Montréal, 20 mai 2007 • No 226

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

PLAIDOYER POUR UN NOUVEAU
– ET VRAI! – LIBÉRALISME

 

par Patrick Bonney

 

          Cochon qui s’en dédit! Bien qu’ayant juré de m’en remettre à mon seul pessimisme et de me satisfaire d’une attitude de renoncement et d’une situation de repli qui seules, selon Sénèque, offrent les conditions d’une vie heureuse, voilà que je me surprends à croire en un autre possible.

          Parjure qui se fera plaidoyer.

 

          L’avènement d’un véritable libéralisme prendra cinquante ans, cela m’en fera donc cent! Qu’à cela ne tienne et... qu’à Dieu ne plaise! Façon de parler évidemment. Mais aussi raison de vivre qui en vaut bien d’autres. Et puis souvenons-nous qu’au début de l’ère Meiji, il n’a pas fallu cinq ans aux Japonais pour passer de la féodalité à la modernité. Ce que des hommes ont fait, d’autres peuvent bien le refaire.

          Que ceux qui me prendraient pour un illuminé se rassurent: je le suis bel et bien! Et c’est à d’autres fous qui, comme moi restent accrochés à leur pinceaux et n’ont pas besoin d’échelle quand ils repeignent un plafond, que ces mots sont destinés. Car ce sont les fous – pour peu qu’ils sachent garder l’esprit sain – qui embellissent la société quand d’autres – les rangés, les sensés, les raisonnables – ne font le plus souvent que l’enlaidir, la pervertir et la soumettre.

          Et si esprit sain n’est pas toujours synonyme de Saint-Esprit, le lien de parenté va toutefois bien au-delà du simple jeu de mot.

          Pour mémoire, j’écris ces mots aux premiers jours du règne d’un président, Nicolas Sarkozy, dont le nom n’occupera guère plus de place dans les livres d’histoire que celui d’un mécréant dans la Bible. Lot commun des tyranneaux qui font le miel des exégètes mais n’auront existé que pour mieux être oubliés.

          J’écris surtout ces mots au moment où, contrairement à ce que je peux lire ici ou là, la liberté et le libéralisme sont au plus mal dans le pays qui m’a vu naître.

          Et ce ne sont pas les récents et fallacieux ralliements au nouveau régime, retournements honteux de dévots défroqués, prêts à tout pour approcher le pouvoir et, qui tels de piteux Icare ont vu leurs ailes de cire fondre avant même qu’ils ne se fussent envolés, qui me rassureront. Les livres anciens recèlent de ces prophètes à la mine aussi fausse que la parole. Libéraux volages comme il est des maris. Notre cause vaut pourtant mieux qu’une comédie de boulevard, les cocus y seraient-ils nombreux!

          Ne nous payons pas de mots, mais plus que de reniement, c’est de droiture et de persévérance dont nous aurons besoin.

          Il nous faudra rebâtir avec des hommes et des femmes de conviction. Des hommes et des femmes pour lesquels l’économie et la politique sont l’art de faire des choses et non de faire carrière. Les girouettes ne donnent que le sens du vent quand il nous faudra être ce vent.

          « Entrez par la porte étroite » et force est d’admettre qu’elle ne l’a jamais été davantage.

          Car pour l’heure, jamais l’évidence étatique n’aura été aussi forte, jamais les esprits n’auront été à ce point aveuglés, jamais l’État et ceux qui le servent n’auront à ce point imposé l’idée de sa nécessité, jamais enfin les véritables libéraux n’auront été aussi peu nombreux.

          C’est pourtant ce moment fatidique, point zéro de la reconquête, que je choisis pour lancer mon appel. Car je crois que si, à l’instar de nombreux autres, le courage m’a manqué jusqu’alors, il est désormais temps d’en finir avec les effets de manche et rodomontades diverses; d’en finir avec la satisfaction mesquine d’appartenir au cercle fermé des initiés quand les autres, trop ignorants ou mal éveillés (pour utiliser un terme bouddhique), seraient condamnés aux incarnations successives de l’esclavage et de la soumission.

          Car aimer la liberté, c’est conserver intact sa capacité de révolte et d’indignation. Mais c’est aussi agir et se projeter dans un futur qui demande qu’on lui sacrifie une partie de son présent. Règle fondamentale de l’épargne que l’on a oublié et qui consiste à ne pas jouir immédiatement d’une partie de ses richesses, dans l’espoir – jamais garanti! – d’en profiter davantage ultérieurement.

