Montréal, 4 mars 2007 • No 215

 

ÉCONOMIE 101

 

Christian Saucier détient un MBA de l'Université de la Géorgie et est conseiller en affaires auprès d'entreprises multinationales.

 
 

L'INFLUENCE DES MOTIVATIONS *

 

par Christian Saucier

 

          La compréhension de certains principes de base en économie est nécessaire à l'appréciation et au développement de la pensée libertarienne. Le manque de familiarité avec ces notions de base est l'une des plus grandes barrières à la popularisation de cette philosophie, car pour beaucoup de gens, l'économie est un sujet plutôt monotone, et pour d'autres, quelque peu intimidant.

 

Une science humaine

          L'économie est, d'abord et avant tout, une science humaine. Elle s'intéresse aux facteurs et aux principes qui permettent la création de la richesse, favorisant ainsi l'augmentation du bien-être, le développement, et la prospérité. Pour en arriver à une véritable compréhension de ces phénomènes, nous n'aurons nul besoin d'outils mathématiques ou de statistiques. Pour bien comprendre les sources de bien-être et de prospérité, il nous faudra examiner le comportement des individus, la façon dont ils interagissent au sein d'une société, et les institutions qui encadrent ces interactions.

          À la base même de nos comportements, nous retrouvons des motivations qui nous incitent à agir de telle ou telle façon. Ces motivations peuvent venir de nous-mêmes, elles peuvent nous être induites par d'autres, ou même par les circonstances d'une situation dans laquelle nous nous retrouvons. Nous sommes parfois conscients de ce qui nous motive, et parfois, nous ne le sommes pas. Nous pouvons changer certaines de nos motivations, et certaines autres font partie intégrante de nous-mêmes. Certaines motivations sont altruistes alors que d'autres sont égoïstes.

          Le sujet est complexe et nous laisserons aux psychologues le soin de s'y retrouver; pour l'économiste, tout ce qui importe est ceci: les motivations influencent nos décisions et nos comportements.

          Par exemple, lorsqu'un individu décide de se mettre à la recherche d'un nouvel emploi, lorsqu'il décide de recycler une bouteille, ou bien d'acheter un nouveau téléviseur, on retrouve, sous chacune de ces actions, une série de motivations.

          Même si notre sujet ici est l'économie, ces motivations n'ont pas à n'être que d'ordre monétaire. Lors d'une recherche d'emploi, le salaire est évidemment un élément de décision important, mais il y a également l'environnement de travail, les possibilités d'avancement, la flexibilité des horaires, etc.

          Il nous faut aussi prendre conscience que certaines motivations encouragent à l'action alors que d'autres influencent de par leur effet dissuasif. On dit des premières qu'elles nous rapportent un bénéfice, alors que les secondes nous imposent un coût. Par exemple, le montant offert lorsqu'on retourne une bouteille consignée au magasin incite les gens à agir de la sorte, car ils en tirent un bénéfice monétaire. À l'inverse, l'effort requis pour faire le triage des déchets destinés à la cueillette sélective décourage certains à recycler davantage, car ils jugent ce coût (en efforts) trop élevé.

          Les motivations diffèrent évidemment d'un individu à l'autre, car la valeur que l'on accorde à une chose par rapport aux autres est unique à chacun d'entre nous. Le domaine d'étude de l'économie débute alors que deux individus décident de coopérer, bien qu'ayant des motivations différentes, et de conclure un échange.
 

L'achat d'une télé

          Prenons un exemple. Un consommateur se présente au magasin pour faire l'achat d'un nouveau téléviseur. Quelles peuvent être ses motivations? Quels bénéfices obtiendra-t-il du nouvel appareil? La télé qu'il possède déjà est peut-être défectueuse; il est peut-être intéressé par la haute définition, ou les écrans plats; il veut peut-être s'offrir un cinéma maison; ajouter un appareil au sous-sol, etc. Tous ces éventuels bénéfices motivent le consommateur à passer à l'action.
 

« À la base même de nos comportements, nous retrouvons des motivations qui nous incitent à agir de telle ou telle façon. Ces motivations peuvent venir de nous-mêmes, elles peuvent nous être induites par d'autres, ou même par les circonstances d'une situation dans laquelle nous nous retrouvons. »


          Mais pourquoi avoir attendu à ce moment? Pourquoi ne pas avoir fait cet achat hier, ou la semaine dernière? Évidemment, il y a aussi des coûts reliés à l'acquisition du téléviseur: le prix, bien sûr, mais également le temps de rechercher l'appareil désiré; de trouver un magasin fiable; dans le cas de produits assez récents, il faut aussi acquérir une certaine confiance dans la qualité du produit; etc. Nous retrouvons ici les coûts associés à l'acquisition de l'appareil.

