Montréal, 19 mars 2006 • No 171

 

OPINION

 

Bertrand Lemennicier est économiste et professeur à l'Université de Paris II.

 
 

LES MANIFESTATIONS ÉTUDIANTES
CONTRE LE CPE

 

par Bertrand Lemennicier

          Les manifestations contre le contrat première embauche (CPE) ou celles contre le Smig jeune ou contre l’école libre illustrent l’ignorance de la part de nos gouvernants des lois d’airain de la micro-politique(1).

 

          L’affaire est pourtant simple. La génération de 1968, celle de gauche, a usé de son pouvoir politique, via les urnes ou la rue, pour créer sur le marché du travail un secteur protégé de la compétition que se font les travailleurs entre eux et les entrepreneurs entre eux. Les jeunes, les immigrés et les femmes qui souhaitent être embauchés dans des entreprises sont les premières victimes de cette législation. Les instruments utilisés pour construire ce secteur protégé ont été un code du travail (lois Auroux par exemple) particulièrement contraignant pour les employeurs et un prix plancher (le SMIG) en hausse continue.

          Cette législation pèse sur les moins qualifiés d’entre nous. Ceux qui sont exclus du marché du travail par ce protectionnisme voulu et désiré par les partis de gauche et leurs clientèles respectives, ont pour seule alternative (du fait même du caractère universel de cette protection) que de se tourner vers l’assistance publique via toutes les variétés d’aides publiques (y compris l’allocation de chômage et le RMI) ou la clandestinité (travail illégal ou travail noir), voire les deux en même temps.

          Ce secteur protégé et généralisé à l’ensemble du marché du travail crée ce que l’on appelle un chômage de file d’attente. En effet, s’il existe une certaine probabilité d’accéder à un emploi protégé dans un délai raisonnable, cela vaut le coup de faire la queue dans la file d'attente des chômeurs pour obtenir l'emploi protégé convoité. Pour augmenter cette probabilité, les gouvernements de gauche successifs ont:

1) crée des emplois dans le secteur protégé (public et semi-public);
2) favorisé le taux de rotation des emplois en incitant les gens à prendre leur retraite le plus tôt possible, en retardant l'entrée des jeunes sur le marché du travail, en abaissant la durée légale du travail à 35 heures;
3) augmenté ou maintenu la rémunération du secteur protégé (secteur public, SMIG) à un niveau plus élevé que dans le secteur non protégé.

          Simultanément, ces mêmes gouvernants, pour éviter une jacquerie des chômeurs, ont suivi une politique de transferts de revenu via l’assistance publique pour faire patienter tout ce petit monde en quête d’un emploi protégé. Pour comble de l’ironie ils ont fait supporter ces transferts sur les entreprises qui sont aussi obligées de financer cette redistribution.

          Les effets pervers de cette politique sont nombreux. Nous en retiendrons deux.

          Le SMIG pousse les entreprises, à ce niveau de la valeur de la productivité marginale à préférer des employés qualifiés à des non qualifiés. Dans le contexte présent cela les pousse à préférer des jeunes, des femmes ou des immigrés diplômés à ceux qui ne le sont pas. Ils repoussent donc dans la file d’attente toutes les personnes non qualifiées.

          La politique de transferts de revenu pour faire patienter tous ceux qui espèrent pouvoir accéder à un emploi protégé pousse chacun à être plus exigeant sur les conditions salariales, les conditions d’embauche, de licenciement et de travail. Cela les incite à refuser le premier emploi proposé et augmente la durée du chômage. Par un effet de réverbération (ou de hasard moral, diraient les économistes) la politique de transfert s’alourdit augmentant le coût du travail ce qui incite cette fois les entreprises à ne pas embaucher ou à se délocaliser.

          Pour sortir de cette impasse, le gouvernement de droite actuel tente de créer légalement un secteur non protégé en déréglementant très timidement le code du travail. En cela, il essaie de copier le modèle anglo-saxon. Il ne faut pas cependant se tromper sur ce modèle. Il existe dans ces pays, sur le marché du travail, un secteur protégé avec des syndicats bien plus puissants que les nôtres. Mais la probabilité d'accès à ce secteur est très faible. Ceux qui ne peuvent y accéder offrent leur travail dans un large secteur d’emplois légaux non protégés.