          Mais s’il faut en finir avec les dogmes aussi absurdes qu’infondés qui ont modelé notre société d’une pâte indigeste, je n’insisterai jamais assez sur le sacerdoce, l’ascèse et l’opiniâtreté qu’exigera notre ministère.

          C’est assez de voir, d’entendre, de lire les certitudes totalitaires dont nous abreuvent les parangons de l’État et leurs affidés. « Ces hommes de l’État », pour reprendre un terme cher à Frédéric Bastiat, dont il faut se méfier et qui ne sont d’ailleurs pas, comme ils se proclament, ses serviteurs mais plutôt ses valets. Vulgaires loufiats en somme, avec la connotation obséquieuse et la tartufferie qui vont de pair.

          Nous ne pourrons faire l’économie de les combattre avec toute notre véhémence. Car nous n’aurons que le verbe alors qu’ils disposent de moyens immenses. La coercition remplaçant chez eux l’argument plus souvent qu’à son tour. Et s’ils rêvent de nous faire taire, ne tombons pas dans le piège de la violence. La violence est contraire à notre nature et aux idées que nous défendons. Elle doit rester leur apanage même s’il ferait beau voir que l’on s’en laissât conter. Nos mots n’auront de toute façon pas de mal à couvrir leurs borborygmes.
 

* * *

          En vérité, nous ne pourrons vaincre et réussir qu’en donnant un caractère messianique à notre cause. Le libéralisme est la plus belle des religions pour des hommes sans Dieu. Elle n’est pas sectaire, est ouverte à tous et oeuvre uniquement pour le bien commun. C’est faute d’en avoir expliqué la réalité et les fondements que nous n’avons su la faire adopter.

          Le marché abonde d’exemples où un mauvais produit s’impose face à ses concurrents pourtant meilleurs mais... mal promus. Il en est de même avec les idées politiques. Le socialisme et l’étatisme se sont imposés au détriment du libéralisme non parce qu’ils étaient meilleurs mais parce que l’on a fait croire – et que l’on continue de faire croire! – qu’ils l’étaient.

          Force est d’admettre que la machine à fabriquer les idées fausses a fonctionné à plein régime et s’est montrée d’une efficacité redoutable. Si efficace, qu’aujourd’hui encore, la plupart des économistes ayant pignon sur rue sont convaincus du bien-fondé de l’intervention de l’État. Quand bien même cette intervention montrerait ses limites et ses travers de la façon la plus criante, la plus choquante, la plus injuste et la plus douloureuse. En particulier pour tous ceux qui sont en les victimes expiatoires.

          L’étatisme est un jeu à somme nulle. Comme au casino ou au poker, pour qu’il y ait des gagnants, il faut qu’il y ait des perdants.

          Mais ces nouveaux Trissotins n’en ont cure, tout englués qu’ils sont dans le magma insondable de leurs certitudes malsaines. On ne change certes pas de paradigme comme on change de chemise mais quoi! Et le bon sens bordel! Le simple bon sens!

          Le pire, c’est qu’il y a fort à parier que nos apparatchiks ne renonceront à leurs chimères que contraints et forcés. Seulement, et après seulement, que le dernier des imbéciles aura compris que leur raisonnements ne valaient pas tripette. Et savoir qu’ils finiront comme les contempteurs de Galilée sera une piètre consolation. Il y a une grosse différence entre laisser certaines illusions d’optique comme le « coucher de soleil » perdurer dans le langage commun et continuer de croire à la réalité de son image. Il en est de l’économie comme de la physique, il y a « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Formule qui a fait la renommée – encore trop confidentielle – de Frédéric Bastiat et à laquelle j’ajouterai désormais « ce que l’on cache »!

          Toute fausse vérité est d’autant plus difficile à éradiquer que son succès est grand. Au fond, la terre n’est devenue véritablement ronde qu’au moment où tout le monde a accepté de croire qu’elle l’était. Comment voir le bleu du ciel à travers des lunettes roses?

