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                     Mais, libérale, l’Union européenne l’est-elle 
			vraiment? On peut légitimement se poser la question lorsque l’on 
			connaît la réticence – et parfois même, la très vive opposition – 
			que certains libéraux professent à l’encontre de la construction 
			européenne, du moins telle qu’elle est menée aujourd’hui.  
			 
			         
			Cet article a donc pour modeste objectif d’effectuer quelques mises 
			au point en vue de démontrer, preuves à l’appui, que l’Union 
			européenne n’est pas, loin s’en faut, libérale.  
			 
			         
			Cette démonstration pourra également, de manière accessoire, servir 
			d’illustration à la thèse du professeur Friedrich 
			August von Hayek telle qu’exposée dans son livre La route 
			de la servitude où (mais faut-il encore le rappeler?) le père du 
			renouveau libéral au XXe siècle nous mettait en garde contre les 
			dangers d’une planification de la société en temps de paix, 
			planification héritée pour grande part des nécessités de la guerre.
			 
			 
			         
			En l’occurrence, nous verrons comment, malgré des fondements et des 
			objectifs parfois proches de ceux défendus par les libéraux, la « 
			reconstruction » de la société civile au lendemain de la Seconde 
			Guerre mondiale par des administrations soumises à l’idéologie 
			planificatrice a abouti à l’émergence de certains traits 
			caractéristiques de l’Union européenne actuelle.  
			 
			         
			Des traits caractéristiques qui, il n’en faut pas douter, sont 
			largement responsables de la crise que traverse aujourd’hui 
			l’Europe, tant d’un point de vue politique et juridique que sous un 
			aspect économique global.  
			 
			         
			Néanmoins, et avant d’aller plus loin dans notre démonstration, 
			convient-il de retourner aux sources de la construction 
			communautaire.
			 
			  
			         
			Car en fait, « pourquoi l’Europe? » Pourquoi constituer, au 
			lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une telle association dont 
			le but politique était, dès l’origine, évident?  
			 
			         
			Pour la paix, tout simplement. L’Europe politique et 
			institutionnelle fut construite pour défendre la paix.  
			 
			         
			La paix, après des siècles de guerre; et s’il y a bien un élément 
			que l’on peut mettre aujourd’hui au crédit de l’Union européenne, 
			c’est sans aucun doute le fait que ce continent (du moins, dans sa 
			partie occidentale) n’a connu aucune guerre entre États nationaux, 
			plus précisément entre les États membres de l’Union. On rappellera, 
			à cet effet, le formidable exemple que fut la réconciliation entre 
			des pays jusque-là ennemis, comme la France et l’Allemagne, et le 
			rôle éminent de stabilisation des institutions communautaires(1).
			 
			 
			         
			Robert Schuman, l’un des pères fondateurs du traité de Paris qui 
			institua, en 1951, la Communauté européenne du charbon et de 
			l’acier, déclara dans l’un de ses plus célèbres discours que « [l]a paix mondiale ne saurait être 
			sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui 
			la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut 
			apporter à la civilisation est indispensable au maintien des 
			relations pacifiques... »  
			 
			         
			La Première, comme la Seconde Guerre mondiale, sont nées en Europe. 
			Aussi, selon Schuman, « [l]’Europe n’a pas 
			été faite, nous avons eu la guerre ».  
			 
			         
			L’Europe politique doit donc nécessairement émerger pour maintenir 
			la paix. Mais « [l]’Europe ne se fera pas 
			d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des 
			réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » 
			Aussi, « [l]e gouvernement français 
			propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de 
			charbon et d’acier sous une haute autorité commune [...] première 
			étape de la Fédération européenne...(2) »  
			 
			         
			Le charbon et l’acier, nerfs de la guerre et coeurs de l’économie en 
			temps de paix, devaient donc être gérés au niveau européen et « supranational » afin d’éviter qu’une guerre ne reprenne entre des 
			pays qui, pourtant, avaient des intérêts économiques communs 
			indéniables.  
			 
			         
			Est-ce là une idée libérale? On peut le penser; mais la réponse est, 
			assurément, à nuancer.  
			 
			         
			Bien sûr, on sait que les libéraux, ardents défenseurs du 
			libre-échange, ont toujours affirmé que les relations marchandes 
			conduisaient à la paix encore plus sûrement que tout accord 
			politique ou diplomatique ne pourra jamais le faire. C’est là la 
			doctrine d’un Frédéric Bastiat ou d’un Richard Cobden au XIXe 
			siècle; une idée certes ancienne, mais qui continue aujourd’hui 
			d’avoir ses adeptes, au-delà même du cercle des auteurs libéraux(3).
			 