          Au lieu d’une longue file d’attente de chômeurs qui patientent de long mois pour obtenir un emploi de « rentier » dans le secteur protégé, on observe sur ce secteur non protégé des salaires plus faibles (la différence de salaire entre les deux secteurs peut aller jusqu’à 20%) et une mobilité (une précarité ou une flexibilité dirait-on en France ou en Europe) plus forte des employés. C’est le prix à payer sur le marché du travail pour entretenir un secteur protégé de la compétition que se font les travailleurs entre eux. On a soit l’un, soit l’autre.

Ici et ailleurs

          Les citoyens français, chômeurs ou non, se sont adaptés au chômage de file d’attente (jusqu’à quand?), les citoyens américains se sont adaptés à un large secteur du marché du travail non protégé, mais chacun des deux modèles a été crée de toute pièce par les hommes politiques de chaque pays respectif sous la pression de groupes d’intérêts syndicaux.

          Une politique réellement libérale consiste avant tout à supprimer le secteur protégé en rendant la liberté contractuelle aux employeurs et employés dans tous les domaines y compris celui de la protection contre les aléas du marché du travail ou de la vie. Le gouvernement de droite actuel ne mène donc pas une politique libérale. Il en va de même de ses homologues dans les pays anglo-saxons. Ces derniers acceptent un secteur protégé plus ou moins étendu. En revanche, chez eux existe un secteur légal non protégé ou toute personne qui désire un travail peut le trouver sans problème. Faire croire le contraire aux lecteurs est un mensonge par omission ou par ignorance.

          En fait, la nouveauté par rapport aux précédents gouvernants de gauche ou de droite dans cette affaire des jeunes, consiste à tenter de créer un secteur non protégé légal sur le marché du travail et à terme à sortir les Français du carcan imposé par le « modèle social » de gauche. En ce sens l’opposition syndicale et politique de gauche a bien compris que le CPE n’est qu’un début. Leur réaction de préserver leurs droits acquis par la violence (qu’ils ont acquis de la même manière) est certes immorale, mais est quelque chose de parfaitement prévisible.

          Le diagnostic étant posé, la stratégie de créer un secteur légal non protégé ayant été choisie, faut-il encore savoir la mener à bien. C’est de cela dont nous voulons discuter. C’est là où l’ignorance de la micro-politique est la plus flagrante de la part de nos gouvernants. Lorsque l’on choisit de mener une déréglementation d’un marché – y compris, donc, du marché du travail – d’une manière graduelle par opposition à la « thérapie » de choc (à l’exemple de la nuit du 4 août 1789), dans le cadre d’une démocratie d’opinion majoritaire, il faut alors subir les lois d’airain de cette démocratie(2).

          Nous en retiendrons une qui a été depuis longtemps répertoriée par les économistes du courant de l’École des Choix Publics: un homme politique qui veut être réélu, doit toujours distribuer les bénéfices de son action sur un petit groupe d’électeurs aux intérêts concentrés et qui peuvent facilement se coaliser pour soutenir cette action et disperser les coûts sur un grand nombre d’électeurs aux intérêts dispersés et qui peuvent difficilement se coaliser pour s’opposer à cette action. Dans tous les autres cas l’action menée sera un échec.

          La nature même d’une action étatique coercitive(3) consiste à séparer, dans l’action menée, ceux qui reçoivent les bénéfices de ceux qui en supportent les coûts(4). Le tableau suivant résume les quatre cas de figures auxquels l’homme politique fait face quand il prend une décision qui va s’appliquer à tous par la force (injuste?) de la loi:



          La zone 4 représente une dispersion à la fois des coûts et des gains. La zone 3 suggère une concentration des gains, mais une dispersion des coûts. La zone 1 montre que les bénéfices et les gains sont concentrés, sur des personnes différentes. Enfin, la zone 2 fait apparaître des coûts concentrés et des gains dispersés. Normalement, la production de biens collectifs tombe dans la zone 4: tout le monde bénéficie et tout le monde paie. Lorsque les coûts et les bénéfices sont concentrés, zone 1, on oppose deux groupes aux intérêts qui peuvent facilement se coaliser et dont l’un supporte les coûts et l’autre les bénéfices.