          Il n’est qu’à voir le sort réservé aux économistes dits « libéraux » au sein de l’université. On va jusqu’à leur réfuter le droit au sérieux et on instruit – à charge uniquement! – des procès en sorcellerie dignes de la pire époque stalinienne. Il ne reste plus ensuite à nos nouveaux inquisiteurs – Torquemadas aux idées courtes – qu’à dresser le bûcher des infamies. Il n’en faut pas davantage pour que nos amis libéraux deviennent de dangereux extrémistes habités par d’irrépressibles pulsions capitalistiques et soient voués aux gémonies. Et si la torture qu’ils subissent est toute morale, elle n’en est pas moins vile.

          Que deviendrait l’université sans l’État ou plus précisément – car telle est la seule question qui vaille – qui paierait les traitements de ces mendiants indignes si d’aventure l’État se désengageait? Syllogisme interrogatif et simpliste autour duquel nos crypto-étatiquo-marxistes, improductifs et incompétents, tournent comme d’infortunés derviches, incapables qu’ils sont de briser le cercle vicieux de leur dépendance triviale. Quelle tristesse de constater que le savoir et sa divulgation ne se résument plus pour eux qu’à une sordide affaire d’État et... d’argent.

          Quant aux écrits de Frédéric Bastiat, lequel aurait mérité le prix Nobel – s’il avait existé et que l’on considère qu’il resterait encore quelque mérite à l’obtenir – ils seraient trop limpides pour être vrais. Le compréhensible étant par définition suspect aux yeux de nos censeurs à petits pieds. Comment admettre que l’on puisse expliquer par des mots simples ce qu’eux mêmes ne parviennent pas à expliquer avec des mots compliqués?
 

* * *

          Voilà bien le défi qui nous est proposé! Convaincre, non pas une élite à la pensée corrompue, mais l’ensemble de la population du bien-fondé de nos théories. À rebours des idées reçues et souvent fausses qui ont fini par encrasser jusqu’aux esprits les plus fins. Et c’est par cette explication à grande échelle qu’il nous faut commencer notre travail. Travail de titan, j’en conviens! Travail qui s’apparente à une décontamination tant les cerveaux ont subi de lavages et de délavages. On ne gagne rien à entretenir la bêtise et la soumission. Notre combat est aussi celui de l’intelligence.

          Comme après un incendie de forêt, ayons aussi la patience d’attendre l’éclosion de nouvelles pousses qu’il nous faudra protéger pour qu’elles puissent s’affirmer, pousser et s’épanouir.

          Nous sommes pareils aux premiers chrétiens et à défaut de catacombes, nous avons Internet.
 

« Une société libérale sera une société où le libéralisme ne sera pas imposé du haut vers le bas, mais où, au contraire, il partira du bas pour irriguer le haut. Et c’est ainsi, légitimé et compris, qu’il pourra bénéficier à une société qui l’aura plébiscité. »


          Mais, comme eux, il nous faudra sans doute accepter humiliations, défaites, rejets. Comme eux, il nous faudra faire fi des quolibets, des rebuffades, des moqueries. Ignorer ou feindre d’ignorer l’arrogance et le mépris de ceux qui, persuadés de savoir, persuadés de leur bon droit, persuadés qu’il n’est d’autre chemin, n’ont plus la capacité ni de croire en un autre possible et encore moins de l’imaginer.

          Souvenons-nous de la terrible formule de l’empereur du Japon après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki: « Il nous faut accepter l’inacceptable et surmonter l’insurmontable ». Noble chemin de croix...

          On ne pourra échapper au manichéisme et à la diabolisation. Et dans ce combat du bien contre le mal, seule la conviction d’incarner le premier, d’être dans le droit chemin, d’oeuvrer pour le bien commun nous permettra de l’emporter. La route sera longue à extirper la tyrannie étatique de ses moindres recoins, à ne plus lui laisser le moindre espace de respiration et d’expression, à la poursuivre dans ses plus petits sophismes et fausses évidences.

          Il faut éradiquer l’État de la pensée commune comme un exorciste chasse le diable des esprits.

          Du monde entier, des hommes et des femmes nous y aideront car notre combat est juste. Libéraux de tous les pays, unissez-vous! Si la formule a fonctionné pour le marxisme, pourquoi ne marcherait-elle pas pour nous?

          Mais que notre cause soit juste – et même la plus juste qui soit! – ne lui garantit pas la victoire. Et bien qu’il ne s’agisse pas de mourir pour elle – la liberté n’est belle que pour les vivants! – elle exigera sans doute quelques sacrifices.

