Montréal, 6 mai 2007 • No 224

 

OPINION

 

Pierre Bouchard est avocat dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail.

 
 

ENTREPOSAGE DES ARMES À FEU:
PLUS DE RÉGLEMENTATION NE RÈGLE RIEN
(Lettre ouverte à Yves Boisvert,
chroniqueur à La Presse)

 

par Pierre Bouchard

 

Monsieur Boisvert,

          Ça fait déjà quelques années que je lis (parfois distraitement, je l'avoue) vos chroniques dans le journal La Presse. Sur beaucoup de sujets, vous semblez mettre l'accent sur la nécessité d'une règlementation appropriée, croyant que celle-ci, à défaut de corriger entièrement le problème, pourra en atténuer les effets. Je crois que vous êtes juriste de formation, comme moi d'ailleurs.

          J'aimerais cependant attirer votre attention sur un sujet que vous avez traité dernièrement, celui des armes à feu, et ce à la suite des événements qui se sont déroulés en Virginie (voir: « Il n'y a pas rien à faire », 19 avril 2007).

 

          À l'instar de M. Jean Charest, vous dites souhaiter une règlementation plus sévère en ce qui a trait à la possession ou au transport des armes à feu au Québec, ne serait-ce que pour faire un pas, bien que très symbolique, en matière de sécurité du public. Je suis moi-même tireur à la cible depuis un quart de siècle. Je possède des armes à autorisation restreinte depuis belle lurette (dont plusieurs pistolets semi-automatiques). Je pratique aussi le tir au pigeon d'argile ainsi que le tir à l'arc (traditionnel et de chasse). Je pratique donc plusieurs types de tir. Suivant vos dires, il serait maintenant préférable que je confie la garde de mes armes à autorisation restreinte à mon club de tir afin de satisfaire à votre besoin (dans ce cas-ci il faudrait le qualifier de quasi-pathologique) de sécurité.

          Est-ce que vous êtes au courant, M. Boisvert, des conditions d'obtention au Canada d'armes à autorisation restreinte? Est-ce que vous êtes au courant des lois à propos de leur transport et de leur entreposage sécuritaire? Vous allez me répliquer que Kimveer Gill, le tueur du Collège Dawson, y était soumis lui aussi et que ça ne l'a pas empêché de commettre son forfait. Bien sûr. Et pour satisfaire votre besoin pathologique de sécurité et de règlementation à outrance, vous n'hésiterez certainement pas à appuyer le projet de loi de M. Charest (bien que celui-ci semble s'immiscer dans un champ de compétence fédérale). Vous allez donc m'obliger à entreposer mes armes à feu (dites à autorisation restreinte) ailleurs que chez moi, alors qu'elles y ont été conservées de façon plus que sécuritaire durant un quart de siècle, conformément aux exigences plus que sévères de la Loi sur les armes à feu et du Code criminel.

          Vous croyez qu'ainsi vous aurez contribué à sauver des vies: Ah cette belle conscience humaniste! Votre solution, elle, est toujours simple: le règlement! Et il faut qu'il soit suivi à la lettre!

          Je m’oppose vivement à cette mesure. Premièrement, comme il est bien établi, toute la législation sur les armes à feu est de compétence fédérale, que ce soit le Code criminel, la Loi sur les armes à feu et tous les règlements qui en découlent. La Cour suprême du Canada a maintes fois statué sur cette question. M. Charest n’a pas la compétence juridico-constitutionnelle pour créer des catégories d’armes à feu ou pour en redéfinir à sa guise les conditions de possession. En ce sens, si M. Charest parle d’armes semi-automatiques, ces armes ne sont pas comme telles définies dans le Code criminel mais sont plutôt englobées dans la définition plus vaste d’armes à autorisation restreinte, ce qui inclut entre autres les simples revolvers à barillet.

          Je ne suis pas dupe. Aujourd'hui on parle d'armes semi-automatiques, demain ce seront les carabines à répétition et le lendemain, tout le reste... Cette mesure brimerait le droit des citoyens en ce qui concerne la libre jouissance de leurs biens personnels. La population serait lésée dans ses droits à la propriété, encore une fois.

          De plus, il y a le fait que ce sera impossible pour les clubs de tir d'accomplir une telle tâche pharaonique. La réalité, c'est que la plupart des clubs de tir sont des organismes sportifs sans but lucratif et que la plupart du temps, le club de tir n'est rien d'autre qu'une cabane rudimentaire avec un pas de tir, tout comme celui que je fréquente, mais qui est tout à fait conforme aux normes établies par la loi et les règlements fédéraux en la matière. M. Charest voudrait-il ordonner la fermeture de ces clubs de tir, qui sont majoritairement rudimentaires, situés en région rurale, mais tout à fait sécuritaires et conformes aux lois, au Québec sous prétexte qu’il leur sera impossible de faire de l’entreposage? Et comment serait-il possible pour les clubs d'entreposer des centaines de milliers d'armes semi-automatiques (ou 78 000 armes à autorisation restreinte) de façon sécuritaire? Si vous croyez que le registre des armes à feu nous a coûté cher, vous n'avez encore rien vu!
 

