Montréal, 15 décembre 2005 • No 161

 

LE MARCHÉ LIBRE

 

Pierre Desrochers enseigne au Département de géographie de l'Université de Toronto.

 
 

LE PROTOCOLE DE KYOTO:
UN COUP D'ÉPÉE DANS L'AIR

 

par Pierre Desrochers

 

          Le grand cirque médiatique de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques a finalement plié bagage. Les milliers de bonnes âmes venues des quatre coins du globe à Montréal ont repris l'avion vers d'autres centres de conférence climatisés où ils continueront d'œuvrer à la création d'un monde meilleur en dénonçant la mondialisation et le progrès technique. Pendant dix jours, ils ont prêché les vertus d'un plan d'action qui coûterait des milliers de milliards de dollars afin de réduire le réchauffement planétaire de 0.15C au cours du prochain siècle.

 

          Beaucoup de choses ont été dites sur les changements climatiques et il est évidemment difficile pour le commun des mortels de s'y retrouver. Après tout, la question est tellement complexe que personne ne peut prétendre être un spécialiste de toutes les problématiques pertinentes qui sont plus ou moins bien incorporées dans les modèles climatiques et économiques (tendances démographiques, options énergétiques, croissance économique, mécanisme des permis d'émission, santé publique, évolution des écosystèmes, physique et chimie atmosphérique, océanographie, activité solaire, rendements agricoles, etc.)

          On me permettra néanmoins d'ajouter un grain de scepticisme brossé à grands traits au débat, dans la mesure où je m'estime au moins aussi compétent que tous les artistes, politiciens et militants communistes recyclés dans l'environnement que l'on entend depuis quelques semaines. Et pour ceux que la chose intéresse, mon salaire est payé par les contribuables ontariens et non par l'industrie pétrolière, je n'ai jamais reçu de financement pour travailler sur les changements climatiques et ma rémunération pour cette chronique est identique à celle que j'ai reçue pour toutes mes chroniques passées dans le QL, c'est-à-dire inexistante.
 

Un climat d'incertitude

          La première chose que l'on doit comprendre est que nous ne pourrons jamais, entre autres choses, boucher nos volcans, prévenir les modifications à l'axe de rotation terrestre, stabiliser l'activité solaire, éponger la vapeur d'eau dans l'atmosphère et discipliner El Niño. Comme nos ancêtres l'ont fait avant l'ère industrielle, nous devrons nous adapter aux changements climatiques. Certaines périodes, comme celle qui a permis à des Vikings de coloniser le Groenland il y a un millénaire, seront plus chaudes. D'autres, comme la petite ère glaciaire qui a sévit de la fin du Moyen Âge au siècle dernier, seront plus froides.
 



Paysage d'hiver en Hollande pendant la petite ère glaciaire, Andries Vermeulen (1763-1814)

          La plupart des experts s'entendent sur le fait que les périodes plus chaudes ont en général été les plus prospères de l'histoire de l'humanité. Il est vrai que, depuis quelques années, des chercheurs tentent de nous convaincre que le réchauffement de O.6C que nous aurions connu depuis un peu plus d'un siècle serait sans précédent à l'échelle humaine, mais quiconque s'est intéressé à la controverse entourant le « bâton de hockey » climatique peut légitimement demeurer sceptique quant aux énoncés les plus alarmistes(1).
 

Des scénarios plutôt que des prédictions

          L'un des aspects les plus fascinants (ou les plus désolants selon le point de vue) des récentes controverses sur les changements climatiques est que la plupart des manchettes sensationnalistes sont basées sur des modèles informatiques que leurs auteurs n'osent même pas qualifier de prédictions, mais seulement de « scénarios », et que les plus catastrophistes sont basés sur des prémisses complètement farfelues. Par exemple, le pire scénario du GIEC (Groupe international d'experts sur le climat), un réchauffement de près de six degrés au cours du prochain siècle, présuppose une population de 15 milliards d'individus qui émettrait chacun près de quatre fois plus de CO2 qu'à l'heure actuelle. Dans les faits cependant, les démographes s'entendent sur le fait que la population mondiale dépassera à peine les 9 milliards d'individus, tandis que les experts des questions énergétiques nous disent que les émissions de CO2 par individus sont stables depuis deux décennies(2).
 

          Les scénarios douteux ne sont cependant pas limités qu'à l'ampleur possible du réchauffement, mais également à ses conséquences. Comme l'a observé le biogéographe Philip Stott, on trouve dans des revues académiques réputées des pronostics absolument incompatibles quant aux conséquences d'un réchauffement du climat britannique, notamment: 1) des hivers plus humides; 2) des hivers plus secs; 3) une nouvelle ère glaciaire avec un climat arctique; 4) un climat méditerranéen avec des étés infernaux et des périodes de sécheresse qui tueront des milliers d'individus; 5) une plus grande biodiversité; 6) l'extinction rapide d'un grand nombre d'espèces.


L'éventail possible du réchauffement planétaire
 au cours du prochain siècle selon le GIEC

          En fait, comme l'a si bien dit Steven Guilbeault de Greenpeace dans une déclaration absurde qui a fait le tour du monde: « Global warming can mean colder, it can mean drier, it can mean wetter, that's what we're dealing with(3). » En d'autres mots, il n'a pas la moindre idée de ce qu'un possible réchauffement nous réserverait. Une chose est cependant certaine, c'est que les conséquences seront CATASTROPHIQUES!!! Et pourquoi douterait-on de lui? Après tout, la crédibilité de Greenpeace ne repose-t-elle pas sur des prédictions passées particulièrement remarquables? Nos érablières ne sont-elles pas disparues à cause des pluies acides? Des centaines de millions d'Américains ne sont-ils pas morts de malnutrition à cause de la surpopulation et du refroidissement climatique des années 1970? Les Indiens Cris ne sont-ils pas disparus de la Baie James depuis qu'ils ont été victimes du génocide culturel orchestré par Hydro-Québec?
 

