Montréal, 8 octobre 2006 • No 196

 

ÉTHIQUE LIBERTARIENNE

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.

 
 

LE PROFIT ET SON INTÉRÊT

 

par André Dorais

 

          La quête de profit permet d’affecter les ressources là où elles sont le plus en demande. Dans un monde libre de l’intervention gouvernementale, cette quête est indissociable de la satisfaction des besoins et, par là, elle constitue l'une des plus importantes sources de coopération humaine. Le profit ne se commande pas, il n’a rien d’automatique. S’il n’y a pas de perdant lors d’une transaction volontaire entre individus étant donné leur accord, il ne s’ensuit pas pour autant un profit monétaire pour l’un ou l’autre parti. De l’aspect monétaire d’une transaction, il peut s’ensuivre une perte, un profit comptable, ou encore un profit de type entrepreneurial.

 

Profit entrepreneurial vs taux d’intérêt

          Le profit entrepreneurial constitue l’excédent entre le profit comptable (revenus moins dépenses) d’une entreprise ou d’un projet et le taux d’intérêt en vigueur. Par exemple, l’entreprise AB possède des revenus de 100 unités et des dépenses de 90 unités. Le taux d’intérêt en vigueur est de 8%. À partir de ces données, on conclut à un profit comptable de 10% et à un profit entrepreneurial de 2%, soit ((100-90)/100)-8%. Si le taux d’intérêt est de 11% plutôt que 8%, alors il y a une perte entrepreneuriale de 1% malgré un profit comptable. Il s’ensuit qu’un entrepreneur ne peut se contenter d’un profit comptable sachant qu’il peut obtenir davantage en laissant son argent à la banque.

          La quête de profit tend à en réduire la possibilité. À force d’investir là où les profits sont les plus élevés, l’entrepreneur tend à augmenter les prix des facteurs de production (terre, travail et biens en capital) et à réduire les prix des produits qui en découlent. Cela a pour effet de réduire le taux de rendement. Par exemple, ces dernières années il a été profitable d’investir dans les ressources naturelles et les métaux de base étant donné la croissance économique de certains pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde. La demande exercée par ces pays sur ces ressources était telle que les producteurs avaient peine à fournir. La hausse des prix de ces ressources finit par réduire les profits relatifs à ces secteurs d’activités. Le taux élevé de profit ne dure pas.

          À l’inverse, en évitant les secteurs où les profits sont faibles, la demande des facteurs de production est réduite, de même que leurs prix. L’offre des produits qui en découle est également réduite, ce qui tend à hausser leurs prix. Les faibles taux de profit de ces secteurs finissent donc par s’apprécier, toutes choses étant égales par ailleurs. Par le mécanisme des profits et pertes, le profit entrepreneurial tend non seulement à s’uniformiser à travers les différents secteurs d’activités, mais à disparaître pour ne laisser que le taux d’intérêt originaire.

          Le taux d’intérêt originaire doit être distingué des profits comptable et entrepreneurial, car il ne s’agit pas d’un profit à proprement parler dans la mesure où l’on confine ce terme à l’action individuelle et à celle de l'entreprise. Il s’agit plutôt d’un ratio qui distingue deux périodes différentes.

          Comme le souligne Murray N. Rothbard dans Man, Economy, and State:
 

          La productivité des processus de production n’a pas de rapport fondamental avec le rendement entrepreneurial. Ce taux de rendement [taux d’intérêt] est relatif aux écarts de prix entre les niveaux de production, et ces écarts de prix tendent à s’égaliser. L’importance de l’écart de prix, soit la hauteur du taux d’intérêt, est déterminée… par les préférences temporelles de tous les individus dans l’économie(1).

