Montréal, 3 septembre 2006 • No 191

 

OPINION

 

Pascal Salin est professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine et auteur, notamment, de Libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2000).

 
 

LES DROITS DE SUCCESSION
SONT UN IMPÔT INIQUE *

 

par Pascal Salin

 

          Dans un pays, la France, où tous les impôts imaginables existent et, le plus souvent, avec des taux parmi les plus élevés du monde, les possibilités de réforme fiscale sont presque illimitées. Ainsi, chaque année, on voit fleurir des propositions visant à réduire tel ou tel impôt, à introduire telle ou telle exemption, à modifier telle ou telle technique fiscale. Après l'ISF l'an dernier, les droits de succession sont maintenant à l'ordre du jour.

 

          La suppression des droits de succession pour un conjoint survivant a d'abord été présentée comme la mesure-phare dans ce domaine, avant que Bercy ne fasse savoir que rien n'avait été décidé. Cette proposition est inspirée par un souci de justice, car il apparaît anormal de taxer deux fois le patrimoine accumulé au cours de leur vie commune par deux conjoints, à la mort de l'un, puis à la mort de l'autre. Bien entendu, la gauche, adepte du conservatisme fiscal, a poussé des cris devant la prétendue injustice que constituerait ce « cadeau fait aux riches ». Et malheureusement, le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, a repris cet argument en déclarant: « Faut-il prendre le risque de subir jusqu'à l'élection présidentielle le slogan "Tout pour les riches?" Je ne crois pas. » Ce faisant, il donne un exemple supplémentaire de la peur panique qui saisit bien des hommes politiques de droite dès lors qu'une mesure pourrait être contestée par la gauche.

          Comme d'habitude, le débat sur la fiscalité, fortement marqué par des préoccupations d'opportunité politique, se focalise sur des mesures de bricolage fiscal au lieu de reposer sur des principes économiques et éthiques. On ne peut en effet pas considérer comme légitime l'idée constamment invoquée selon laquelle il serait juste de prendre relativement plus à ceux qui ont beaucoup, ce qui implique que les taux des droits de succession, comme ceux de l'impôt sur le revenu, soient progressifs.

          En réalité, ce qui serait juste serait de respecter les droits de propriété légitimes des citoyens. Avec une telle volonté, qui correspond à la réalité humaine et aux enseignements de la science économique, les prescriptions seraient bien éloignées des affirmations habituelles. Ainsi, on prétend souvent qu'il n'est pas «juste» que certains héritent de biens qu'ils ont acquis sans efforts ou mérites particuliers. Mais ce qui est en cause dans l'héritage, ce sont d'abord les droits de propriété du défunt. Si quelqu'un a fait l'effort, toute sa vie, d'accumuler un patrimoine non sans avoir payé au passage des montants d'impôts impressionnants, au nom de quel principe peut-on le priver du droit de léguer à ses enfants, à des amis, à une oeuvre charitable ou culturelle, l'ensemble de ce qui lui appartenait? En quoi la mort pourrait-elle autoriser l'État à s'emparer d'une grande partie du patrimoine en question?
 

« Présenter une diminution d'impôt ou une suppression d'impôt comme un "cadeau fiscal", c'est supposer implicitement que les richesses taxées appartiennent à l'État et que celui-ci accepte d'en céder une partie à ceux qui devraient en fait être considérés comme leurs propriétaires légitimes. »


          L'être humain a cette caractéristique formidable de pouvoir se projeter dans le temps, ce qui le conduit à agir en fonction de ce qui peut se passer au-delà de sa propre vie. De ce point de vue, on devrait considérer comme un devoir moral incontournable de respecter la liberté de quiconque riche ou pauvre de transmettre comme il le souhaite ce qu'il aura légitimement accumulé pendant sa vie. C'est pourquoi, en ce qui concerne les droits de succession, il n'y a pas d'autre réforme digne d'intérêt que de les supprimer.

          Certains hommes politiques français, parmi lesquels Nicolas Sarkozy, semblent commencer à le comprendre, ce qui est heureux. Il leur reste maintenant à convaincre l'opinion des justifications non seulement économiques mais morales d'un tel projet. Ainsi, l'idée selon laquelle la suppression des droits de succession constituerait un « cadeau fait aux riches » dérive évidemment du fait que les droits de succession sont progressifs. Mais la progressivité de l'impôt, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu ou des droits de succession, n'a aucune justification. Elle résulte seulement d'un processus politique par lequel une majorité brime une minorité et porte une grave atteinte à ses droits de propriété légitimes, sous prétexte qu'elle est plus ou moins riche.

          Présenter une diminution d'impôt ou une suppression d'impôt comme un « cadeau fiscal », c'est supposer implicitement que les richesses taxées appartiennent à l'État et que celui-ci accepte d'en céder une partie à ceux qui devraient en fait être considérés comme leurs propriétaires légitimes. Une telle conception est celle d'un pays de type communiste. Mais elle est totalement dénuée de sens dans un pays de liberté et de propriété privée. S'il n'existe pas de cadeau fiscal, il n'existe évidemment pas non plus de « cadeau fait aux riches »: le prétendu cadeau paraît d'autant plus important que la spoliation est plus grande. Mais la suppression d'une spoliation n'est qu'un acte de justice et non un cadeau généreux.

          La proposition consistant à supprimer les droits de succession pour un conjoint survivant irait donc dans le bon sens puisqu'elle permettrait d'atténuer une injustice. Mais elle n'est qu'un tout petit pas vers un objectif qui mériterait d'être atteint immédiatement et définitivement: la suppression de tous les droits de succession. Ce qui est choquant n'est donc pas que l'on puisse diminuer ou supprimer les droits de succession dans certains cas étroitement définis, mais que M. Méhaignerie et ses semblables n'aient pas encore adhéré au Parti socialiste.

 

* Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro, le 30 août 2006.

 

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