| L’investissement du côté du client est faible: un vote, un 
					soutien à un candidat. Le gain n’est pas immense (ce n’est 
					certes pas un pari pascalien, où l’on gagne l’infini), mais, 
					quoique repoussé dans le futur, il est très concret pour le 
					client: ce peut être un avantage « social », une sécurité en 
					plus, un coût moindre pour un service « public », etc. 
					Voulez-vous des exemples? Consultez le programme électoral 
					de votre candidat préféré (ou, au contraire, de celui ou 
					celle que vous détestez le plus).
 
 Une fois la vente opérée 
					(l’élection passée), la promesse a été vendue, et c’est tout 
					ce qui importe pour le candidat. Il y a deux choses bien 
					distinctes: la promesse, et l’objet de la promesse. Seule la 
					promesse a été échangée contre le vote. Il n’y a aucune 
					garantie que la promesse soit tenue: le politicien n’a signé 
					aucun contrat, et la justice ne le tracassera pas quand ses 
					mensonges seront devenus flagrants aux yeux de tous. Au 
					contraire, il risque de passer pour un réaliste pragmatique, 
					éloigné de toute démagogie.
 
 On a certes le droit de 
					vendre du vent à celui qui aime les courants d’air. Mais les 
					promesses politiques sont à la fois immorales et 
					illégitimes, dans tous les cas – qu’elles ne soient pas 
					tenues (tromperie envers l’électeur trop naïf), ou qu’elles 
					soient tenues, ce qui s’opère alors aux dépens du « moins 
					fort politiquement ». Car la politique ne crée pas de 
					richesse, puisqu’il ne s’agit que d’un vol 
					institutionnalisé, le politicien qui gagne l’élection se 
					souciant comme de sa première veste (électorale) de votre 
					consentement à son programme.
 
 Les symboles et les mythes sociaux sont les produits 
					phares du marché de la bêtise.
 
 La capacité à accepter 
					les promesses politiques finit par s’émousser, et le citoyen 
					a de plus en plus conscience que le marché politique est un 
					marché de dupes. Conformément à la théorie de la 
					subjectivité de la valeur, il pourrait bien finir par ne 
					plus accorder de crédit aux promesses, et se retirer de ce 
					marché où il n’a rien à gagner, le coût d’opportunité du 
					vote devenant prohibitif.
 
 Mais le politicien est 
					normalement plus malin que son client-électeur-contribuable, 
					puisque tout son art consiste à vivre à ses dépens sans que 
					ce dernier se rebiffe. Il ne va pas seulement blâmer ce 
					client qui le fuit, ce mauvais citoyen qui ne participe pas 
					à la vie de la Cité, qui s’abstient, ou qui vote n’importe 
					comment. Il va chercher toujours plus à s’attirer ses bonnes 
					grâces en se faisant psychologue, pour sonder son âme et en 
					déceler les craintes, les aspirations, et la phénoménale 
					capacité à s’illusionner.
 
 Le citoyen a un besoin 
					illimité de protection. Chaque jour, il risque de perdre son 
					emploi, d’être agressé dans la rue, de tomber malade, de 
					s’appauvrir et de ne plus pouvoir conserver son train de 
					vie, etc. Il faut donc lui vendre des talismans protecteurs, 
					et au besoin lui faire peur pour qu’il les achète.
 
 Pour répondre au besoin 
					illimité de protection, le politicien va jouer les apprentis 
					sorciers et proposer des « mesures » qui se révèleront 
					toujours pires que le mal auquel elles sont censées 
					remédier. Voyons quelques exemples typiques.
 
 On proposera d’instaurer 
					un salaire minimum pour éviter d’avoir des travailleurs 
					pauvres – ce faisant, on créera une nouvelle barrière à 
					l’emploi qui exclura ceux dont le travail valait moins. Le 
					SMIC devient ainsi un symbole de progrès qui ne protège en 
					réalité personne.
 
 On durcira à coup de 
					réglementation les conditions de licenciement pour « éviter 
					les abus » des employeurs (le chômage ne participe-t-il pas 
					de l’horreur économique capitaliste?) – ce faisant, on 
					dissuadera les patrons d’embaucher, mais peu importe, on 
					crée ainsi un nouveau symbole appelé « Code du Travail » 
					censé nous protéger, alors que le résultat est bien de nous 
					précariser davantage.
 
