement, le libéral peut ne pas être attiré par certaines valeurs, il ne se permet pas d’interdire ce qu’il croit moralement mauvais. Il n’impose tout simplement pas ses valeurs aux autres.
 

 

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