Montréal, 14 janvier 2007 • No 208

 

OPINION

 

Philippe Jaunet est étudiant en droit à la Faculté de Bordeaux, en France.

 
 

POURQUOI IL FAUT ÊTRE CONTRE LE « DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE »
(ET NE PAS HÉSITER À LE DIRE)

-À Mathieu Laine(1)

 
 

par Philippe Jaunet

 

          Difficile, pour les Français, de ne pas avoir entendu parler du droit au logement opposable, en ce début d’année 2007. Difficile en effet d’avoir été épargné par la déferlante médiatico-gouvernementale qui glorifie les Enfants de Don Quichotte, cette association « généreuse » dont les membres courent les rues de la capitale et des grandes villes de France pour donner des tentes aux SDF et autres sans-abri. Tout cela pendant que nous, sales bourgeois individualistes, nous profitions des fêtes de fin d’année avec nos familles! Mauvais citoyens que nous sommes. « Heureusement », l’État vient de s’apercevoir qu’il y a des pauvres sur la Terre! Et il a décidé d’agir – ce qui, pour le libéral, peut commencer à faire peur. Car quand l’État s’en mêle…

 

Mise en contexte

          Pour ceux qui vivraient loin de la France, ou qui auraient la chance de pouvoir passer outre certains de nos débats politiques actuels, il convient de rappeler les principaux faits de l’affaire. Le gouvernement français, inspiré en cela par plusieurs associations humanitaires, a décidé de créer, par la loi, un nouveau droit « constitutionnel » (ce qui ne semble pas très cohérent quand on connaît le mécanisme constituant en France – l’article 89 de notre actuelle Constitution – enfin passons sur la question, elle ne sert qu’à entretenir le « flou » sur ce qui sera réellement proposé)(2). Ce droit, le voici: un droit au logement (bref, un droit-créance comme il en existe malheureusement plein en France) mais cette fois, un droit au logement « opposable », pour qu’il ne reste pas un rite incantatoire.

          En pratique, cela veut dire qu’un citoyen sans domicile pourra réclamer l’assistance de la « communauté » pour lui trouver un logement. Cela ne relèvera donc plus de son devoir personnel (chercher un habitat pour y loger sa famille, par exemple), mais d’un droit constitutionnel, comme la liberté d’expression ou le droit à la présomption d’innocence! Dès lors, il lui suffira de s’adresser au tribunal compétent pour réclamer, et recevoir, une indemnisation financière au « préjudice » causé par la violation de ce droit: inouï, non? Et pourtant, c’est déjà le cas pour le droit à la santé ou le droit à l’éducation.

          Qui paiera? C’est encore sujet à débat, mais d’après Xavier Emmanuelli(3), il s’agirait « tout naturellement » de la mairie, de la collectivité territoriale de rang supérieur (département, région) et, le cas échant, de l’État. Formidable! Rappelons à nos énarques qui nous gouvernent que ce n’est pas l’État qui paiera mais bien les contribuables, c’est-à-dire: nous. Et qu’avec les hausses d’impôt des différents programmes électoraux, il faudra bien trouver quelqu’un pour payer… Ah oui, pardon; comme disait Bastiat dans son formidable pamphlet L’État, « Me voilà discrédité à tout jamais; et il est maintenant reçu que je suis un homme sans coeur et sans entrailles, un philosophe sec, un individualiste, un bourgeois, et, pour tout dire en un mot, un économiste de l'école anglaise ou américaine. »

          Certes, ce droit « nouveau »(4) n’est pas pour tout de suite. En effet, certains discutent des applications pratiques. Ils disent que tout ce qui a été fait jusque-là paraît insuffisant. Certains craignent qu’il ne s’agisse de « poudre aux yeux », quelques mois avant les futures élections présidentielles... Mais enfin, personne, ou presque, ne s’élève contre ce droit nouveau dans notre paysage juridique – personne hormis l’extrême droite, qui s’émeut que des étrangers bénéficient de ce droit, donc pour des raisons évidemment étrangères aux libéraux. Or, il existe bel et bien un droit à l’éducation; le logement paraît être tout aussi important. Pourquoi ne pas reconnaître le droit au logement opposable, dirons nos amis socialistes et nos chers défenseurs de l’humanisme social? D’ailleurs, quelle espèce d’ignoble salaud faut-il être pour se prononcer contre le droit au logement opposable à l’État?! Comment? On fait différemment à l’étranger? Mais voyons, nous sommes en France. Pas la peine d’imiter les « étrangers »: la France doit bien défendre sa « singularité », et dire au reste du monde qu'il est dans l'erreur, et que nous seuls détenons la vérité, non?