          Il nous faut croire à la société à laquelle nous aspirons, en définir les lignes et les fondements, en ériger les principes, en écrire la constitution. Notre aspiration est la liberté et ses apôtres en sont connus: Frédéric Bastiat, Alexis de Tocqueville, Benjamin Constant, Jean-Baptiste Say, Friedrich Hayek, Ludwig von Mises et tant d’autres... mais aussi, plus surprenants, Socrate, Sénèque, Gandhi et tout ceux pour lesquels ces mots de liberté, de justice et de bien commun n’étaient pas vains.

          Toute idée doit pour s’imposer le faire aux dépens d’une autre. Mais nous n’avons aucun scrupule à avoir! Notre lutte est légitime et depuis quand faudrait-il rougir de se battre pour le bien commun?

          Que la réalité nous donne raison et que notre démarche soit rationnelle n’excluent en rien de lui donner le sens d’une quête. Dussé-je le répéter mille fois, c’est ce qui a toujours manqué au libéralisme. C’est en quelque sorte son péché originel: une théorie économique sans dimension humaine. Alors qu’il est précisément l’inverse. Nous devons corriger cette erreur initiale en lui donnant la dimension spirituelle que certains de ses chantres ont nié – ou occulté – et qui, seule, permettra à nos idées de s’imposer comme une évidence.

          On ne peut dénier à l’être humain son besoin d’idéal, de dépassement de soi, de projet commun, d’appartenance collective. Le libéralisme qui n’est pas, loin s’en faut, l’individualisme, est à la mesure de cette ambition.

          Nombreux sont ceux qui, perturbés par les fausses évidences largement colportées, ont pensé que l’humanisme allait de pair avec un étatisme bon teint; ont cru que seul l’État pouvait garantir par sa redistribution, pourtant équivoque, une intégrité minimale à ceux qui travaillent dans des conditions difficiles. Libéralisme pour eux est devenu synonyme de sauvagerie, de jungle alors qu’au contraire, appliqué dans les règles, il est le garant des équilibres sociaux tout en restant le meilleur allié des initiatives individuelles.

          Et si aucun d’entre nous ne pourra endosser sans faire sourire ou se couvrir de ridicule, le pagne du Mahatma Gandhi, à la fois guide spirituel et visionnaire politique, celui dont Einstein a pu dire que « jamais les générations futures ne pourront croire qu’un tel homme ait pu exister », il serait bon néanmoins de s’inspirer de son idéalisme pratique et de sa morale irréprochable.

          Car aucun combat ne se gagne sans vertu. Aucune cause, aussi belle soit-elle, ne peut s’affranchir des exigences morales nécessaires à son avènement. Il ne s’agit pas ici de juger tel ou tel sur ses préférences sexuelles ou son goût pour la luxure, ce dont un défenseur des libertés n’a que faire, mais sur sa capacité à mettre le bien et l’intérêt commun au-dessus de ses intérêts propres. Tout le monde aime la concurrence à condition qu’elle ne s’applique pas à son secteur d’activité ou à sa fonction. Tout le monde aime le libre-échange dès lors qu’il fait baisser les prix mais le rejette aussitôt qu’il menace son emploi. Mais il n’y a pas plus de libéralisme « à la carte » ou de demi-libéralisme qu’il n’y a de semi-liberté. On est libre ou on ne l’est pas! Le libéralisme est un tout et c’est sa mise en oeuvre globale qui permet d’en tirer les bienfaits. On ne prend pas l’avion si l’on n'achète que la moitié du billet.

* * *

          Le libéralisme implique une remise en question, sinon permanente, du moins cyclique des acquis. Cycle de la vie, d’un produit, d’une idée. Là où l’étatisme prône l’immobilisme, il serait le mouvement. Mais le mouvement – inquiéterait-il parfois! – n’est-il pas l’essence de la vie?

          De même que le libéralisme ne consiste pas à favoriser l’hégémonie ou la domination du marché par quelques oligopoles, il n’est pas davantage un système qui verrait les riches asseoir leur domination sur les pauvres. C’est au contraire le système actuel, basé sur des rentes de privilèges ou de production, qui accentue la misère de ceux à qui l’État fait miroiter une redistribution qui se résume pour certains à quelques miettes. Les pauvres comme les esclaves de jadis mangent les restes que veulent bien leur laisser les nantis de la nouvelle aristocratie.

