Montréal, 3 septembre 2006 • No 191

 

OPINION

 

Patrice Vézine est conseiller principal d'Éducation. On peut lire ses réflexions sur son blogue Liberté Avenir

 
 

GÉNÉROSITE POLITIQUE
ET DROITS DE L'INDIVIDU

 

par Patrice Vézine

 

          Ma curiosité fut attirée un certain soir d'été par les programmes de la télévision cubaine sur le satellite. Inévitablement, j'ai pu assister à la diffusion d'une propagande communiste dans laquelle la voix de Fidel Castro enflammait des images héroïques et patriotiques de la Révolution.

 

          Dans ce petit film, Castro énonçait les « principes éthiques » du socialisme:
 

• la modestie;
• le désintéressement;
• l'altruisme;
• la solidarité;
• vivre dans le rêve de ses idéaux.

          Quel homme cruel oserait s'opposer à de tels principes? Il faut vraiment être un suppôt du capitalisme pour ne pas verser une larme d'émotion. Et pourtant, notre éducation a dû normalement nous doter d'un esprit critique nous rendant aptes à lire entre les lignes et à cerner les enjeux.

          Si nous précisons la signification de ces principes, que révèlent-ils de la vision de l'Homme en filigrane?

La modestie: vous devez donc vous abstenir de nourrir des ambitions personnelles, de vous enrichir et de réussir. Votre réussite est strictement collective, et bien sûr modeste afin de garantir l'égalité des conditions de vie.
• Votre champ d'épanouissement personnel est donc fortement entravé.

Le désintéressement: vous ne devez poursuivre aucun but personnel. Vous devez donc agir sans chercher à obtenir le moindre avantage.
• Votre existence en tant qu'individu est vidée de sa source vive: la motivation, l'envie, la reconnaissance de son travail, de ses efforts.

L'altruisme: vous êtes entièrement dévoué aux autres, vous devez vous sacrifier pour les autres.
• Ne pensez donc plus à vous, vivez intégralement pour les autres. Vous n'êtes plus un individu mais l'infime pourcentage d'une masse d'êtres humains qui compte bien plus que votre petite personne.

La solidarité: c'est la pratique quotidienne de l'altruisme. Vous devez aider les autres. Pas n'importe comment: en vous mettant au service de la collectivité, laquelle s'identifie à l'État.
• Tiens, tiens... on y vient...

Vivre dans le rêve de ses idéaux: Votre personne n'est rien devant l'idéal que vous devez servir.
• Porteur de cet idéal collectif, l'État entre les mains d'un Parti unique bienveillant et ayant pour chef Fidel Castro.

          Ces quelques principes révèlent une vision de l'Homme qui ne pense plus, ne vit plus pour lui-même. L'énoncé de ces principes prépare clairement l'Individu à la soumission totale à une idéologie et donc à un Chef suprême qui sait ce qui est bien pour vous. On vous demande implicitement de nier votre personne, votre identité, votre valeur, de refouler vos aspirations individuelles.
 

« La générosité est un sentiment humain spontané, fondé sur le consentement volontaire. Transférée dans le domaine politique, elle se transforme en une contrainte qui dégénère en violences liberticides. »


          Ces quelques mots, en apparence merveilleux, consacrent la destruction de la personne humaine, la mort de l'Individu, la négation des Droits de l'Homme et du Citoyen version 1789.

          La générosité est un sentiment humain spontané, fondé sur le consentement volontaire. Transférée dans le domaine politique, elle se transforme en une contrainte qui dégénère en violences liberticides: expropriations, confiscations des richesses, redistribution à l'aveugle, chasse aux sorcières bourgeoises, contrôle des frontières, collectivisation et contrôle de l'économie. Pour mener à bien et en totalité cette politique, la logique finit par imposer l'étouffement des oppositions et le pas est vite franchi vers le contrôle des médias, la mort de la liberté d'expression et les purges sanglantes.

          Derrière ces beaux principes se cache en fait le lent poison de tous les totalitarismes, de toutes les dictatures, mais aussi de tous les intégrismes religieux.

          La philosophe Ayn Rand, qui a oeuvré toute sa vie contre le collectivisme totalitaire caché derrière des alibis altruistes, a défini une éthique conforme aux droits de l'Homme et à une société véritablement humaine, l'éthique objectiviste: « l'éthique objectiviste considère la vie de l'homme comme le fondement de toute valeur, et sa propre vie comme le but éthique de chaque individu, [...] tout comme la vie est une fin en soi, chaque être humain vivant est une fin en lui-même, non le moyen pour les fins ou le bien-être des autres. »

          Elle nous rappelle également que « le cannibalisme moral de toutes les doctrines hédonistes et altruistes tient dans la prémisse que le bonheur d'un homme nécessite le malheur d'un autre. » Il convient donc de combattre « cette éthique qui considère l'homme comme un animal sacrificiel, qui soutient que l'homme n'a pas le droit de vivre pour lui-même, que les services qu'il peut rendre aux autres sont la seule justification de son existence, et que le sacrifice de soi est son plus haut devoir moral, sa plus grande vertu et sa valeur la plus importante ». (La vertu d'égoïsme, Les Belles Lettres, 1993, p.225.) Nous touchons là aux principes éthiques et moraux de l'individualisme, fondement du libéralisme.