          Cette fois donc, le débat semble être entendu: tout le monde est d'accord, il n'y a même pas de débat. Les seuls à faire entendre leur différence, une fois encore: les libéraux. Car eux sont évidemment opposés à ce nouveau « machin » que l'État nous force à reconnaître, et ce pour des raisons d'ordre philosophique, juridique et aussi, économique.
 

Non à cette reconnaissance

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est déresponsabiliser un peuple qui se complait dans une logique d’assisté (sur l’air « c’est à l’État d’assurer mon bonheur ») et de perdant (« de toute façon, c’est la faute à la mondialisation si je ne trouve pas de travail, alors, le logement c’est pareil »).

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est désorganiser les valeurs traditionnelles – et spontanées – de l’unité familiale au profit d’une prétendue « solidarité nationale ». Après avoir détruit les familles, l’État se lance désormais dans la construction de ce qui lui semble le plus favorable: une société organisée selon ses voeux, avec des citoyens qui deviendront, virtuellement au moins, des fonctionnaires (puisque payés par l’impôt), qui vivront dans des logements sociaux, qui iront dans des écoles d’État ou financées par lui, etc.

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est bafouer le droit de propriété, ce droit inviolable et sacré(5), et glorifier le rôle planificateur de l’État, seul responsable de la crise du logement en France.

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est également accroître le coût de la décentralisation (une réforme nécessaire que nos gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont lamentablement fait échouer par une mauvaise gestion des fonds publics et le maintien de prérogatives à une multitude d’administrations inefficaces, par peur de voir une meute de fonctionnaires syndiqués manifester devant les ministères).

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est surtout contribuer à la hausse des prélèvements obligatoires, déjà énormes en France (plus de la moitié des richesses produites) alors que la dette publique s’élève à près de 40 000 euros par résidant, et 120 000 euros par citoyen actif(6)

          Reconnaître le droit au logement opposable, c’est enfin continuer à liguer les citoyens les uns contre les autres, en l’occurrence: les locataires contre les bailleurs, les non-propriétaires contre ceux qui possèdent en propre un logement (mais qui ne sont pas forcément très aisés!), bref instaurer l’anarchie institutionnalisée ou, comme le disait le grand juriste italien Bruno Leoni – non sans une pointe d’humour – « une potentielle guerre légale de tous contre tous ».
 

« Un citoyen sans domicile pourra réclamer l’assistance de la "communauté" pour lui trouver un logement. Cela ne relèvera donc plus de son devoir personnel (chercher un habitat pour y loger sa famille, par exemple), mais d’un droit constitutionnel, comme la liberté d’expression ou le droit à la présomption d’innocence! »


          J’avoue qu'il m'arrive aussi de trouver triste que des gens en pleine forme deviennent, à la suite d’accidents professionnels ou de ruptures brusques dans leur vie familiale, des personnes sans domicile, et tombent ainsi dans la précarité. Je considère également que la pauvreté dans un pays riche comme la France est un phénomène ignoble; mais qu’on ne se trompe pas de combat, par pitié! Ce n’est pas en donnant de l’argent ou en créant des HLM que l’on va régler le problème: c’est en donnant du travail. Mais un vrai travail, pas un de ces multiples emplois financés par l’impôt, inutiles et sans avenir, comme les postes de « stagiaires dans les administrations centrales », d’« assistant éducateur dans une cité réputée difficile » ou de « guide dans le RER »… Les contrats-aidés, ca suffit!

          Pour relancer l’emploi, il faut réformer l’État, le « dégraisser » et (enfin!) baisser les impôts.
 

Tout nationaliser!

          Mais attention: je trouve également que le sida est une mauvaise chose. On pourrait également le décréter hors-la-loi, le proclamer contraire à la constitution, et faire en sorte que chaque tribunal oblige l’État à rémunérer les personnes atteintes du virus, non?

          Et pourquoi ne pas intervenir pour rendre les gens heureux? Il s’agit d’une mission d’intérêt général. Donc, l’État doit s’en occuper.

          Et pourquoi ne pas nationaliser les boulangeries?

          Il est un moment où il faut savoir s’arrêter, et comprendre que l’on vit dans le monde tel qu’il est, et non tel qu’il devrait être (ou que les socialistes croient qu’il devrait être).