          Bastiat, toujours lui, stigmatisait déjà en 1850 les frais de bouche de la présidence de la république, expliquant que ce qui se prenait là manquait ailleurs. Rien n’est sans conséquence et la plus insignifiante des dépenses inutiles ne l’est jamais.

          Le libéralisme, c’est aussi la concurrence. Et la concurrence, c’est la redistribution. Une redistribution bien plus juste et efficace que celle de l’État puisqu’elle s’opère par la baisse des prix. Baisse dont les plus pauvres sont les premiers à bénéficier.

          La concurrence, c’est aussi éviter la confiscation de la richesse produite au seul profit d’un petit nombre de producteurs. La concurrence enfin, c’est la possibilité d’avoir, pour le plus grand nombre, accès à ce qui était jusqu’alors réservé à une élite ou des privilégiés.

          Où est l’épouvantail libéral dans tout ça? Que les agents de l’État s’en émeuvent, incapables qu’ils sont (ou croient l’être) de se recycler dans la grande lessiveuse du marché, soit! Il ne sera peut-être pas drôle pour les inspecteurs des impôts de devenir garçon de café (métier bien plus noble au demeurant) mais les autres! Les déshérités, les sans grades, les exclus, les parias! Qu’ont-ils à perdre? Rien! Bien au contraire, ils auraient tout à y gagner.

          On dit que si les riches maigrissent, les pauvres meurent. Eh bien avec l’État, la solidarité est inverse. C’est quand il grossit que les pauvres meurent. Le libéralisme est définitivement plus égalitaire que l’étatisme!

          Nous ne réussirons donc que si nous parvenons à convaincre nos interlocuteurs que nos idées sont bonnes pour l’ensemble de la collectivité et non uniquement pour une caste composée de chefs d’entreprises et de rapaces de la finance pervertissant l’essence même du libéralisme. Et contrairement à nos adversaires, nous n’aurons pas à mentir puisque c’est vrai!

* * *

          Pour que les gens adhèrent au libéralisme, il faut d’abord qu’ils y croient.

          Et pour cela, il convient de le débarrasser définitivement des scories racistes, antisémites, droitistes, fascistes ou opportunistes dont l’ont affublé nombre de ses porte-parole. Car le libéralisme authentique, tel que nous voulons le promouvoir, est tout le contraire. Ce libéralisme-là est un humanisme.

          Il n’est pas plus de droite que de gauche dans l’acception actuelle de ces catégories. Ou alors il est des deux. Il n’est pas l’ami des riches mais au contraire, n’ayons de cesse de le répéter, celui des petites gens. Ils ne l’ignorent que parce que nombreux sont ceux qui ont intérêt à leur faire ignorer.

          Le travail de pédagogie à accomplir est immense et on ne saurait en faire l’économie. Il faudra expliquer et réexpliquer. Ne jamais avoir la tentation de faire l’impasse et de brûler cette étape. Ne jamais succomber au découragement. Ce sont les fondations sans lesquelles on ne bâtira rien.

          Et, contrairement à ce qui a été fait jusqu’alors, il est impératif de commencer par le bas de l’échelle sociale. Le libéralisme n’est pas l’idéologie d’une élite éclairée. C’est l’idéologie du bon sens. Mais pour que le bon sens soit partagé, encore faut-il le faire partager. Nous avons tout à gagner à une élévation du niveau de connaissance et de culture économique de l’ensemble de nos concitoyens.

          Une société libérale sera une société où le libéralisme ne sera pas imposé du haut vers le bas, mais où, au contraire, il partira du bas pour irriguer le haut. Et c’est ainsi, légitimé et compris, qu’il pourra bénéficier à une société qui l’aura plébiscité.

          Nul besoin de démagogie pour cela. Il suffit de s’inspirer encore une fois des exemples très simples fournis par Bastiat dont on ne louera jamais assez la clarté pédagogique. Des exemples que tout un chacun est à même de comprendre, de s’approprier, de partager et d’expliquer. Même si, je le répète, il n’est pas interdit de donner une dimension spirituelle à notre cause puisque, rappelons-le, il est aussi, et avant tout, question de bien commun.