          Le système démocratique favorise toutes les actions politiques qui concentrent les bénéfices sur un petit nombre d’électeurs et dispersent les coûts sur un grand nombre d’électeurs qui peuvent difficilement se coaliser pour s’y opposer. En revanche, il défavorise les actions qui concentrent les coûts et dispersent les bénéfices (ou dispersent les bénéfices et les coûts). L'intérêt d'un élu est de rechercher les votes des individus concernés par une mesure politique quelconque favorisant leurs intérêts privés et de leur offrir d'en disperser les coûts sur un grand nombre de personnes, en faisant passer cet intérêt privé pour un intérêt public. Servir les intérêts d’un public très large et peu intéressé ne rapporte malheureusement pas de votes supplémentaires. L’homme politique doit donc, s'il veut survivre, servir les intérêts privés de groupes désireux d'user de la contrainte publique à leur avantage. On sait que de telles actions sont néfastes pour l’ensemble de la collectivité.

Choix publics et étudiants

          On comprend mieux alors ce que l’on observe aujourd’hui avec les manifestations des jeunes étudiants contre le CPE et simultanément les violences des jeunes non qualifiés à l’école ou dans les banlieues. Ces deux violences révèlent à l’opinion publique la même crise sociale engendrée par la même cause: l’existence d’un secteur protégé qui s’étend à tout le marché du travail.

          Si le gouvernement ne fait rien pour lutter contre ce secteur protégé qui pousse les non qualifiés dans l'assistance publique et la clandestinité ou le marché noir, il récolte les violences urbaines. Si le gouvernement cherche à ouvrir sur le marché du travail un secteur légal non protégé pour favoriser l'intégration des non qualifiés au marché du travail, les jeunes étudiants perdent leur petit privilège lié à leur qualification, descendent dans la rue et expriment par la violence leur opposition à la destruction de ce privilège(5). C’est un problème tout à fait classique d’une mesure de politique qui concentre les bénéfices sur un groupe et les coûts sur un autre. Les deux descendent dans la rue.

          Le gouvernement de droite déréglemente le marché du travail dans le but avoué de créer un secteur non protégé bénéficiant aux jeunes non qualifiés. Il voudrait par ce biais intégrer sur un marché du travail légal les jeunes des banlieues et éviter leur désespérance. Ces jeunes non qualifiés (qui souvent ne votent pas) sont normalement les gagnants de cette déréglementation.

          Mais le gouvernement dans sa précipitation a oublié qu’il allait concentrer les coûts de cette déréglementation sur un autre groupe de jeunes: les étudiants (qui eux votent davantage). Pourquoi? Parce que les étudiants courent après un diplôme en imaginant que, grâce à lui, ils pourront accéder plus aisément à un emploi dans le secteur protégé. À force de leur dire que le diplôme protège du chômage et de la précarité, ils l’ont cru. Ce qui dans le monde actuel est une illusion. À 80% d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieur (objectif fixé par un gouvernement de gauche) les diplômes universitaires ne révèlent plus la qualité intellectuelle d’un individu, ce que tout enseignant du supérieur sait, qu’il soit de droite ou de gauche. Pour retrouver des gens de qualité, on regarde désormais la mention « Bien » ou « Assez Bien » obtenu par l’étudiant dans ses études.

          Les employeurs ne sont pas philanthropes et paient les employés à la valeur de la productivité d’une heure de leur travail. Si les contraintes d’embauche et de licenciement sont trop fortes et si le salaire minimum excède la valeur de ce qui est produit, ils préfèrent embaucher un jeune qualifié à un autre qui ne l’est pas.
 

« Les employeurs ne sont pas philanthropes et paient les employés à la valeur de la productivité d’une heure de leur travail. Si les contraintes d’embauche et de licenciement sont trop fortes et si le salaire minimum excède la valeur de ce qui est produit, ils préfèrent embaucher un jeune qualifié à un autre qui ne l’est pas. »


          Rappelons que, dans toute cette histoire, le chef d’entreprise ne supporte aucun coût ni n’est bénéficiaire de ces réglementations. Si le coût du travail et le contrat de travail qu’on lui impose sont trop contraignants, il n’embauche pas en France. Il fait ses profits ailleurs. D’où le paradoxe des grandes firmes françaises du CAC 40 qui font des profits élevés qui seront redistribués à des actionnaires étrangers qui eux les réinvestissent ailleurs. Après tout ce sont d’autres employés (étrangers) qui profitent de ces réinvestissements et qui voient leur bien-être s’améliorer au détriment des nationaux: le capitalisme et la mondialisation redistribue les positions des politiquement puissant vers les politiquement faibles(6)!

