Montréal, 22 avril 2007 • No 222

 

OPINION

 

Martin Gauthier détient une maîtrise en sciences économiques de l'Université du Québec à Montréal.

 
 

LES NÉOMERCANTILISTES, LES IMPORTATIONS ET L'EMPLOI

 

par Martin Gauthier

 

          L'un des préjugés les plus tenaces qui concernent le marché du travail est que les importations font perdre des emplois. Or globalement, les données statistiques contredisent cette assertion. Il est bien évident que dans une économie ouverte et dynamique, certains emplois disparaissent et ce, pour une pluralité de raisons, mais le contraire est aussi vrai: des emplois sont par ailleurs continuellement créés, notamment par le biais de nos exportations. En mettant continuellement l'accent sur les mauvaises nouvelles, les médias d'information sont en partie responsables de cette vision pessimiste de la mondialisation des échanges.

 

          En fait, cette méfiance à l'égard des importations ne date pas d'hier. Aux 17e et 18e siècles, la vision mercantiliste qui dominait la pensée économique à l'époque suggérait que les exportations étaient bonnes pour l'économie, mais pas les importations. Cette logique visait surtout à éviter des sorties d'or et d'autres métaux précieux du territoire national. Aujourd'hui, la même logique prévaut, mais pour les emplois. Sur le plan des idées économiques, l'idéologie mercantiliste a assurément engendré une innombrable ribambelle de descendants se réclamant de ce que l'on pourrait qualifier de néomercantilisme.

          Les néomercantilistes, comme leurs ancêtres idéologiques, s'inquiètent d'une détérioration du solde de la balance commerciale. Et ils ont de la difficulté à concevoir qu'un échange économique, une importation par exemple, puisse être mutuellement bénéfique. Il s'agit là bien sûr d'une logique à somme nulle qui, en mettant surtout l'accent sur les pertes d'emploi ponctuelles, et en suggérant qu'il puisse s’agir là d'une tendance de fond, a poussé beaucoup de gens à croire que la situation du marché du travail s'est réellement détériorée ces dernières années. La prochaine fois que vous rencontrerez l'une de ces personnes, rappelez-lui les faits suivants.

Premier constat: les importations ont fortement augmenté depuis 20 ans, autant en termes absolus qu'en termes relatifs.

          Au Canada, même en tenant compte de l'inflation, la valeur des importations a plus que triplé entre 1985 et 2005, passant de 141,8 à 485,9 milliards de dollars (prix constants de 1997). Pendant cette période caractérisée par de multiples ententes de libre-échange, la structure des dépenses de l'économie canadienne a été profondément modifiée. Ainsi, un an avant l'entente de libre-échange de 1989, un Canadien dépensait en moyenne près de 25 cents par dollar pour des produits et services étrangers; or cette proportion atteignait près de 42 cents en 2005! La figure A illustre ces changements significatifs qui auraient dû, selon une certaine vision des choses, se répercuter négativement sur le marché de l'emploi. Or, la catastrophe appréhendée ne s'est pas matérialisée.

 

Figure A : Évolution des importations


Source des données : Statistique Canada (tableau 380-0017)

Deuxième constat: il n'y a jamais eu autant d'emplois dans l'histoire canadienne et le taux de chômage est le plus bas des trente dernières années.

          Presque vingt années se sont écoulées depuis l'entente de libre-échange avec les États-Unis. Il est maintenant clair que nous avons amplement le recul nécessaire pour faire certains constats. Le premier est de rappeler ici à quel point tous les prophètes de malheur et opposants au libre-échange s'étaient trompés dans les années 1980. Si on exclut la pénible période de l'après-récession de 1991, l'emploi affiche une tendance haussière depuis bientôt une quinzaine d'années (figure B). Quoique l'économie canadienne ne soit pas à l'abri d'un ralentissement futur (ce qui est vrai pour n'importe quelle économie d'ailleurs), il devient nécessaire de regarder le chemin parcouru depuis quelques années et d'admettre que les performances du marché de l'emploi ont été et sont encore remarquables. En mars dernier, il y avait près de 16,8 millions d'emplois au pays, un sommet dans l'histoire canadienne. Quant au taux de chômage, il n'était que de 6,1%, soit le plus bas taux des trente dernières années. Cette performance extraordinaire du marché du travail s'est matérialisée dans un contexte où les importations se sont accrues de façon considérable ces dernières années.

 

Figure B : L'emploi et le taux de chômage au Canada (1989-2005)


Source des données : Statistique Canada (tableau 282-0002)

 

« Il est toujours désolant de constater que même des médias soi-disant favorables aux échanges économiques continuent de véhiculer des faussetés concernant les importations et l'emploi. »


Troisième constat: les conditions salariales des travailleurs ne se sont pas détériorées et la proportion des emplois à temps partiel s'est maintenue.

          Forcés d'admettre que le taux de chômage est bas et que le libre-échange a somme toute créé beaucoup d'emplois, certains gauchistes suggèrent avec opiniâtreté que les conditions salariales des travailleurs se seraient détériorées ces dernières années, et que de toute façon beaucoup des nouveaux emplois créés sont à temps partiel. La première de ces deux affirmations est inexacte, la seconde est résolument spécieuse. En fait, les données sur la comptabilité nationale montrent que les salaires accaparent systématiquement la plus importante part des revenus découlant de la production. Bien que cette proportion ait légèrement baissé depuis quelques années, il est cependant clair qu'en termes absolus, les salaires ont bel et bien augmenté depuis une quinzaine d'années (figure C). En fait, même en tenant compte de l'inflation, il est inexact d'affirmer que les conditions salariales se soient détériorées. Par exemple, la rémunération hebdomadaire réelle (pour l'ensemble des industries) s'est maintenue entre 1991 et 2005, passant de 548 $ à 555 $ (mesurée aux prix de 1992). Quant à la proportion des emplois à temps partiel, elle était de 18,3 % en mars dernier. Et il est faux de prétendre que celle-ci soit à la hausse, du moins depuis une dizaine d'années. Bien sûr, il y a plus d'emplois à temps partiel aujourd'hui que dans les années 1970, mais de suggérer qu'il puisse s'agir là de la manifestation d'une quelconque forme de détérioration du marché du travail est pour le moins grossier, surtout lorsque l'on tient compte des raisons évoquées par ceux-là même qui travaillent à temps partiel.

 

Figure C : Évolution de la rémunération au Canada (1991-2005)


Source des données : Statistique Canada (tableaux 281-0027 et 326-0002)

          Il est toujours désolant de constater que même des médias soi-disant favorables aux échanges économiques continuent de véhiculer des faussetés concernant les importations et l'emploi (je pense notamment à la revue Commerce qui suggérait un lien positif entre les importations et le chômage dans son édition d'avril 2007). Après ce bref tour d'horizon, il serait temps pour certains d'envisager l'avenir avec un plus grand optimisme. Les bonnes nouvelles ont aussi leur place. Qu'on se le dise, le marché de l'emploi, bien qu'hétérogène, se porte plutôt bien au pays et ce, malgré la croissance fulgurante des importations. Afin d'éviter certaines tentations protectionnistes futures, notamment à l'égard des pays émergents, la vision néomercantiliste, qui voit dans les importations une menace terrible pour le marché du travail, doit être contestée. Et les prophètes de malheur, nous ne les nommerons pas ici, devraient aller se cacher, au moins jusqu'à la prochaine récession.
 

 

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