          Il est également fondamental de rappeler qu’il n’est pas – et qu’il ne peut pas être – de liberté économique sans liberté individuelle. Il convient donc avant toute chose d’en finir avec les clivages anciens. On ne peut être libéral au sens où nous l’entendons qu’en associant les deux démarches. Il faut en finir avec le grand écart qui consistait à se faire le prosélyte du régime de Pinochet sous prétexte que l’économie du Chili était libérale. Et d’ailleurs l’était-elle? Comme il est tout aussi inconsistant de s’ériger en défenseur des droits et des libertés individuelles si l’on prône en contrepartie le dirigisme économique et l’étatisme à tout crin. Idéologie dont on connaît les dérives totalitaires. La famille libérale doit s’unir et se retrouver dans la cohérence.

          La liberté est un tout, indivisible et insécable. Et l’on ne saurait imaginer la saucissonner au gré des désirs ou des fantasmes de chacun.

          À ceux tentés par les régimes à connotation dictatoriale et qui ne voient le salut que dans la force, l’autoritarisme et l’absolutisme, je voudrais rappeler que le seul pouvoir fort qui puisse exister est celui qui s’obtient par l’assentiment de tous. Le reste n’est que mascarade à uniforme et bras tendu et ne débouche que sur la terreur et l’oppression.

          Nous avons besoin au contraire d’hommes et de femmes dont le sens du bien commun est particulièrement affirmé. Des hommes et des femmes aux hautes qualités morales et dont l’ambition les pousse, non pas à occuper des fonctions, mais à les exercer.

          Notre responsabilité consiste à permettre enfin leur avènement. Il faut en finir avec ces dirigeants qui n’ont d’autres préoccupations que d’assouvir une volonté de puissance ou une soif de richesse. Le libéralisme fournira l’occasion de porter au sommet des hommes et des femmes portés par l’idée du bien commun et soucieux de le servir.

          Et que l’on n’imagine surtout pas en lisant ces lignes que je tracerai un autoportrait. Je n’ai malheureusement pas ces qualités, ce qui ne m’empêche pas de les admirer et de souhaiter l’avènement de ceux qui les possèdent. « L’homme libre n’est pas envieux, il admire ce qui est grand et se réjouit que cela puisse exister. » C’est du Nietzsche si je ne m’abuse.

* * *

          Pour finir, je voudrais dire à mes jeunes lecteurs, que la rudesse de mon ton et mon pessimisme de composition exaspèrent parfois, que ce sont eux qui avaient raison. Une vie réussie se construit autour d’un idéal et il n’est jamais trop tard pour s’en trouver un.

          C’est par la visualisation de cet idéal qu’ils trouveront la force et le réconfort qui leur permettront de surmonter les inévitables moments de découragement qu’ils ne manqueront pas de traverser. Ce sera le souffle moteur de leur vie, ce qui lui donnera sens.

          Le désir de liberté est à jamais le plus beau qui soit.

          Je leur demande aussi de ne pas suivre le mauvais exemple de leurs aînés. Je leur demande de ne pas composer, de ne pas transiger, de ne pas se laisser phagocyter ou récupérer, de ne pas se contenter de demi-mesure, de ne pas choisir le moindre mal. Soyez exigeant, entier, sans concession, sans compromis! Allez au bout de vous-même, c’est ainsi que l’on meurt tranquille.

          Un de ces jeunes correspondants à l’intelligence éclairée que je salue au passage, m’a rappelé ces mots de Ludwig von Mises, « Le libéralisme [...] a pleine confiance dans la raison de l’homme. Il se peut que cet optimisme ne soit pas fondé et que les libéraux se trompent. Mais alors il ne reste plus aucun espoir pour l’avenir de l’humanité. »

          J’ignore quant à moi si mes mots auront le moindre écho, si la folie qui les imprègne sera communicative, si ma démarche prendra corps. Je ne suis pas un prophète et ne demande rien pour moi-même. Mais si ma plume peut servir cette cause qui, de loin, la dépasse alors je pourrais dire que je n’ai pas perdu mon temps.

          Car un jour viendra où le libéralisme s’imposera aux esprits aussi naturellement qu’il s’impose aux fruits mûrs de tomber de l’arbre. Ce jour-là, pensez à moi; dans mon sommeil, tel un Bouddha facétieux, je sourirai...
 

 

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