« Certaines périodes, comme celle qui a permis à des Vikings de coloniser le Groenland il y a un millénaire, seront plus chaudes. D'autres, comme la petite ère glaciaire qui a sévit de la fin du Moyen Âge au siècle dernier, seront plus froides. »


          Le problème pour les catastrophistes comme M. Guilbeault est évidemment que les conséquences d'un réchauffement d'un ou de quelques degrés Celsius tendent à être passablement complexes. Par exemple, un réchauffement de quelques degrés n'implique pas nécessairement la fonte des glaces en Antarctique, car il semble se traduire dans les faits par une plus grande évaporation, des précipitations plus abondantes et une expansion de la couche de glace. La désertification n'est pas non plus une conséquence inévitable d'un climat plus chaud car, en terme global à tout le moins, les précipitations seront plus importantes. Il est vrai que, selon bon nombre de catastrophistes, les régions arides deviendraient plus sèches et que les régions humides recevraient davantage de précipitations, mais nous savons également que le Sahara était beaucoup plus propice à l'occupation humaine il y a quelques milliers d'années lorsque la température était plus chaude qu'aujourd'hui. De même, l'expansion de la malaria n'a rien à voir avec le climat, car elle a été éradiquée en Europe au cours du dernier siècle par l'assèchement des marais, l'utilisation des insecticides et des changements dans les habitudes vie des gens pendant une période de réchauffement climatique(4).
 

Que faire?

          Dans la mesure où nous n'avons aucun véritable contrôle sur les changements climatiques et où aucun politicien, surtout pas dans les pays les plus démunis, n'osera sacrifier la croissance économique sur l'autel de modèles théoriques, quelles stratégies devrions-nous adapter? Je crois que l'on devrait d'abord admettre les constats suivants:
 

1) réduire les émissions de CO2 de façon marginale n'aura aucun impact prévisible sur les changements climatiques;
2) l'adaptation aux changements climatiques, peu importe leurs directions, est la seule option réaliste;
3) la croissance économique nous rend de moins en moins vulnérables aux changement climatiques, à la fois parce que nos activités productrices (y compris les productions agricoles) prennent de plus en plus place entre quatre murs et parce que nous pouvons bénéficier chaque jour davantage du commerce international;
4) l'innovation technique et l'entrepreneurship en matière de production et de meilleure utilisation de l'énergie que nous produisons sont éminemment plus souhaitables que l'appauvrissement généralisé qui résulterait des politiques de rationnement proposées par les militants écologistes;
5) les problèmes que l'on associe aux changements climatiques dans les pays pauvres, de la malaria aux sécheresses en passant par les ouragans, y sont déjà présents et y tuent des millions de personnes à chaque année. Prévenir une augmentation de la température moyenne d'un ou deux degrés n'y changera rien.

          Dans ce contexte, je crois qu'il est éminemment plus réaliste de reconnaître que la création de richesse facilitera à la fois l'adaptation aux changements climatiques (s'ils ont lieu) et la résorption des problèmes les plus criants dans les économies sous-développées.

          Dans la mesure où le Protocole de Kyoto est un exercice aussi futile que coûteux, comment devrait-on dès lors investir nos ressources limitées? Bien que la démarche ne soit pas parfaite, le groupe d'experts réunis dans le cadre du consensus de Copenhague nous suggère des avenues beaucoup plus prometteuses qui vont de la distribution de vitamines à la construction d'égouts et d'aqueducs.
 



Source: Max Falque, « Le consensus de Copenhague », Futuribles, No 306, Mars 2005, p. 66.

 

Conclusion

          Nos ancêtres les Gaulois, nous dit-on, n'avaient peur que d'une chose: que le ciel leur tombe sur la tête. Il est pour le moins paradoxal qu'une augmentation d'un ou deux degrés Celsius, à une époque où l'espérance de vie dans les économies développées est presque le triple de ce qu'elle était il y a deux milles ans et où nos connaissances sont infiniment plus nombreuses et plus exactes, entraîne une réaction comparable.

          Force est cependant de reconnaître que la nature humaine a toujours fait la partie belle aux prophètes de malheur, que ces derniers examinent des entrailles d'animaux ou construisent des modèles informatiques. Nous avons des problèmes bien plus importants à court terme que de possibles changements climatiques. L'énergie et les ressources gaspillées sur un coup d'épée dans l'air comme le Protocole de Kyoto pourrait être utilisées à bien meilleur escient pour améliorer des situations sur lesquelles nous avons un véritable contrôle.
 
 
 

1. Un mythe concernant le réchauffement de la terre, Institut économique Molinari, Octobre 2004.
2. Ronald Bailey, « The Kyoto Protocol Launches! But Will it Matter », ReasonOnline, 16 février 2004.
3. Edwin J. Feulner, « Keeping Our Cool », www.Townhall.com, 13 décembre 2005, et Licia Corbella, « Ruse of gigantic proportions - Climatologists' protests drowned in a sea of environmentalist bafflegab », www.Calgarysun.com, 11 décembre 2005.
4. Voir notamment les articles sur la question de Paul Reiter de l'Institut Pasteur, « Fever Pitch », TechCentralStation, June 8 2003 et « From Shakespeare to Defoe: Malaria in England in the Little Ice Age », Emerging Infectious Diseases 6(1), 2000.

 

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