          Outre les difficultés inhérentes à la question (« je vis dans un logement indécent, est-ce que j’ai le droit à un nouvel appartement? » ou « suis-je en situation de détresse prioritaire? »), il est profondément immoral de reconnaître à certains un « droit » sur ce qui a été légitimement gagné par les autres. Relisez Locke, Benjamin Constant, Kant, Hayek, Popper, Ayn Rand, Nozick... tous disent la même chose.

          Ce n’est pas à l’État de gérer ce qui relève de l’ordre spontané, et qui est en déséquilibre uniquement du fait de sa mauvaise gestion! Pourquoi croire que l’État est mieux à même que le marché – autrement dit: nous – de régler la crise du logement, puisque c’est lui-même qui l’a provoquée?

          Loin d’être un spécialiste de la question, le libéral « lambda » – qui certes n’est pas un haut fonctionnaire diplômé d’une université d’État, ni un politicien obsédé par sa future réélection, mais un modeste citoyen qui préféra étudier, dans son temps libre, Ludwig von Mises plutôt que Keynes – sait bien quelles sont les solutions pour remédier à la crise du logement en France.

          D’ailleurs, ce sont des solutions qui, loin de se limiter à un pays, sont celles que la plupart des États occidentaux ont choisies! Mais sans doute s’agit-il encore d’une approche contraire à cette chère « exception culturelle française », qui coûte des millions aux contribuables de mon pays, et nous éloigne des bienfaits de la culture libérale anglo-saxonne (pardon, ces « infâmes Américains ultralibéraux »).
 

Quelques solutions libérales

          Sans prétention aucune d’exhaustivité, présentons quelques solutions libérales: d’abord, libérer le marché en déréglementant et en cessant de surprotéger les locataires au détriment des bailleurs. Car enfin, il faut bien comprendre que beaucoup de propriétaires refusent de louer leur bien, parce qu’ils savent qu’avec deux mois de caution, ils ont deux mois de tranquillité, et c’est tout! Si le locataire ne paye pas, il sera impossible de l’expulser en hiver (la loi l’interdit), et presque tout aussi impossible d’obtenir le recouvrement des loyers en retard. Regardez les tribunaux, et vous comprendrez ce que je veux dire… Trop d’impôts tuent l’impôt certes, mais trop de lois tuent le droit. Il faut aussi garder cela en tête.

          Ensuite, il faut baisser massivement les impôts, ou faire en sorte (si l’État tient tout de même à jouer un rôle dans le secteur du logement) que la fiscalité incite les propriétaires à louer plutôt qu’à ne pas louer.

          On parle aussi beaucoup de richissimes propriétaires qui feraient en sorte d’augmenter les prix, de sorte que personne ne peut plus se loger en France... Mais je connais plus de propriétaires qui ont peur de louer parce que les taxes sont beaucoup trop élevées, et les rendements insuffisants.

          Et puis, il faut rendre sans attendre la majeure partie du parc locatif au secteur privé, et cesser de construire à foison des logements « sociaux », ces fameuses HLM françaises, vous savez, ces banlieues toutes pourries où personne n’a envie d’habiter, qui se situent à plusieurs kilomètres des centres-villes, et où l’État entasse depuis plusieurs décennies des populations d’origine immigrée pour ne pas avoir de problèmes avec elles! Car quand l’État crée des logements, cela donne des villes artificielles, des barres de logements uniformes, et des populations malheureuses. Et puis quoi, le secteur privé s’occupe partout du logement! Il peut bien le faire aussi en France!

          Sinon, l'État pourrait également vendre les multiples terrains réquisitionnés à la Libération, ou même avant, à la Révolution, et qui sont passés dans le domaine public – vous savez, ces terrains à l'entrée des grandes villes où rien n'a jamais été construit et qui appartiennent à l'armée, ou à l'administration des musées de France, ou au ministère de la Santé… Mais, se demandera le lecteur, comment faire techniquement? Tout simplement, en donnant plus de permis de construire aux entrepreneurs du secteur! Et ça, ce n'est pas du « y'a qu'à ».

          Ah oui, j’en entends certains qui pensent qu’aucun Français ne veut plus travailler dans le domaine du bâtiment... Alors, embauchons des étrangers, et faisons jouer les acquis européens que nous offre le droit communautaire! Ou peut-être que les « bons Français » refusent d’habiter un logement construit par des ouvriers polonais? Mais je croyais que les Français n’avaient pas de logements? Il faut savoir: quand on est à la rue, on ne se plaint pas de celui qui vient vous aider. Et entre un fonctionnaire parisien, et un propriétaire qui lui aussi connaît la hausse du coût de la vie, j’ai déjà choisi ici... Cela fait trop longtemps que le « service public du logement » dégrade la situation chez nous, mais pas seulement: en Belgique aussi, en Allemagne...

