Montréal, 16 septembre 2007 • No 233

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

L'INTERVENTIONNISME AU NOM DE DIEU

 

« La religion peut être l'objet de préoccupations pour un peuple, mais elle ne doit jamais devenir l'affaire de l'État. »

 

-Leo Baeck, rabbin allemand (1873-1956)

 
 

par Mathieu Bréard

 

          Ils profitent des plaisirs de la société moderne. Ils sont du genre poli, courtois, bien éduqué et impliqué assidûment dans leur communauté comme en politique. Ce sont les Born Again – ou « nés de nouveau ». Ils sont plus de 80 millions aux États-Unis, 42% au sein du Parti républicain, qui prétendent avoir eu une rencontre personnelle avec Jésus-Christ(1). Une expérience mystique, qui selon plusieurs d’entre eux, a non seulement bouleversé leur existence, mais éveillé leur désir de se donner corps et âme à la réalisation d’un grand projet divin pour le pays.

 

          Délire aux yeux de certains, liberté de culte pour d’autres, il n’en demeure pas moins que l’ampleur du phénomène ne peut être pris à la légère. Lorsque des évangéliques s’installent à Washington et cherchent à influencer au nom de leurs croyances religieuses l’orientation de la politique étrangère, ainsi que l’attribution des fonds fédéraux, difficile de ne pas grincer des dents.
 

Le 1er amendement

          Personne ne peut nier le pluralisme religieux qui règne au pays de l’Oncle Sam. Des temples hindous du Tennessee aux monastères bouddhistes du Minnesota, en passant par les lieux de pèlerinage sikhs de la Californie, des communautés tout entières se sont construites et organisées sur une base volontaire d’un océan à l’autre. Au milieu des années 1960, des vagues successives d’immigration en provenance d’Asie ont amené une panoplie de nouveaux rites et coutumes qui ont eu un impact sur l’architecture, l’art, la musique et la gastronomie de nombreuses villes. Une richesse dont l’ampleur n’aurait jamais pu être imaginée par les Pères fondateurs des États-Unis au moment où ils ont rédigé le premier amendement de la Constitution.

          À l’époque, témoin des guerres religieuses sanglantes qui ont embrasé le continent européen(2) et des tentatives ratées de certaines colonies américaines d’établir et de maintenir une religion d’État, Thomas Jefferson se met à l’écriture d’un projet de loi garantissant pour tous la liberté de culte en Virginie. Bien qu’il soit lui-même croyant (déiste), il prend conscience en regard de l’histoire de tout le danger d’un État qui impose une religion nationale. Le citoyen lésé dans son droit naturel de croire à ce qu’il souhaite, se voit contraint de payer des taxes et des impôts pour financer des institutions auxquelles il n’adhère pas. Sans oublier toutes les incitations à la violence et la discrimination de masse que peut engendrer ce genre de politique.

          Bien que controversée, cette proposition de Jefferson a un effet d’entraînement sur les autres colonies. Elle aboutira, au lendemain de la révolution, à cette entente commune: le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdit la libre pratique d’une religion. En d’autres termes, chaque citoyen demeure libre de choisir ce à quoi il souhaite croire, ou pas, en fonction de sa conscience et ses propres convictions(3). D'ailleurs, la devise traditionnelle de l’Amérique n’est pas In God We Trust, mais plutôt E Pluribus Unum – qui signifie une nation unie dans sa diversité.
 

Une pluie de subventions pour la grâce de Dieu

          « Tout ceci est une fraude, une distorsion de l’histoire », tels sont les mots utilisés fréquemment par Pat Robertson pour fustiger la séparation entre l’Église et l’État. Loin d’être l’opinion d’un simple citoyen, il s’agit du fondateur du Christian Broadcast Network, une organisation puissante et respectée qui rejoint quotidiennement des millions d’Américains en âge de voter. Son cheval de bataille: faire des États-Unis une nation chrétienne. À partir d’une certaine interprétation du récit biblique, mêlant les différents versets des prophètes, elle lutte farouchement contre l’homosexualité, l’émancipation des femmes, la recherche sur le clonage thérapeutique, et prône le retour de la prière dans toutes les écoles.

          Des revendications qui ont trouvé écho auprès de l’actuel président républicain George W. Bush. Convaincu d’être lui-même un born again, il célèbre ouvertement la moralité chrétienne dans ses politiques. À la différence de ses prédécesseurs, il va entretenir dès le début de son mandat des liens étroits – pour ne pas dire compromettants, sur le plan constitutionnel – avec le lobby évangélique(4). Il n’hésite pas à faire dénouer les cordons de la bourse pour créer au sein même de la Maison-Blanche l’Office of Faith-Based Initiative chargé de distribuer des milliards de dollars en subventions à des églises ou encore à des associations religieuses. Ce programme fait preuve de favoritisme envers les organismes chrétiens en conformité avec les croyances monothéiste du président(5).
 

« Les attentats du 11 septembre 2001 ont littéralement galvanisé les fondamentalistes chrétiens. Pour eux, l’antéchrist a révélé son vrai visage, l’Islam doit être combattu tant par une propagande féroce que par les armes. »


          À titre d’exemples, des fonds publics ont été utilisés pour accorder des privilèges à des détenus dans une prison de l’Iowa à condition qu’ils acceptent de se convertir aux enseignements évangéliques. Au Kentucky, le Baptist Homes for Children a reçu plus de 61 millions $ pour des activités sociales dans lesquelles des enfants ont été soumis à des séances d’endoctrinement et de coercition afin qu’ils acceptent la compassion du Christ. Un million de dollars ont été accordés à l’Exodus Baptist Church, du Pasteur Herbert H. Lusk de Philadelphie, pour son soutien au gouvernement Bush dans ses sermons(6).