          Maintenant, si l’étudiant fait des études ou continue ses études, pour l’unique raison que cela lui permet d’avoir, à la marge, un pied dans le secteur protégé, supprimer ce « marchepied » en offrant aux employeurs la possibilité d’embaucher un non-qualifié à sa place, détruit l’investissement dans son diplôme.

          Désormais, l'étudiant du premier cycle se retrouve en compétition avec des non-qualifiés alors qu’il croyait que son diplôme (ou ces quelques années d’études supérieures sans obtenir le diplôme) lui permettrait d’éviter de se retrouver au chômage ou dans un secteur non protégé. Il est rationnel pour lui de se rebeller exactement comme les jeunes des banlieues l’ont fait avant eux devant un « modèle social » si cher aux syndicats et aux partis politiques de gauche qui les exclut de la société.

          Du point de vue de l’homme politique, on est dans la pire situation. C’est l’échec assuré(7). Où est la faute de Villepin? C’est un problème pratique de déréglementation. On connaît la boite à outils depuis longtemps. Il suffit de l’utiliser.

Comment résout-on les problèmes pratiques de déréglementation

          Par définition, une réglementation crée des privilèges et par voie de conséquences des intérêts concentrés et spécifiques pour les maintenir. Naturellement, les bénéficiaires, ici les étudiants qui ne font des études que pour la protection qu’ils en espèrent sur le marché du travail, sont réticents à voir leurs privilèges disparaître. Ils ont peur de perdre leur position de force contre les jeunes des banlieues. Ils sont soutenus par leurs leaders syndicalistes et les hommes politiques qui se sont localisés idéologiquement sur ce segment de la population qui réclame une protection sur le marché du travail et qui, eux aussi, ont peur de perdre le peu de clientèle électorale respective qu’ils ont encore.

          Il ne faut pas s'attendre non plus au soutien immédiat des parents ou de la génération qui précède et qui a trouvé un travail dans le secteur protégé, bien qu'ils savent que leurs enfants seraient les premiers bénéficiaires d'une déréglementation du marché du travail. Ils ne voient que la menace de remplacer ce qui existe, qu’ils connaissent et auquel ils se sont adaptés, par un système inconnu, et peut-être destructeur de leurs habitudes. Ils ont peur qu'un changement de modèle social ne signifie une régression. Qui plus est, ces craintes sont souvent alimentées et amplifiées par une manipulation de l’opinion publique via les médias par ceux dont la position privilégiée est plus directement menacée par la déréglementation du marché du travail. Ces préoccupations sont réelles. Un processus de déréglementation ne peut réussir que si ceux qui la mettent en oeuvre en tiennent compte, les anticipent et les neutralisent. La solution, on la connaît: il faut neutraliser les oppositions et penser le timing de l’opération pour engendrer les résultats électoraux que l’on attend de cette déréglementation.

          Le premier problème consiste à penser le timing. Si l’échéancier électoral est de cinq ans et qu’il faut trois ans pour voir apparaître les premiers effets de la mesure de déréglementation et une année pour la mettre en oeuvre, la réforme doit être menée dans l’année où la nouvelle majorité a conquis le pouvoir. Cela veut dire qu’avant d’avoir pris le pouvoir, la stratégie et la tactique de la déréglementation doit déjà être pensée et prête à être appliquée.

          Or, créer un secteur non protégé parfaitement légal ne se fait pas à un an et six mois d’une échéance électorale majeure. C’est là aussi un des biais fondamentaux de la démocratie d’opinion majoritaire: la réglementation produit des effets visibles rapidement en dispensant souvent ses bienfaits sur un groupe de pression concentrés alors que les effets néfastes de cette réglementation prennent du temps à devenir visibles et sont supportés par des groupes de pression aux intérêts dispersés. C’est l'une des raisons pour lesquelles les hommes politiques préfèrent (dans le cadre de cette conception de la démocratie) réglementer à nouveau plutôt que d’abolir la réglementation source des effets pervers. La déréglementation Villepin arrive trop tard. Elle aurait du être faite d’une manière encore plus radicale en 2003.

          Le second problème consiste à gagner le soutien de l’ensemble des jeunes(8) bénéficiaires de la déréglementation (les jeunes non qualifiés) qui n’accéderont jamais au secteur protégé et des étudiants qualifiés qui ont peur de se retrouver dans un secteur non protégé qu’ils n’anticipaient pas(9) et dont l'opposition pourrait faire échouer la déréglementation. À vrai dire cela ne concerne pas uniquement les étudiants, mais aussi les employeurs, les parents, les syndicats aussi bien que le public en général.