          Quand va-t-on voir la société civile se bouger, plutôt que les décideurs politiques?

          Décidément, la France va mal. Elle a besoin de solutions libérales. Les idées sont pourtant là. Mais qui va les mettre en place? Les exaltés de gauche, qui hurlent contre la mondialisation et l’interdiction de travailler plus de trente-cinq heures de travail par semaine? Les thuriféraires de ce « super » État, qui prendra soin de nous à chaque difficulté que nous rencontrerons? Les défenseurs de la droite « molle », qui n’ont même plus le courage de défendre les seules valeurs qu’ils partagent avec le libéralisme classique: la famille, l’effort et le travail? Ils se taisent, honteusement, parce qu’évidemment ils sont en grande partie contre le droit au logement opposable, mais ils évitent de le dire, puisque consensus il y a.

          À nous de faire en sorte que ce consensus prenne fin.

 

1. Mathieu Laine, qui a courageusement défendu les idées libérales « non-conformistes » sur le sujet en ayant la possibilité de s’exprimer sur une chaîne de télévision nationale. Seul regret: si ses contradicteurs l’avaient laissé s’exprimer au lieu de hurler leurs invectives de haine ou de mépris à chaque fois qu'il voulait s’exprimer sur un sujet, sans doute la majorité des téléspectateurs aurait pu comprendre ce que « liberté d’expression » veut vraiment dire. Concernant l’émission, elle est à voir sur: www.france5.fr.
2. Sûrement le gouvernement actuel (droite) n’osera pas aborder la question au niveau constitutionnel, pour une raison de temps surtout; mais il y a fort à parier que la gauche, si elle remporte les élections de 2007, n’hésitera pas à modifier la Constitution pour faire apparaître le droit au logement opposable au sein même de notre norme suprême. Inutile de dire que si à chaque fois qu’une association se met à revendiquer quelque chose, le pouvoir accepte de modifier la Constitution, nous ne serons plus longtemps un État de droit. Après le pouvoir de la rue, le pouvoir « suprême et souverain » bradé pour quelques tentes Décathlon élevées en plein Paris!
3. Président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées; le premier ministre actuel lui a demandé de rédiger un rapport sur la question de ce droit, afin qu’il devienne une obligation non plus de moyens, mais bien de résultat… Ça continue à faire peur.
4. Certaines personnalités disent que ce droit est un droit déjà reconnu en France, et que ce qu’il faut c’est maintenant le reconnaître en pratique; c’est faux, raison pour laquelle j’affirme ici qu’il s’agit d’un « nouveau » droit. Le constituant français, en 1946, a créé déjà une multitude de droits politiques, économiques et sociaux, les « principes particulièrement nécessaires à notre temps ». Ils sont, selon les cas, d’applicabilité directe, ou non; mais même à ce moment-là, le droit au logement n’avait pas été reconnu. Même les communistes de l’époque n’en voulaient pas! Donc désolé mesdames et messieurs les journalistes, IL N’Y A JAMAIS EU DE DROIT AU LOGEMENT EN FRANCE. Bien que certaines juridictions de premier degré l’aient reconnu, ou – concernant les juridictions suprêmes – aient vu en ce prétendu « droit » un objectif à valeur constitutionnelle, c’est-à-dire une orientation politique qui s’impose au gouvernement, mais qu’on ne peut en aucun cas invoquer devant les tribunaux. Dans tous les cas, il sera nécessaire de passer par une révision constitutionnelle, ou alors, force sera de constater qu’il sera désormais possible de faire dire n’importe quoi à notre Constitution...
5. D’après l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, qui stipule que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Qui s’en souvient?
6. Chiffres cités par Michel Godet, Le choc de 2006, Odile Jacob, 2006. Cet auteur libéral peu connu s’est également opposé au « droit au logement opposable ».


À lire également sur le sujet: 1) L’excellent article « Droit au logement, malfaisance démagogique », de Vincent Bénard, sur l’Institut Hayek (www.fahayek.org) 2) Le compte rendu « Les nouveaux marchands de bien », de Alain Madelin, du parti aujourd’hui disparu Démocratie libérale, et seul ministre de l’Économie française à avoir proposé, depuis Jacques Rueff et Antoine Pinay, des réformes utiles à notre pays (www.cerclesliberaux.com).

 

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