« La sécurité totale, M. Boisvert, ça n'existe pas sauf en régime totalitaire, et encore. »


          On voit très bien poindre ici la préoccupation tout à fait urbaine de M. Charest versus la réalité en régions. On veut ici sacrifier les régions pour encore plaire à la métropole.

          Il faudra d'abord construire les infrastructures, les munir de systèmes électroniques de sécurité, de surveillance, de prévention des incendies, de ventilation et de gestion d'accès. Il faudrait ensuite gérer les armes elles-mêmes, une tâche herculéenne. On ne peut entreposer des armes dans n'importe quelles conditions, il faut contrôler la température et déshumidifier l'air. Finalement, il ne faut pas oublier les coûts en personnel : salaires, avantages sociaux, syndicats, etc. En bout de ligne cette mesure coûterait une fortune. N'oublions pas qu'il faudra assurer le tout contre le feu, vol, vandalisme, dégâts d'eau, inondations, etc. Il va sans dire qu’aucune compagnie d’assurance n’acceptera de couvrir ces genres d’endroits, et avec raison. Par ailleurs, ceci hausserait le coût des cartes de membres des clubs de tir d'une façon astronomique. Ce ne sont que quelques problèmes évidents, la liste réelle serait interminable.

          Et si moi j'aime avoir mes armes à la maison pour les nettoyer ou les bichonner, est-ce que ça vous regarde? Est-ce que je critique vos loisirs? C'est fatigant d'avoir toujours quelqu'un de votre genre qui souhaite regarder dans mon assiette!

          Le registre fédéral des armes à feu nous a coûté deux milliards de dollars et le Centre canadien n'a que des numéros de série à gérer! Comme toutes les solutions « politiquement correctes », cette idée ne règlerait en rien la situation et créerait en plus un nouveau problème, encore plus énorme. En regroupant toutes ces armes au même endroit, on ne fera que créer des « supermarchés d'armes », de véritables cavernes d’Ali Baba pour les criminels. Présentement, les armes sont entreposées chez le propriétaire et les criminels n'ont aucune idée qui les possèdent. La majorité des Québécois en ont plus qu'assez des mesures de resserrement inutiles face au contrôle des armes à feu, des mesures qui briment les honnêtes gens, sans jamais atteindre les vrais criminels. Il est temps de cesser de faire des lois en croyant que les criminels s'y conformeront. Que ce soit pour la chasse, la pratique du tir à la cible ou la collection, la possession d'armes à feu à la maison est chose des plus communes. Pour tous les propriétaires d'armes à feu au Québec, tous des électeurs potentiels, cette chasse aux sorcières a assez duré.

          Si le gouvernement Charest désire vraiment « faire un pas supplémentaire » dans la sécurité, il pourrait toujours demander aux possesseurs d’armes à autorisation restreinte de se soumettre à des visites périodiques, non annoncées et même relativement fréquentes à domicile de la part du Contrôleur des armes à feu (peut-être pas M. Massé lui-même, mais des gens qu’il déléguerait à cet effet). Il s’agit là d’un pouvoir qui est dévolu au Contrôleur des armes à feu. Une telle mesure, très économique (bien que je la juge intrusive, mais on est au Québec!) serait beaucoup plus efficace pour prévenir le crime et s’avèrerait utile notamment pour vérifier si l’entreposage des armes à feu est fait de façon conforme aux normes établies par la loi.

          Stockwell Day, le ministre fédéral de la Sécurité publique, exige maintenant des nouveaux requérants pour des armes à feu qu’ils se soumettent à des interrogatoires serrés de la part des agents du Centre canadien des armes à feu. Les contrôles sont ici plus qu’exigeants. Que demander de plus?

          La sécurité totale, M. Boisvert, ça n'existe pas sauf en régime totalitaire, et encore. Vous voulez copier ce qui s'est fait en Angleterre en matière de contrôle des armes à feu: depuis qu'ils ont resserré leur contrôle, la criminalité dans ce pays n'a fait qu'augmenter. Je vis à quelques kilomètres de la frontière du Vermont. Dans cet État, il est même permis de porter sur soi des armes à autorisation restreinte, et devinez quoi M. Boisvert: la criminalité y est presqu'inexistante.

          Je sais que vous ne changerez pas de position sur ce sujet. Votre idée est faite. Vous croyez au pouvoir tout puissant de la règlementation et de la coercition (comme vous le démontrez clairement dans une récente chronique sur les accidents d'autos). Vous croyez en une spécificité québécoise qui commanderait mystérieusement une avalanche de règlementations pour satisfaire un pseudo-besoin atavique de sécurité... un besoin que vous créez selon moi de toutes pièces. C'est facile, c'est démagogique et ça fonctionne admirablement bien.

          Bien que je doute que vous répliquiez à la présente, je vous prie d'agréer, M. Boisvert, l'expression de mes sentiments distingués.
 

 

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