          Dans la pratique, cela signifie qu'il faut:

1) mener une campagne d’information à la manière de celles que l’on mène contre le tabagisme ou l’insécurité routière pour sensibiliser le public aux méfaits de la présence d’un tel secteur protégé sur le marché du travail;
2) prendre des mesures qui profitent directement à ceux qui vont perdre leur privilège. Les étudiants dans les filières dévalorisées ou au début de leurs études dont on connaît les taux d’échec élevés. Il s'agit donc de proposer un avantage plus intéressant que celui offert dans le secteur protégé pour les inciter à renoncer à leurs études et à entrer dans le secteur légal « non protégé » puisqu’il s’agit de la stratégie adoptée par le gouvernement(10). Enfin, il ne faut pas non plus négliger les avantages financiers que l’on peut distribuer. Il vaut mieux racheter un privilège (ou une rente) que de la détruire puisque l’on est certain de créer l’opposition à la déréglementation;
3) neutraliser les hommes politiques, les bureaucraties et les syndicats qui vivent de la distribution de ses prébendes et privilèges;
4) financer cette déréglementation sans que celle-ci fasse supporter les coûts sur un groupe de pression aux intérêts concentrés.

          Il est vrai que cela est plus facile à écrire qu’à mettre en oeuvre. C’est la raison pour laquelle une thérapie de choc reste la meilleure solution avec une réforme des institutions politiques qui empêche les groupes de pression les plus variés d’user de la contrainte publique pour satisfaire leurs intérêts privés. Nous ne sommes pas encore dans cette configuration politique bien qu’elle se posera avec l’arrivée massive à l’âge de la retraite de la génération née après la deuxième guerre mondiale.

          En fait, le contrat de travail offert aux jeunes au lieu d’être une pâle copie d’un CDI sans les contraintes (sur deux ans) devrait être beaucoup plus audacieux voire révolutionnaire. Pour réellement créer un large secteur du marché du travail non protégé par une réglementation contraignante et un prix plancher destructeur d’emplois, il faut que les jeunes et les moins jeunes aient envie d’y entrer. Il faut des avantages supérieurs à ce que l’on peut trouver dans le secteur protégé. C'est une condition nécessaire pour faire accepter la transition.

          Un tel contrat de travail existe. Il est constitué par trois piliers:

> une dotation en capital universelle attachée à l’individu (obtenue à la naissance ou au moment où l'on obtient son premier emploi(11)) pour faire face aux risques inhérents au marché du travail et à la vie elle-même (chômage, formation, retraite, santé) en contrepartie d’une libération totale de l’assujettissement au modèle social imposé à l’ensemble des Français par les gouvernements de droite comme de gauche;
> d’une rémunération en fonction du temps de travail et du talent de l’individu;
> et d’une part variable sous forme de stock options pour l’inciter à coopérer avec l’équipe qui gère l’entreprise.

          On instaurerait alors une compétition entre les deux secteurs et il ne serait plus certain que les jeunes et les plus vieux continueraient à rechercher une situation de « rentier » ou de fonctionnaire dans le secteur protégé compte tenu des avantages du secteur non protégé.

          Il est important de se rappeler que les motivations et les récompenses du secteur non protégé sont très différentes de celles qui régissent le secteur protégé. Les salariés du secteur protégé doivent leur statut à l'ancienneté, et leur prestige à la taille de la firme et/ou au nombre d'employés syndiqués. Les espérances de carrière et de mobilité sociale sont faibles et dépendent plus de vos réseaux d’amis et de vos compromissions morales ou politiques. Enfin, on n’y est pas heureux au travail puisque vos efforts n'y seront jamais récompensés.

          Dans le secteur non protégé, par contraste, la capacité de travail et le talent importent plus que l'ancienneté ou le diplôme. Les possibilités de carrières sont ouvertes aux talents et à ceux qui travaillent durs, la mobilité sociale y est plus forte. On a le plaisir de se dire que sa propre réussite est due à soi-même et non aux réseaux construits à force de compromissions ou de clientélisme. Si l'on doit se compromettre, on peut le refuser facilement en changeant d'employeur ou en créant sa propre entreprise.

