Montréal, 9 juillet 2006 • No 183

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

L'ÉTAT DOIT CESSER DE MANIPULER
LES TAUX D'INTÉRÊT

 

par André Dorais

 

          Dans un monde sans banque centrale, où la monnaie serait métallique ou relèverait d’une contrepartie métallique, le taux d’intérêt indiquerait une propension à l’épargne. Plus l'épargne serait faible, plus le taux d'intérêt serait élevé et vice versa. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont faibles, mais l’épargne l’est tout autant. En maintenant bas le taux directeur, la banque centrale encourage les gens à consommer sans se préoccuper de savoir s’il y a eu production au préalable. Elle encourage les entrepreneurs à investir, mais sans se soucier qu’il y ait suffisamment d’épargne pour ce faire. Pour comprendre pourquoi les manipulations de la banque centrale sont néfastes, il faut revenir aux fondements de la théorie monétaire.

 

Dans un marché libre

          L’individu qui est disposé à débourser davantage pour se procurer rapidement produits et services escompte relativement plus l’avenir, toutes choses étant égales par ailleurs, car il accorde plus de valeur à une satisfaction immédiate qu’à une satisfaction future. S’il doit emprunter de l’argent pour satisfaire sa consommation, il paiera à hauteur de son désir le titulaire de monnaie pour que celui-ci remette à plus tard sa propre consommation. Le fondement de l’intérêt monétaire est une préférence générale pour une consommation immédiate plutôt que reportée. À cette fondation doit s’ajouter le risque individuel et circonstanciel.

          Pour qu’un emprunt soit possible, il faut d’abord que des individus aient restreint leur consommation dans le but de l’épargner. S’il n’y a pas d’épargne, aucun emprunt et aucun investissement ne sont possibles. Dans ces circonstances, on consomme ce qu’on produit. Il n’y a pas d’intérêt monétaire, mais la préférence pour le temps présent est sans conteste. L’épargne constitue la pierre angulaire de la hausse du niveau de vie.

          L’épargnant peut thésauriser son argent comme il peut l’investir dans le but de le faire fructifier. Dans un marché exempt d’intervention gouvernementale, le taux d’intérêt en vigueur lui indique s’il est opportun ou non d’investir. Un faible taux d’intérêt indique à l’entrepreneur que les consommateurs épargnent beaucoup et préfèrent patienter pour se procurer biens et services. Il est temps de saisir l’occasion pour accroître ou améliorer la capacité de production.

          La « structure de production » est modifiée en conséquence de ces investissements. L’épargne tirée d’une restriction volontaire de la consommation est utilisée dans le but d’accroître la quantité ou d’améliorer la qualité des biens et services produits. Si l’entrepreneur a su saisir les désirs des consommateurs, et peut concrètement les satisfaire, il sera récompensé par eux sous forme de profits. Idem pour les investisseurs, tandis que les consommateurs se retrouvent plus riches de biens. Tout le monde y gagne.
 

Dans un marché où l’État intervient

          Dans un marché où la monnaie est sous le contrôle de la banque centrale, elle-même sous le contrôle de l’État, on doit se méfier de l’interprétation à donner de la hauteur relative du taux d’intérêt, car celui-ci reflète les objectifs politiques et l'idéologie du gouvernement plutôt que les désirs des consommateurs.
 

« La banque centrale peut influencer les taux d’intérêt uniquement parce qu’elle contrôle la production de monnaie. La monnaie fiduciaire n’est pas le fruit d’un travail, elle est créée d’après des calculs ésotériques. »


          La banque centrale peut influencer les taux d’intérêt uniquement parce qu’elle contrôle la production de monnaie. La monnaie fiduciaire (billets et dépôts bancaires sans contrepartie métallique) n’est pas le fruit d’un travail, elle est créée d’après des calculs ésotériques. Elle est soit mise en circulation directement par la banque centrale, soit indirectement via le crédit bancaire. Cette mise en circulation est facilitée par le maintien de taux d’intérêt qu'on garde artificiellement peu élevé, c'est-à-dire même si les préférences temporelles de la population n'ont pas changé.

          Un bas taux incite les gens à s'endetter, à consommer ou à investir. Il y a un effet de richesse, mais celui-ci est illusoire. En effet, il n’y a pas plus de biens et de services offerts sur le marché qu’avant cet ajout de monnaie en circulation. À court terme, il n’y a pas vraiment de modification à la structure de production, si ce n’est que chaque niveau a plus d’argent, de moindre valeur, avec lequel travailler.

          Suite à une addition de monnaie en circulation, le consommateur dépense davantage. L’entrepreneur agit comme s’il s’agissait d’une épargne plus élevée et s’engage dans différents projets. Néanmoins, il réalise assez rapidement que les ressources n’ont pas augmenté au même rythme que la quantité de monnaie, de sorte qu’afin de poursuivre ses projets, il doit payer plus cher pour les mener à terme. La hausse des prix pousse certains entrepreneurs à abandonner leurs projets, voire à faire faillite.

          La structure de production qui, au moment de la mise en circulation de monnaie additionnelle, ne semblait pas affectée, s’avère passablement modifiée lorsqu’on en réalise les conséquences. Plusieurs niveaux de production sont réduits, d’autres abandonnés. Les investisseurs récupèrent ce qu’ils peuvent et se contentent d’investissements plus sûrs, voire simplement d’épargner, dans la mesure où cela leur est possible. L’effet de richesse est de courte durée et se traduit à moyen terme par une plus grande pauvreté.

          Les manipulations de la banque centrale ne corrigent pas les soubresauts des marchés financiers. Au contraire, elles les déstabilisent et entraînent des malinvestissements et des déséquilibres dans toute l'économie. Pour que le taux d’intérêt puisse véritablement signaler la préférence temporelle des consommateurs, la banque centrale doit laisser sa place aux forces du marché. C’est-à-dire l’ensemble des agents économiques qui échangent produits et services entre eux sans les contraintes de l’État. Dans ces circonstances, l’épargne et l’investissement se traduisent par une production accrue au bénéfice de tous. Au contraire, la mainmise de l’État sur la monnaie et le taux d’intérêt ne font que redistribuer la richesse, et pas nécessairement aux plus pauvres. Cette façon de procéder est instable et risque d’appauvrir tout le monde.
 

 

SOMMAIRE NO 183QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVES RECHERCHEAUTRES ARTICLES DE A. DORAIS

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QL POLITIQUE DE REPRODUCTION ÉCRIVEZ-NOUS