Montréal, 8 avril 2007 • No 220

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

MES ENFANTS, IL FAUT PARTIR...
LA FRANCE, TU L'AIMES OU TU LA QUITTES

 

par Patrick Bonney

 

          Il fut un temps où sur pareil sujet, j’eusse écrit un pamphlet. Un vrai! Plein de morgue, de suffisance et de mauvaise foi. Un de ces prurits qui semblent couler de source pour peu que l’on ait un peu de sang dans les veines. Goût de la castagne que je ne renie pas. Écrire, comme boxer, c’est donner des coups. Plus ou moins bas... Question de tempérament! « La littérature ajoute à la férocité humaine », disait Claudel. Pour le moins, elle n’adoucit pas les moeurs.

 

          Foin de pamphlet donc! Pas de formules lapidaires que l’on assène comme des vérités premières et qui laissent coi. Pas de mots définitifs qui ne tolèrent ni répartie ni contradiction. Pas de sentences tonitruantes dont on ne se relève pas. Place au succédané, à l’ersatz de l’air du temps, aux mots tièdes et sirupeux! Place au verbe édulcoré, produit de régime, sucrette littéraire!

          Le propos s’y prêtait pourtant. « Retenez-moi ou je fais un malheur »... Il m’aurait fallu naître en Angleterre ou en Amérique, pays pétris de défauts, mais où l’on peut encore écrire n’importe quoi. Chez nous, la justice veille. On se lasse vite des prétoires, l’humour s’y fait rare. Le dernier à avoir mis les rieurs de son côté fut Landru. En France, il faut brûler des femmes dans une cuisinière pour amuser la galerie. Curieux pays tout de même!

          L’âge aidant, ou plutôt n’aidant pas, la plume s’assagit. D’aucuns traduiront « s’affadit ». On gagnerait en profondeur ce que l’on perdrait en légèreté. Voire... « Les tombeaux sont toujours profonds », prophétisait Morand sur ses vieux jours. Veillons à ce qu’ils ne le soient pas trop. Et si ma coiffe de chef indien a perdu ses plumes, il me reste tout de même quelques flèches dans mon carquois.

          L’interdiction d’écrire ce que l’on pense avec les mots que l’on veut est d’autant plus regrettable que « mauvaise foi » vaudra toujours mieux que pas de foi du tout. Le fameux « sans foi ni loi » qui n’est d’ailleurs français que d’esprit. Notre pays a-t-il souvent manqué de foi qu’il n’a jamais manqué de lois.

          Que l’édition ait toujours été bien servie n’étonnera guère. La légende littéraire regorge d’interdits et d’exils plus ou moins glorieux. La Belgique a accueilli ou publié Beaudelaire, Hugo, Daudet. Quant à Voltaire, Beaumarchais, Retz et tant d’autres, ils furent embastillés pour de maigres poulets. Sacha Guitry, Chardonne perpétuèrent la tradition, les raisons en fussent-elles autres!

          Le plus petit des quolibets est qualifié d’injure, le moindre propos déplacé d’insulte. Révélation ou indiscrétion deviennent atteinte à la vie privée. On ne dit plus censure, mais droit à l’image. Bientôt, on ne pourra plus photographier son chien sans risquer un procès. Il faut désormais lire la presse suisse pour être informé des frasques de nos ministres.

          Les condamnations se font au portefeuille, moyen le plus sûr de calmer les esprits. Les riches écrivent rarement! Ou si mal... Tous les prétextes sont bons: injure au président de la république – un honneur par les temps qui courent! –, à officier ministériel, à agent de la force publique, voire au plus fade des fonctionnaires puisqu’aussi bien, au nom de la vulgate officielle, ce dernier est à l’État ce que l’hostie est à Jésus – transsubstantiation d’un genre aussi nouveau que pervers.

          Sinécure presque aussi généreuse que les prud'hommes, le procès en diffamation enrichit les médiocres, les sots et les cossards car il n’est pas un pamphlétaire sensé qui s’attaquerait à des gens biens. Où serait le plaisir?

          La canaille peut dormir tranquille avec « cette police dont les coupables sont le prétexte, et les innocents le but ». Je ne me lasse pas de cette formule (cf. « Chirac, Royal, Sarkozy: de l’anti au faux libéralisme ») de Benjamin Constant, aussi jeune que son Adolphe ou sa Cécile. Ce ne sont pas les chefs-d’oeuvre qui vieillissent mais les sociétés. Une façon de dire aussi que les choses ne changent guère au-delà des impressions trompeuses. Et, s’il y eût dans l’histoire de notre pays de courts laps de temps où liberté et expression ont pu marcher de conserve, la règle coutumière ne fut pas celle-là.

          La France est un pays où il ne fait pas bon dire ce que l’on pense; et où d’ailleurs, il est devenu préférable de ne plus penser. Tout y est prétexte à inquisition, interdiction, intimidation, législation, coercition, confiscation. Si ce n’est la justice, c’est le FISC. Les moyens ne manquent pas de faire taire les audacieux. Le délit d’opinion règne en maître, drapé dans de fallacieux oripeaux. Jargon, argutie, lâcheté et défausse feront le reste.