          La liste s'allonge, preuve que le mur qui sépare l’Église et l’État a bien été dynamité... Cette campagne de séduction cherche surtout à fidéliser la droite religieuse au Parti républicain et s’inscrit dans une stratégie beaucoup plus vaste qui dépasse les frontières nationales.

L’instrumentalisation de la religion

          En politique étrangère, trois grands réseaux proches du président Bush cohabitent: le camp militaire, néoconservateur et évangélique – qui lui apportent un important bassin d’électeurs. Même s’ils ne sont pas issus de la même mouvance idéologique et si leur influence sur le pouvoir varie beaucoup, ils partagent un but commun: redessiner la carte du Moyen-Orient.

          Richard Perle, Dick Cheney, Condoleezza Rice et l’ancien secrétaire d’État à la Défense, Donald Rumsfeld, ne sont pas de fervents pratiquants et la religion ne motive pas l’élaboration de leurs politiques. Elle est davantage perçue comme un outil de persuasion et de contrôle qui, dans certaines circonstances, peut être utile pour garantir leurs entreprises militaires. Bref, ils peuvent s’accommoder de certains élans d’irrationalité et d’hystérie collective en provenance de la population.

          Certains Born Again, parmi les plus fondamentalistes, considèrent l’État d’Israël comme une terre sacrée dont le destin est lié au pacte hébraïque que l’on retrouve dans la Genèse. Le prophète Zacharie dit qu’au jour dernier, l’État hébreu sera complètement encerclé par ses ennemis et Dieu accordera toute sa bénédiction aux nations qui lui seront fidèles. Or, de toutes époques, des gens ont tenté de faire coller des fables bibliques à la réalité. Les attentats du 11 septembre 2001 ont littéralement galvanisé les fondamentalistes chrétiens. Pour eux, l’antéchrist a révélé son vrai visage, l’Islam doit être combattu tant par une propagande féroce que par les armes.

          L’erreur de George W. Bush a été de laisser cette culture langagière polluer son gouvernement. Il en est ressorti une politique de communication basée sur la rectitude religieuse. Les références à l’« axe du mal » que l’on retrouve dans les discours sur l’État de l’union de 2002 et 2003 renvoient au Livre de Daniel sur les empires maléfiques du nord et de l’est. Non seulement le président utilise-t-il des extraits bibliques de type messianique, mais il s’en sert pour légitimer ses politiques et se rendre imperméable à la critique. « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », a-t-il dit lors d’un discours en novembre 2001, citant les paroles du Christ dans Mathieu 12:30: « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne se joint pas à moi s’égare ».

          Cette conception simpliste et manichéenne du monde amène les États-Unis sur un terrain glissant et potentiellement dangereux. N’oublions pas que l’Islam est une religion abrahamique dotée d’une branche millénariste dans laquelle on retrouve exactement la même dualité entre le bien et le mal que chez les chrétiens fondamentalistes. Peut-on affirmer hors de tout doute que Dieu est le copilote de l’un de ces deux groupes? De là l’importance de miser sur la raison plutôt que sur la confrontation des mythes dans la lutte contre le terrorisme.

          Le prochain occupant de la Maison-Blanche, peu importe son éthique et ses croyances personnelles, devra avant tout respecter la Constitution et faire preuve d’un peu plus de rigueur et de maturité.

 

1. Selon les données compilées par la journaliste Barbara Victor dans son livre La dernière croisade. Les fous de Dieu – version américaine, Plon (2004).
2. Les grands conflits entre protestants et catholiques; les huit guerres de religion qui se succèdent en France de 1562 à 1598; les meurtres de protestants pendant la rébellion irlandaise de 1641...
3. Le 25 juin 1988, est signée la Charte de Williamsburg. Il s'agit de la réaffirmation du 1er amendement de la Constitution. La liberté religieuse ne dépend ni des faveurs de l'État et de ses fonctionnaires, ni des caprices des tyrans ou des majorités. Aucune menace à la liberté de conscience n'a historiquement été plus grande que la collusion entre l'Église et l'État. Ces deux institutions ont succombé à travers les siècles à la tentation de la coercition avec comme conséquences des violations terribles de la liberté et la dignité humaine.
4. George W. Bush est le président le plus religieux à avoir occupé la Maison-Blanche selon l’historien Allan Lichtman de l’American University. Rien de surprenant direz-vous, la grande majorité de la population américaine souhaite un chef d’État ayant une certaine foi. Certes, mais la nuance à faire dans le cas de Bush est qu’il a la certitude qu’il agit vraiment sous l'impulsion de la volonté divine.
5. Lors d’une interview menée par Esther Kaplan, auteur du livre With God on Their Side, avec l’ancien directeur du programme Jim Towey, celui-ci a confirmé que rares sont les organisations non chrétiennes qui peuvent jouir de ce type de subvention.
6. Voir « Ban on Prison Religious Program Challenged », The Washington Post, 25 février 2007, « Coercion In Kentucky: State-Funded Children’s Home Pushed Religion On Kids » et « Phila. Church That Endorsed Bush Gets $1 Million 'Faith-Based' Grant » Americans United for Separation of Church and State.
 
 

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