 On proposera une 
					assurance santé obligatoire qui n’a d’assurance que le nom 
					(en l’absence de prime liée au risque, de contrat, de 
					garantie) et qui détourne plus de 20% du salaire complet: 
					c’est la symbolique « Sécu » à laquelle le citoyen est 
					tellement attaché, tel le chien à sa chaîne. Une chaîne 
					héritée du communisme français, qui remonte à 1945, mais qui 
					est solide, car les gouvernements (non communistes) n’ont eu 
					de cesse de la renforcer au fil des ans, bien qu’elle 
					contrevienne autant à la législation européenne qu’au droit 
					de l’homme à disposer librement des fruits de son travail.
 
 Tous ces symboles 
					contribuent à édifier un mythe, celui de la « protection 
					sociale », du « modèle social », qui n’a d’efficacité que 
					symbolique, car tous ces services (ou du moins ceux qui sont 
					vraiment utiles) pourraient être rendus à moindre coût et 
					meilleure qualité par le marché privé, ce que les intéressés 
					ignorent souvent, aveuglés par l’illusion sociale 
					« solidaire ».
 
 Mais la charge symbolique 
					est si forte, que le client abusé reste prêt à payer très 
					cher pour cette « protection », ce qui est tout bénéfice 
					pour les profiteurs de la « République Fromagère ». Celui 
					qui viendrait à contester ces mythes serait au sens propre 
					un iconoclaste antisocial, un monstre d’inhumanité, bref, un 
					libéral! Il préfère vivre sous la clarté du soleil plutôt 
					qu’à l’ombre tutélaire, mais pernicieuse et délétère, de 
					l’État redistributeur. Le soir venu, il parcourt les villes 
					avec sa lanterne, à la recherche d’un homme qui ne croirait 
					plus aux mythes étatiques, mais en vain: les assistés lui 
					montrent les bienfaits de la solidarité forcée, tandis que 
					les ponctionnés complaisants fustigent son « égoïsme » 
					individualiste.
 
 Le citoyen a aussi un 
					besoin illimité de se projeter dans l’avenir, d’espérer en 
					la prospérité, de croire en son bonheur ou en celui de ses 
					enfants, etc. Il ne compte pas sur lui-même pour avancer et 
					réussir dans la vie, cela serait sans doute au-delà de ses 
					forces. Il faut donc lui vendre du rêve, et c’est une autre 
					des tâches du politicien. Se limiter à subvenir à son besoin 
					de protection par ces symboles « sociaux » inefficaces mais 
					tellement envoûtants serait faire montre de matérialisme 
					mesquin, alors qu’il y a tant à gagner à vendre du rêve, du 
					bonheur futur, le paradis sur terre… On lui proposera alors 
					du Grand Dessein, du Vivre Ensemble, de l’Avenir Radieux ou 
					Durable, ou bien l’Europe Sociale, le Pacte Républicain, un 
					Autre Monde (qui est « possible », ou qui est « en marche », 
					au choix), une France qui gagne… bref, toutes les lubies 
					pré-totalitaires qui ont fait leurs preuves au XXe siècle.
 
 Il s’agit d’offrir, non 
					plus l’espoir d’un avantage tangible, comme peuvent l’être 
					les simulacres de protection sociale que nous avons 
					mentionnés, mais un mythe collectif, du rêve à l’état pur, 
					qui en appelle à la fois à l’instinct grégaire de chacun 
					(qu’il soit nationaliste, communautaire, religieux, 
					identitaire) et à la magie noire, à l’État comme source 
					inépuisable de richesses et de bienfaits, infatigable 
					pourvoyeur de lendemains qui chantent.
 
 Tandis que les gogos, 
					sans se poser de questions, vivent de mythes, de symboles et 
					d’eau fraîche, les politiciens, en calculateurs réalistes, 
					cueillent les fruits de l’arbre de la stupidité. On peut 
					penser que le gogo n’a que ce qu’il mérite (stupidity is 
					painful after all). Cet état de choses serait tolérable 
					si on permettait au restant de gens lucides d’échapper à 
					l’esclavage politique, mais on sait qu’ils n’ont pas le 
					choix; voter avec leurs pieds restant le dernier recours.
 
 Électeurs, 
					réveillez-vous! Stupidity is no excuse for not thinking.
 
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