          Nul ne s'offusque par exemple de voir un ministre de l'Intérieur intimider un éditeur à propos d'un livre sur sa femme au point d'ailleurs de le faire renoncer à son projet ou un juge mis en cause dans la plus grande erreur judiciaire française de tous les temps (procès d'Outreau) poursuivre un journaliste qui, s'appuyant sur les travaux d'Hannah Arendt, avait comparé son comportement à celui d'Eichmann pendant son procès...

          J’en ai déjà trop dit. Et mon ton n’est pas le bon. Il faudrait se coucher davantage ou se taire tout simplement. Certes, mais quel ennui! Au moins n’aurais-je pas à fuir en Belgique puisque j’y suis déjà.

          Père de cinq merveilleux garçons, c’est d’abord à eux que j’avais envie d’écrire. D’autres enfants m’entendront peut-être, leurs parents aussi. Ils ne seront pas nombreux.

          Peu causant d’ordinaire et soucieux de leur épargner mes écarts, qu’ils soient de langage ou de conduite, je n’ai jamais cherché à les influencer quant à leurs choix politiques, éducatifs ou professionnels. Et si je l’ai fait, c’est à mon corps défendant. Ce qu’ils sont, ils ne le doivent qu’à eux-mêmes. Et ce n’est pas la moindre de mes fiertés.

          Je ris de ces familles où hors écoles prestigieuses et formations traditionnelles, il n’y aurait point de salut. Afficher, comme François Bayrou, sa vanité de voir ses six rejetons choisir l’école polytechnique, est la pire illustration que l’on puisse donner de la sclérose qui mine la société française. Voilà un unanimisme qui fera rêver dans les chaumières mais imagine-t-on une société où tous les membres d’une même famille seraient condamnés à l’identique? Quelle absence de singularité! Les élites se reproduisent désormais au vrai sens du terme, pareils à des clones. Tardive mais sombre revanche des nazis qui, de leurs phalanstères, imaginaient pour leur descendance un Reich de mille ans.
 

« La société française contemporaine a ceci de particulier qu’elle ne tolère plus la moindre critique. Que ce soit en matière de cinéma, de football, de littérature, de politique, de science, celui qui ose stigmatiser l’asthénie ambiante est cloué au pilori. »


          Pour le reste, m’inscrivant néanmoins dans le registre de la critique, je tombe mal. La société française contemporaine a ceci de particulier qu’elle n’en tolère plus la moindre. « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. » Que ce soit en matière de cinéma, de football, de littérature, de politique, de science, celui qui ose stigmatiser l’asthénie ambiante est cloué au pilori. Dernier exemple en date, l’équipe de France de football et son sélectionneur qui, malgré un spectacle pitoyable et un style de jeu affligeant (pour qui ne confond pas football et victoire) ne tolèrent ni sifflets ni remise en cause. Et si d’aventure vous persistez, on vous suggère avec une insistance et une arrogance qui, venant de ces analphabètes repus n’en sont que plus scélérates, de quitter le pays. Rien moins! Dernier avatar de ce qu’il faut bien appeler la « lepenisation » des esprits: « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». Terrifiant raccourci! Mais quand le langage dévolu aux flics se fait langue commune, on peut penser qu’il est effectivement temps de s’en aller.

          Il y a un an, j’écrivais ce qui va suivre. Texte cruel dont les accents prophétiques ne me procurent ni plaisir ni mérite mais qui renforcera, s’il en était besoin, mon propos de ce jour:

          Le hasard a parfois des cruautés salutaires. En programmant Le grand Charles – évocation très réussie du général de Gaulle sobrement réalisée par Bernard Stora et interprétée avec justesse par Bernard Farcy – ce 27 mars 2006, soit la veille de la énième pantalonnade destinée à faire tomber le CPE (contrat première embauche) sous la hargne conjuguée d’étudiants et de syndicats rejouant sous nos yeux la fable resucée de la carpe et du lapin, la télévision publique aura ridiculisé à jamais ce qu’elle encense et encourage pourtant à longueur d’écoeurants journaux télévisés: la lâcheté, le mensonge, le renoncement, le défaitisme et l’incurie.

          Car qu’est-ce que de Gaulle sinon le refus de cette médiocrité que la télévision incarne si bien d’ordinaire. De Gaulle, c’est l’homme qui se lève quand les autres se couchent et qui, propre des vrais grands, ne capitule jamais. De Gaulle qui disait que la France était belle sans les Français. De Gaulle qui a fait plier Thorez, autrement plus coriace que Bernard Thibault (syndicaliste CGT) dont le patronyme, rappelons-le n’a aucun rapport avec la saga de Roger Martin du Gard et qui par conséquent ne méritera jamais que le prix Nobel de la coiffure. Même si l’on a tondu pour moins que ça à la libération...

