Montréal, 5 février 2006 • No 165

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

« MALBOUFFE »: LA LOI DU MOINDRE EFFORT

 

par Mathieu Bréard

 

          J'étais sur le point de prendre mon petit déjeuner l'autre matin lorsque je suis tombé sur un reportage-choc du réseau TVA. Selon un rapport publié par l’ASPQ, un organisme de santé publique, le Québec serait frappé de plein fouet par une grave épidémie d'obésité. « Grand dieu, me voilà en danger », me suis-je dit. Une épidémie est la propagation rapide d'une maladie infectieuse à un grand nombre de personnes par contagion comme la grippe ou le choléra. Moi qui côtoie quotidiennement des gens ayant quelques livres en trop, je risque sûrement d'attraper ce vilain virus avant la fin de l'année!

 

Forcés de manger?!

          Qui prend la décision de manger quatre hot-dogs et de boire deux litres de Pepsi à chaque jour de la semaine? Qui dépose régulièrement sa main sur la pointe de pizza pour la porter à sa bouche? Ne me dites pas que la serveuse vous a forcé. La plupart des fanatiques de la santé publique ne reconnaissent aucune responsabilité individuelle et parentale dans le domaine de l'alimentation. Au même titre que le tabac, nous sommes tous de pauvres victimes innocentes de l’industrie. D'ailleurs, certains cas médiatisés sont si touchants que j'en ai la larme à l'oeil.
 

          Gregory, un obèse de 300 livres, poursuit McDonald en justice. Il accuse la chaîne de restauration rapide de l'avoir obligé pendant des mois à consommer hamburger et crème glacée. Son avocat, Samuel Hirsh, prétend que le pauvre jeune homme ne sait pas ce qui est bon pour lui et que tout ce qu’il avale est hors de son contrôle. À Washington, un fonctionnaire de l'État a déposé une plainte contre l'industrie laitière et la chaîne d'épiceries Safeways, affirmant que ses artères étaient maintenant bouchées à cause d'elles. Il réclame des indemnités compensatoires. Scandaleux, dites-vous? Pourtant, rien ne devrait vous surprendre dans ce monde de déresponsabilisation.

          Inutile de vous dire que tous les ténors de la santé publique ne découragent aucunement ce genre de démarche. Pour eux, personne ne doit être tenu responsable de ses propres décisions, car le grand coupable est extérieur. Comme le souligne si bien le critique culinaire Robert Shoffner: « les adultes sont tous considérés comme de petits enfants et doivent être protégés par le grand frère ou la grande nounou contre les méchants prédateurs du marché ». Qu’à cela ne tienne, les propositions étatiques pour y arriver sont toutes plus infantilisantes les unes que les autres: taxes sur les produits, publicités, censure, subventions, conditions d'âge minimum sur les aliments et même des restrictions sur le zonage des restaurants.
 

« Il y aura probablement bientôt un registre national des consommateurs de chocolat avec une fournée de fonctionnaires imposants des pénalités pour ceux qui dépassent un certain dosage. »


          Dans Le Devoir du 31 janvier, on cite Yves Saint-Armand, président de l’Association des agences de publicités du Québec, selon qui l’industrie doit déjà composer avec toutes sortes de réglementations dont une qui interdit de produire des messages publicitaires visant directement les moins de 13 ans. Totalement ridicule! Qui donne de l’argent de poche à ces enfants? Motus et bouche cousue. À ce rythme, il y aura probablement bientôt un registre national des consommateurs de chocolat avec une fournée de fonctionnaires imposants des pénalités pour ceux qui dépassent un certain dosage.
 

Tous des obèses

          Dites-moi, avez-vous un surplus de poids? Attention à ce que vous allez me répondre, car vous pourriez être considéré par l'État comme « obèse » sans le savoir. Pour développer sa croisade contre le gras, l'État fédéral américain a introduit une nouvelle mesure sur l'obésité qui exagère le nombre d'obèses dans la société. Une mesure du poids qui ne fait aucune distinction entre le gras et le muscle. Ainsi, beaucoup d'Américains en très bonne santé, y compris des athlètes professionnels, sont officiellement obèses aux yeux de l'État. Une façon bien originale de grossir les chiffres quand vient le temps de donner des conférences pour épater la galerie. Fallait vraiment y penser, non? Nous devons cette succulente stratégie à C. Everett Kopp, ancien médecin en chef et protégé de Hillary Clinton.

          Ce n'est pas tout, le Docteur Kelly D. Brownell de l’Université de Yale, un activiste anti-gros, illustre à lui seul l’attitude méprisante de certains intervenants. Au Sénat américain, il a comparé les habitudes alimentaires de la population à celles d'animaux mis en cage. Comme ces bêtes, nous devons être conditionnés et aiguillonnés pour ne pas être tentés par certains types de nourriture. Pour lui, la responsabilité personnelle en matière de nutrition n'existe pas, car les gens sont incapables de prendre les bonnes décisions. Non, mais pour qui se prend-il ce moralisateur de pacotille?

          Nous vivons dans une société qui croule sous l’information en matière de nutrition. Il ne se passe pas une journée sans qu’une nutritionniste ne nous ponde un nouveau guide pour découvrir les plaisirs de la table ou encore de nouvelles façons de gérer notre poids. Tout est disponible et parfaitement accessible à celui qui se donne la peine de fouiller. Reste encore à faire l’effort – ce qui est toujours plus difficile pour ceux qui aiment se faire prendre par la main.
 

Vivre et laisser vivre

          Comme consommateur, nous avons la liberté de faire des choix en fonction de nos besoins, mais surtout du type de vie que nous souhaitons mener. Qui a dit qu’il fallait absolument vivre 100 ans et grimper le Mont Everest? Depuis quand la longévité est-elle devenue une obligation? N’est-il pas préférable de voir une personne mourir en accord avec sa propre conception du bonheur? Quelle est cette manie de vouloir gérer les plaisirs des autres et en imposer les standards?

          Par ses politiques interventionnistes, l’État cherche à modeler, voire uniformiser nos choix, tout en mettant au monde une nouvelle forme de discrimination où un individu ne pourra même plus manger un hot-dog sans se faire pointer du doigt. Réveillez-vous un peu! La guerre contre la « malbouffe » est la toute dernière invention de cette philosophie collectiviste qui prétend que le gouvernement a le devoir de venir fouiller jusque dans notre assiette, afin de mieux contrôler nos habitudes de vie. Elle reflète une tendance anti-capitaliste qui regarde les gens comme des automates, incapables de penser par eux-mêmes et forcés de consommer les produits des grandes sociétés commerciales.