Montréal, 17 septembre 2006 • No 193

 

OPINION

 

Jean-Hugho Lapointe est avocat. Il détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.

 
 

CONTES ET LÉGENDES DU MODÈLE SUÉDOIS

 

par Jean-Hugho Lapointe

 

          Nous avons tous déjà entendu les Léo-Paul Lauzon de ce monde vanter les vertus du socialisme et de la social-démocratie et clamer, à qui veut les entendre, qu'ils fonctionnent et peuvent permettre une société à la fois égalitaire et prospère. À les écouter, les pays scandinaves en seraient d'ailleurs la preuve (la seule, toutefois...).

 

          Le 7 septembre dernier, le réputé magazine anglais The Economist publiait un article intitulé « The Swedish Model: Admire the Best, Forget the Rest ». Ça ne demeure qu'un article, mais compte tenu de la crédibilité du magazine, il mérite que l'on y porte attention – si nos socialistes peuvent citer à tort et à travers les économies scandinaves pour appuyer leurs projets d'État-providence toujours plus grandioses, nous pouvons au moins prendre le temps de lire ce qui se dit en Europe au sujet de ces mystérieux marchés situés de l'autre côté de l'Atlantique.
 

Pays prospère

          Ainsi donc, la Suède serait un pays relativement prospère. Comme pour les autres pays scandinaves, ses systèmes de santé et d'éducation suscitent l'admiration de plusieurs pays européens. Le journal anglais de gauche The Guardian aurait même laissé entendre, il y a un an, que la Suède serait la société ayant obtenu le plus de succès que le monde ait jamais connu!

          En ce 17 septembre, jour d'élections là-bas, il semble pourtant que le Parti social-démocrate, qui a gouverné la Suède, seul ou avec d'autres partis, durant 65 des 74 dernières années, soit menacé de perdre le pouvoir. Avec tant de succès et une feuille de route suscitant autant d'envie à travers le monde (socialiste), que se passe-t-il avec les Suédois pour qu'ils songent à un changement de garde? En lisant le texte, on comprend un peu mieux.

          Un premier élément nous éclaire lorsqu'on nous rappelle qu'en Suède, les parents peuvent utiliser des bons d'étude du gouvernement pour choisir et payer des écoles privées à leurs enfants, essentiellement comme le proposait nul autre que Milton Friedman dans Capitalism and Freedom. De plus, la prestation de soins de santé privés est en rapide expansion. Or, il semble que les principaux problèmes de la Suède ne relèvent pas de ses systèmes d'éducation ou de santé, malgré l'odieuse (!) participation du privé dans ceux-ci, mais bien de son économie et de son marché de l'emploi.

          Le magazine rapporte qu'en vérité, les meilleures années de l'économie suédoise seraient derrière elle. Les cinquante dernières années en auraient été de déclin pour la Suède, comme le laissent voir les statistiques de l'OCDE.
 

L'emploi

          Les grandes faiblesses de l'économie suédoise seraient de deux ordres. La première concerne l'emploi. Le taux de chômage officiel du gouvernement est aussi bas que 6%, mais ces chiffres seraient maquillés pour exclure des statistiques des centaines de milliers de personnes, notamment les étudiants qui souhaiteraient travailler et le nombre particulièrement élevé de travailleurs en congé de maladie prolongé, qui sont considérés comme étant au travail pour les fins du calcul.
 

« Les cinquante dernières années en auraient été de déclin pour la Suède, comme le laissent voir les statistiques de l'OCDE. »


          La création nette d'emploi par le secteur privé est nulle depuis 1950. Le taux de chômage chez les jeunes serait parmi les plus élevés en Europe. Le véritable taux de chômage se situerait entre 15 et 17%, plutôt qu'à 6% comme le laisse entendre le gouvernement. Ceci expliquerait en partie la grogne actuelle des Suédois, qui vivent la réalité plutôt que des statistiques douteuses.

          Les obstacles à la création d'emploi sont nombreux. L'article souligne notamment le climat réglementaire et fiscal, ainsi que la puissance des syndicats. De plus, les impôts élevés, combinés à des prestations sociales généreuses du gouvernement (lesquelles offrent jusqu'à 80% du salaire pendant trois ans à quelqu'un qui perd son emploi), découragent le travail.

          Bien qu'il n'y ait pas de salaire minimum officiel en Suède, les syndicats en forcent un sur le marché. Les termes des contrats de travail sont majoritairement fixés par les syndicats, qui ne sont pas très portés vers le travail temporaire ou à temps partiel. De plus, les congédiements sont dispendieux. L'embauche est donc, elle aussi, fortement découragée.

          La deuxième grande faiblesse de l'économie suédoise serait liée au secteur public. Celui-ci compte pour 30% de l'emploi total, soit le double de l'Allemagne (qui n'est pas reconnue pour la sobriété de son secteur public), alors que sa productivité est très faible.
 

En attendant

          Les élections d'aujourd'hui nous diront à quel point les Suédois en ont soupé des sociaux-démocrates. Une chose semble certaine, le Parti social-démocrate demeurera toujours difficile à vaincre, peu importe la situation. Non seulement y a-t-il 30% de la population au service de l'État, mais jusqu'à 30% de la population recevrait une prestation sociale quelconque. C'est donc 60% de la population qui se trouve essentiellement en situation de dépendance de l'État. Dangereux contexte démocratique.

          Selon Assar Lindbeck, professeur d'économie internationale à l'Université de Stockholm cité par The Economist, là où le modèle suédois a des forces, elles sont essentiellement similaires à celles du modèle économique anglo-américain, attribuables au marché. Parions que le professeur Lindbeck en connaît plus sur la Suède que notre prof Lauzon.

          La prochaine fois qu'un socialiste ou qu'un politicien quelconque vous citera la Suède ou un autre pays scandinave en exemple pour démontrer la valeur des projets d'État-providence, demandez-vous s'il sait vraiment de quoi il parle...
 

 

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