          Mais tout de Gaulle qu’il fût, les Français ingrats le chassèrent comme un vulgaire laquais et c’est en Irlande, pareil à nos écrivains désireux d’échapper à la voracité fiscale, qu’il s’en alla méditer sur la bassesse et l’imbécilité d’un peuple qui décidément ne veut qu’être flatté.

          À l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore si le prurit estudiantin aura eu raison du gouvernement, si Villepin aura connu son 18 Brumaire à l’envers, si le climat insurrectionnel aura achevé la décomposition du corps social et si quoi que ce soit d’encourageant ou de positif aura surgi de ces décombres. Mais quand bien même une rose éclorait-elle sur ce fumier qu’elle aurait bien du mal à se débarrasser de son odeur tenace!

          Qu’importe! Car il est des jours funestes où l’on se dit qu’écrire est un luxe inutile; des jours où il faudrait se refermer et se taire; des jours où même le printemps se refuse. Et que Chirac et son premier ministre baissent ou non leurs pantalons ne changera rien à l’affaire. Les masques sont tombés depuis longtemps et nul ne s’offusque plus désormais de ces dénis de démocratie que grèves, manifestations et frondes en tout genre imposent périodiquement au pays.

          Faisant fi des échéances électorales et de la représentation nationale, la rue et les représentants du secteur public s’arrogent le droit de décider en lieu et place de l’exécutif. Encouragées en cela par nombre d’apprentis sorciers dont l’irresponsabilité et la vindicte n’ont pas été émoussées par l’avertissement du 21 avril 2002 [présence de Le Pen au second tour des présidentielles]. C’est fou ce que les hommes politiques et les journalistes ont la mémoire courte.

          Verrait-on ailleurs qu’en France de jeunes peigne-culs à la grammaire incertaine, pérorer à la télévision et exiger, sous l’oeil attendri de journalistes liges, le retrait d’une loi votée par un parlement légitimement élu et la démission d’un gouvernement qui – aussi peu crédible soit-il – n’en représente pas moins son expression? C’est le grand soir tous les soirs!

          Je sais que l’on est toujours le « vieux con » de quelqu’un, mais pour ma part je refuse obstinément d’être celui de ces béjaunes-là. Cohn-Bendit au moins avait du verbe et sa « révolution » un semblant de gueule! Il voulait changer le monde, ils veulent devenir fonctionnaires! C’était Dany le Rouge, ce sont des blancs-becs!

          Comme le chantait Jacques Brel, « ils étaient déjà vieux avant que d’être », porte-parole anémiés d’une société partisane du moindre effort et du moindre risque. Une société où des jeunes de 18 ans ne pensent qu’à la retraite! Une société – passez-moi l’expression – qui a la « chiasse » et qui est prête à se livrer, corps et âme, au premier faux prophète venu. Sarkozy, fais-moi peur! Ségolène, fouette-moi!

          Les fonctionnaires ont jeté leurs enfants – légitimes, naturels ou putatifs – dans la rue. Mais ces gavroches nourris au sein de l’État n’ont plus rien de misérables et n’inspirent donc que mépris. Car l’idéal fonctionnaire n’a rien de romantique ou d’utopique et, s’ils l’envient, les ouvriers, les humbles ou les laissés-pour-compte auraient tout lieu de s’en méfier. Ils en seront toujours les victimes expiatoires. L’idéal fonctionnaire a déjà eu pignon sur rue. Ses chantres se prénommaient Joseph pour le socialisme et Adolf pour le national. L’idéal fonctionnaire, c’est l’idéal totalitaire où dans un théâtre d’ombres le rouge et le brun s’épousent uniquement pour le pire.

          Car nonobstant la faillite morale du président Chirac, à quoi bon voter quand une minorité arc-boutée sur ses privilèges ou quelques boutefeux bien organisés s’opposeront à la moindre tentative de réforme et en viendront aisément à bout?

          Et qu’on ne me parle pas de dialogue et de concertation dans un pays où des syndicats qui ne représentent qu’eux-mêmes, soutenus financièrement à bout de bras par un État lui-même exsangue – comme si Judas avait été financé par Jésus! – n’interprètent plus qu’une triste parodie de négociation sociale.

          Et même si leurs chefs jouent aujourd’hui les coquettes, se produisent dans les émissions de variété, fument le cigare, couchent avec leur secrétaire, assistent aux corridas, fréquentent les meilleurs tables ou exploitent leur chauffeurs, il leur manque pour devenir de vrais capitalistes d’avoir mis les pieds dans une entreprise pour y travailler vraiment.

          Mais ils pourront toujours compter sur les suppôts de la lâcheté qui pour quelques pourcents aux présidentielles (cf. Bayrou) sont prêts à toutes les compromissions.

          C’était, disais-je, il y a un an. C’est aujourd’hui. Ce sera demain. Mes enfants, il faut vraiment partir...
 

 

SOMMAIRE NO 220QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME? ARCHIVESRECHERCHEAUTRES ARTICLES DE P. BONNEY

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QL POLITIQUE DE REPRODUCTION COMMENTAIRE? QUESTION?