          Si les employés du secteur non protégé profitent individuellement de cette situation, ils seront moins enclins à s'y opposer sérieusement. S’ils deviennent travailleurs indépendants, chefs d’entreprise ou actionnaires de l'entreprise qui les emploient, grèves et autres perturbations seront moins fréquentes: la coopération par la copropriété remplace la situation conflictuelle. De plus, la diminution des conflits de travail rend l'entreprise plus attrayante pour les investisseurs, donc sa valeur augmente et les actionnaires-salariés y gagnent. Une entreprise où les employés sont simultanément des actionnaires vaut plus cher, parce qu'il y règne une atmosphère de coopération entre la direction et les employés, plutôt que de conflits syndicaux.

          Enfin, l’indépendance à l’égard des organismes sociaux et syndicaux procurée par la dotation en capital permet de rendre à nouveau plus attrayant le statut de travailleurs indépendants ou de professions « libérales ». L’individu est libéré de sa dépendance à l’égard d’un chef d’entreprise et de l'impôt comme des tracasseries administratives des organismes sociaux à la légitimité douteuse(12) qui l'opprime.

 

1. Terme emprunté à Madsen Pirie, le Directeur de l’Adam Smith Institute, qui a été l’un des conseillers du gouvernement de Mme Thatcher durant la vague des privatisations et déréglementations anglaises des années 1980.
2. Par opposition à une démocratie libérale.
3. Certaines actions étatiques ne sont pas toujours coercitives, par exemple le financement d’un bien public par des Loteries ou des fondations ne disposant pas d’un monopole ou d’un privilège de déduction fiscale.
4. Contrairement aux mécanismes de marché qui interdisent par définition un tel divorce entre ceux qui reçoivent les bénéfices de leurs actions et ceux qui en supportent les coûts, puisque l’on parlera d’échec du marché lorsque certains bénéficient de leurs actions en faisant supportant à d’autres une partie des coûts (externalités négatives) comme pour la question de l’environnement, ou bien bénéficient des actions d’autres personnes qui ont été les seules à en supporter les coûts ( externalités positives) comme avec les inventions. Le paradoxe est de laisser à l’État le soin de corriger ces externalités alors que par la nature même de l’État il ne peut le faire.
5. L’hypocrisie des syndicats étudiants est évidement à son comble lorsque l’on sait que l’éducation nationale, dans le supérieur, propose des emplois extrêmement précaires à une masse d’enseignants: les chargés de TD. Le salaire y est faible, l’emploi est révocable du jour au lendemain par l’enseignant titulaire qui a en charge l’équipe pédagogique. Par ailleurs, en tant que clients, les étudiants n’hésitent pas à demander au professeur le licenciement du chargé de TD qui ne leur plait pas!
6. Tandis que la démocratie redistribue les positions des plus riches et des plus pauvres vers les classes moyennes.
7. Rappelons que Villepin n’est pas un élu, mais un bureaucrate. Il ne doit pas sa position aux votes d’électeurs et peut-être n’a-t-il aucune ambition politique. Ceci peut expliquer son entêtement. Le président de la République lui-même ne briguera pas un nouveau mandat et est donc insensible pour une fois aux pressions de la rue ou de l’opinion publique.
8. Le CPE concerne que les jeunes de moins de 26 ans.
9. Ils sont trompés par le gouvernement dans leurs attentes.
10. Que nous ne partageons pas puisque nous sommes partisans de la thérapie de « choc » et d’une nouvelle « nuit du 4 août 1789 ».
11. Cette proposition s’oppose à l’allocation universelle proposée par les gens d’extrême gauche au sens où une dotation en capital brise le lien de dépendance à l’égard de la bureaucratie (la CNAF) qui gèrerait mensuellement l’allocation universelle. Elle se rapproche du plan Éva de Martine Aubry. Mais son objet est de libérer le salarié et le chef d’entreprise de leur assujettissement aux divers organismes sociaux et syndicaux qui étouffent le marché du travail et la vie de l’individu. Cette dotation est capitalisable et reste sous la responsabilité de l’individu. Les individus ne peuvent remettre ce capital dans les mains d’une entreprise ou d’un syndicat ou encore de bureaucratie dont les intérêts ne sont pas les siens.
12. Ils ont été créés par un gouvernement provisoire non démocratiquement élu par ordonnance le 4 octobre 1945 à la fin de la deuxième guerre mondiale.

 

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