          Le consommateur se présente donc au magasin, et y rencontre… la vendeuse. Quelles sont les motivations de cette vendeuse? Supposant qu'il s'agisse ici de la propriétaire du magasin, notre entrepreneure veut de toute évidence vendre ses appareils. Mais pourquoi dépense-t-elle son temps à vendre des télés? Quels bénéfices et quels coûts entrent en considération dans ce qui la motive à ouvrir son magasin le lundi matin?

          L'entrepreneure vend bien sûr ses appareils en vue de faire un profit. À quoi servira ce profit? Elle pourra l'utiliser pour financer l'ouverture d'une nouvelle boutique; elle pourra réinvestir dans la boutique actuelle; peut-être aspire-t-elle à ne plus avoir de dettes; à s'acheter une nouvelle voiture; à devenir millionnaire; ou bien à rénover sa maison, etc. Avant de pouvoir déclarer qu'elle profite de la vente, cette femme d'affaires doit aussi tenir compte de ses coûts: rembourser le manufacturier; payer le loyer pour son local; payer l'annonce du mois prochain dans le journal; les salaires des employés, etc.

          Alors donc, le consommateur et l'entrepreneur se rencontrent. Ils ont tous deux des motivations bien différentes, mais arriveront-ils à conclure une entente? L'entente dépends de bien des facteurs, mais en voilà un qui est central: le prix. En fait, le prix représente souvent l'ensemble de bien d'autres motivations. Le consommateur et l'entrepreneur accepteront de sacrifier ou d'ajouter certains bénéfices en échange d'un prix plus bas, ou plus haut… tout dépendant du point de vue.
 

Trouver un terrain d'entente

          Le point crucial de cet exemple est que ni le consommateur, ni l'entrepreneur ne sont en mesure de contrôler le prix. Si le consommateur ne peut payer le prix demandé, il ne pourra pas bénéficier du bien en question. Si l'entrepreneur ne peut offrir un bien à un prix acceptable, il ne pourra pas faire de vente. Tous deux sont incités par leurs motivations respectives à trouver un terrain d'entente.

          Les chefs d'entreprises sont très conscients de ce phénomène. Les campagnes publicitaires ont toujours pour objectif d'inciter le consommateur à bénéficier maintenant d'un produit tout en suggérant que les coûts seront minimes. Mais, les consommateurs sont tout aussi avisés! Lorsqu'ils magasinent chez Wal-Mart, ou qu'ils choisissent un commerce plutôt qu'un autre, ils envoient un signal aux entrepreneurs: offrez-nous les produits qui nous intéressent à des prix acceptables, sinon nous n'achetons pas!

          Le marché, dont les économistes font tant l'éloge, n'est que le résultat de l'ensemble des interactions entre vendeurs et acheteurs, qui agissent chacun librement selon leurs propres intérêts. Nous participons tous à l'économie de marché à chaque fois que nous procédons à l'achat d'un article, à un échange avec une autre personne, ou bien même lorsque nous nous présentons au travail le lundi matin.

          À chaque fois que nous offrons un service, ou que nous demandons un produit, nous collaborons sans trop le savoir, avec une multitude d'autres individus, à déterminer le prix futur du bien. Cette collaboration spontanée s'opère par le biais des motivations.
 

Quand l'offre se fait rare

          Qu'arrive-t-il lorsqu'une ressource se fait plus rare? Pensons au pétrole, aux roses à la veille de la St-Valentin, aux espaces de stationnement le vendredi soir au centre-ville, aux camions de location le 1er juillet à Montréal, etc. Lorsque la demande augmente pour une ressource et que l'offre reste la même, les prix augmentent. Cette augmentation de prix est cruciale, car elle devient un élément important de motivation.

          Pour les consommateurs, l'augmentation du prix aura un effet dissuasif, qui incitera ceux-ci à réduire leur demande. Pour les producteurs, l'augmentation du prix deviendra une motivation à trouver de nouvelles façons d'augmenter l'offre. Ainsi, dans une économie de marché, le prix motive les gens à mieux gérer l'usage qu'ils font d'une ressource.

          Le scénario inverse est tout aussi valide. Lorsqu'une ressource est offerte en abondance, le prix aura tendance à diminuer. Cette diminution du prix permettra une plus grande demande.

          Ce phénomène est connu sous le nom de la loi de l'offre et de la demande. Comme nous l'avons vu, cette règle de base en économie s'explique aisément par le fait que les individus agissent selon leurs motivations. Par l'entremise du marché, une multitude d'individus ayant des intérêts différents (et souvent même divergents), peuvent coordonner, sans même se connaître, l'usage et la production de tous les biens qui nous entourent.

 

* Cet article, se veut être le premier d'une série qui tentera de vulgariser les concepts qui sont à la base des sciences économiques. La série sera elle-même inspirée d'un petit livre intitulé Ce que tous les Québécois devraient savoir sur l'économie publié en l'an 2000 par l'Institut économique de Montréal.

 

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