Montréal, 26 mars 2005 • No 172

 

OPINION

 

Mathieu Laine est avocat spécialisé en droit des affaires et enseigne à Sciences-Po. Il est l'auteur de La Grande nurserie: en finir avec l'infantilisation des Français (J.-C. Lattès, 2006).

 
 

SORTONS DE L'ÉTAT NOUNOU!

 

par Mathieu Laine

 

          La France est-elle devenue une Grande Nurserie? Obésité, alcool, cigarette, grippe aviaire, vidéosurveillance, CPE, logement, retour du protectionnisme économique, discrimination positive: sur tous les sujets, l’État nounou nous borde et nous protège. Il nous promet un monde propre, sans risque, tolérant et solidaire et ne cesse de nous donner la conduite à tenir.

 

          Dans notre pays, on croit en effet un peut trop que l’État peut tout. Souvenons-nous de nos propres réactions au coeur de la canicule, et écoutons ce que l’on dit aujourd’hui du virus du chikungunya: « Que fait le gouvernement? ». Idem sur le terrain économique: des entreprises étrangères osent s’intéresser à nos plus beaux fleurons, le plombier polonais ou le patron italien font peur? « Allo État bobo! » Courrons vite sous les jupes de Big Mother réclamer de belles lignes Maginot derrière lesquelles nous protéger. Bercés par l’illusion de l’État sauveur, nous sommes bel et bien entrés dans une spirale de la peur et de la défiance aux risques, alimentant le désir d’État et l’infantilisation des Français.
 

          De nombreux hommes politiques alimentent l’odieux processus. Ils ont perçu l’aubaine! Alors que l’État-providence s’effrite et que leur pouvoir risque bien de sombrer dans les profondeurs des déficits et des dettes publiques, les gouvernants ont à nouveau l’occasion de jouer les beaux rôles. Et, la promesse plus grosse que le ventre, ils vont parfois très loin. Quand ils constitutionnalisent le principe de précaution et créent un « droit au risque zéro »; quand ils exploitent le « filon » des victimes médiatiques et alimentent les tensions communautaires; quand ils revendiquent le monopole des bons sentiments et financent des campagnes, cousues d’eau de rose, pour nous inviter à « faire du sport », « monter et descendre les escaliers » (car c’est bon pour la santé!) ou à « ranger nos affaires pour éviter les chutes » (sic), nos dirigeants nous prennent par la main et nous déresponsabilisent.

 


Mathieu Laine, La Grande nurserie: en finir avec l'infantilisation des Français,
Jean-Claude Lattès, 2006

          Alors que la plupart de nos voisins ont fait le pari – réussi – du désengagement de l’État et de la confiance renouvelée dans le « bon sens » de chacun, nous basculons, à l’inverse, d’un État obèse et dépensier vers un État encore plus étouffant, jouant les marchands de peur, bombant le torse et répétant sans cesse « fais pas ci, fais pas ça! ». Va-t-on bientôt faire imprimer, sur nos barres chocolatées, que « le sucre fait grossir » ou, sur le fronton des maternités, que « naître fait mourir »? À quand les 100 euros d’amende pour avoir acheté trois pots de Nutella la même semaine, pour enrayer l’épidémie d’obésité? L’« envie de pénal », dénoncée par le regretté Philippe Muray, domine bel et bien les discours et étend son emprise, pour notre plus grand bien, sur des sphères de plus en plus privées.
 

« Cette spirale interventionniste et sécuritaire, véritable tyrannie de la précaution, brise les énergies individuelles, étouffe la croissance économique et anéantit l’esprit de responsabilité. »


          Cette spirale interventionniste et sécuritaire, véritable tyrannie de la précaution, brise les énergies individuelles, étouffe la croissance économique et anéantit l’esprit de responsabilité. En diabolisant le risque et en pénalisant l’effort, il incite à la démission, à l’inaction, au repli sur soi. Faire de la politique revient ainsi à gérer les caprices de citoyens traités depuis trop longtemps comme des enfants et se battant, à la porte du Parlement, pour obtenir un avantage, une subvention, un privilège. Nous sommes tous devenus des orphelins du risque, créanciers du grand débiteur universel, de cet État « assurance tout risque », qui crée à tour de bras des commissions, des comités de régulation, des fonds d’indemnisation, donnant l’illusion de l’action mais perpétuant des recettes archaïques et vaines. La Grande Nurserie, c’est ce système, le coeur mourant de l’« exception française », le moteur lancé à plein régime de l’éradication du risque et de l’infantilisation des citoyens.

          Mais c’est oublier que le risque, c’est la vie. Et qu’aujourd’hui, à force d’intervenir, c’est l’État lui-même qui devient le plus grand risque pour les Français. Car ce système, qui taxe tout ce qui bouge, nous dit qu’il ne faut pas boire, pas manger gras, pas fumer et qui définit arbitrairement le temps de travail et l’âge de la retraite, rend la liberté présumée coupable et brise les initiatives. Voilà sans doute pourquoi il a motivé l’émigration de plus de deux millions de talents (dont un million de jeunes), formés en France, mais inexorablement attirés vers des cieux plus cléments.

          L’avenir n’est cependant pas aussi sombre qu’on le dit. Le déclin n’est pas une fatalité, et il est grand temps de passer du constat pessimiste à l’action réformatrice et optimiste. Si l’État ne peut pas tout, nous avons tous à gagner de la responsabilisation. Et si l’on fait à nouveau confiance aux Français, si l’on a le courage de leur dire la vérité, nous redeviendrons très rapidement capables de relever l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés. Tout les pays qui ont fait ce choix ont démontré que la croissance et l’emploi peuvent faire leur grand retour, et profiter à tous, y compris aux plus fragiles.

          Reprenons donc le contrôle de nos vies, croyons à nouveau en nous-mêmes, et troquons, avec confiance, notre « société de contrôle » pour une véritable « société de responsabilité ». Un seul mot d’ordre désormais: brisons les barreaux de la Grande Nurserie! Il est encore temps.

 

* Cet article a d'abord été publié dans La Tribune, le 8 mars 2006.

 

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