 

« Plus les gens épargnent et investissent, plus ils en tirent profit à long terme. Dans cette perspective, le taux de profit moyen est sans cesse plus faible, car il indique que les gens restreignent leur consommation immédiate dans le but d’accroître leur consommation future. »


          Pour distinguer ce taux de cet autre intérêt qui inclut une prime de risque et par suite un profit potentiel, on le qualifie indistinctement d’« originaire », de « pur » ou de « naturel ». Il correspond moins à un profit « fondamental » qu’à la préférence relative des individus à consommer plutôt qu’à épargner. Dans un marché libre de l’intervention gouvernementale, la préférence des gens pour une consommation immédiate se traduit par un taux d’intérêt originaire plus élevé que lorsque leur préférence va à l’épargne, toutes choses étant égales par ailleurs.
 

Taux de profit à la baisse, richesse à la hausse

          Plus les gens épargnent et investissent, plus ils en tirent profit à long terme. Dans cette perspective, le taux de profit moyen est sans cesse plus faible, car il indique que les gens restreignent leur consommation immédiate dans le but d’accroître leur consommation future. L’investissement permet d’accroître les biens et la structure de production, par conséquent la richesse. Seul le taux de profit entre chacun des niveaux de production est réduit. Le profit total est accru et plus largement distribué, et cela, sans l’aide de l’État.

          Le taux de profit est réduit dans la mesure où l’intervention de l’État l’est autant. À l’inverse, plus l’interventionnisme de l’État est important, plus il tend à hausser les profits de certains entrepreneurs. Ce favoritisme réduit la concurrence et la capacité de production et par conséquent s’établit au détriment des consommateurs, soit de tout le monde. L’interventionnisme gouvernemental est aveugle et prétentieux. On le justifie au nom d’une plus grande justice, alors qu’il n’amène que pauvreté et chaos. La prétention des uns à contrôler l’égoïsme des autres est destructrice de richesse et étiole la coopération humaine.

          La quête de profit va au-delà de l’égoïsme, car pour y arriver l’entrepreneur doit satisfaire des consommateurs. La chaîne causale est la suivante: la valeur des facteurs de production est déterminée par la valeur de leurs produits, qui, à son tour, est conférée par la demande et l’évaluation des consommateurs. Les entrepreneurs qui pensent être en mesure d’imposer leurs prix sont portés à disparaître, à moins d’avoir l’aide de l’État.
 

Le profit et son intérêt

          Le profit n’est pas seulement important pour l’entrepreneur, mais pour tout le monde. Dans un monde libre de l’intervention gouvernementale, il signale l’urgence des besoins à combler. Le profit entrepreneurial dure rarement longtemps, car la concurrence l’effrite au bénéfice des consommateurs. Il tend à disparaître, sans jamais y arriver totalement, pour ne laisser qu’un taux d’intérêt uniforme à tous les secteurs d’activités. Si la préférence temporelle des gens est à l’épargne, l’intérêt monétaire sera bas et par là indiquera à l’entrepreneur qu’il est temps d’investir pour tenter de satisfaire davantage leurs besoins.

          À l’instar des prix établis volontairement, le profit et l'intérêt servent de guide à l’entrepreneur quant à l’évaluation, par les agents économiques, des différents secteurs d’activités et quant aux choix des consommateurs. Malheureusement, ces guides sont brouillés par les agents de l’État qui voient en l’entrepreneur un concurrent dérangeant. Ces partis se font effectivement concurrence, mais en utilisant des moyens diamétralement opposés. Pour servir, l’un cherche le profit, l’intérêt et l’accord de chaque individu, tandis que l’autre utilise l’impôt, la taxation et la coercition. L’un conduit à la coopération, l’autre, à la division sociale. Le premier amène richesse, le second, pauvreté.

 

1. Il s’agit d’une traduction libre du texte suivant: « Thus the productivity of production processes has no basic relation to the rate of return on business investment. This rate of return depends on the price spreads between stages, and these price spreads will tend to be equal. The size of the price spread, i.e., the size of the interest rate, is determined, as we have seen at length, by the time-preference schedules of all the individuals in the economy. » Man, Economy, and State (2001), p. 363.

 

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