			 
			         
			L’idée en est simple: c’est lorsque l’on commerce avec son voisin 
			que l’on abandonne l’idée de lui faire la guerre, parce qu’alors ce 
			n’est plus de notre intérêt de se battre avec lui.  
			 
			         
			Mais ce qui a été fait concrètement en Europe pour la réalisation de 
			cet objectif, à savoir, l’intervention d’institutions 
			supra-étatiques, est-ce une approche si libérale que cela?  
			 
			         
			Bien sûr que non; le marché, débarrassé des principales contraintes 
			étatiques, aurait pu de lui-même former de telles solidarités 
			de fait, et ce sans que des bureaucrates ne s’en mêlent.  
			 
			         
			A-t-on jamais vu le gouvernement fédéral américain contrôler 
			l’économie en vue de favoriser la coopération économique entre les 
			différents États fédérés? Même au lendemain de la Guerre de 
			Sécession une telle proposition aurait provoqué l’hilarité générale, 
			tant il était alors admis que le marché n’a pas besoin de l’État 
			pour prospérer.  
			 
			         
			En fait, les hommes n’ont pas besoin de l’État pour marchander et 
			innover; ils ont besoin de lui pour se protéger et faire régner la 
			justice. Ni plus, ni moins.  
			 
			         
			Alors, bien sûr, on rétorquera que l’époque n’était pas la même 
			qu’aujourd’hui; en 1945, il fallait avant tout reconstruire 
			l’Europe.  
			 
			         
			Puisqu’il n’y avait plus d’investisseurs privés suffisamment forts 
			pour intervenir dans une économie ravagée par les destructions de 
			toutes sortes (villes rasées par les bombardements, usines sabotées, 
			ressources pillées par les armées de passage, pénurie générale), 
			l’État pouvait assez naturellement passer comme étant le seul acteur 
			économique capable de relancer la machine.  
			 
			         
			C’était bien sûr là l’essentiel de la doctrine keynésienne, partagée 
			(entre autres!) par les diverses formations de gauche européenne, 
			qu’elles soient socialistes, sociale-démocrates, réformatrices, 
			progressistes, démocrates-chrétiennes ainsi que, dans le cas 
			français, gaullistes.  
			 
			         
			Le général de Gaulle avait en effet bien résumé cet état d’esprit 
			interventionniste lorsqu’il affirmait que, en économie, « [...] deux 
			leviers sont concevables [...]. Ou bien la contrainte totalitaire. 
			Ou bien l’esprit d’entreprise. Nous avons choisi le second. [...] 
			Mais, tout en tenant la carrière ouverte à la liberté, nous rejetons 
			absolument le "laisser-faire, 
			laisser-passer" et nous voulons qu’en notre siècle, ce soit la 
			République qui conduise la marche économique de la France(4). »  
			 
			         
			L’État aurait donc un rôle à jouer en économie; c’est bien là l’idée 
			des « pères fondateurs » de la construction européenne.  
			 
			         
			Ou plutôt: c’est au-dessus des États que devrait se jouer « la marche économique » de l’Europe... Et dépasser l’État, cela 
			revient à dire que l’on va le remplacer par quelque chose d’autre – 
			quelque chose qui pourra éventuellement s’avérer « pire » qu’un 
			État. 
			  
			         
			Les Européens de l’Ouest voulaient que les relations entre leurs 
			nations respectives soient désormais fondées sur des principes 
			pacifiques, conformément à un certain nombre de droits fondamentaux 
			comme la liberté d’aller et venir, ou la liberté du commerce, ce qui 
			distinguait alors l’idéal ouest-européen des vues impérialistes de 
			la réunion des États d’Europe de l’Est, soumis à la dictature 
			militaire soviétique.  
			 
			         
			Le 25 mars 1957 fut adopté le traité de Rome, qui institua la 
			Communauté économique européenne (CEE) ainsi que la Communauté 
			européenne de l’énergie atomique, plus connue en France sous 
			l’appellation d’Euratom.  
			 
			         
			Ces ensembles institutionnels regroupaient alors uniquement la 
			République fédérale allemande, la France ainsi que les pays du 
			Benelux: la Belgique, la Hollande et le Luxembourg.  
			 
			         
			C’est ainsi que commence l’histoire de ce qui est devenu, en 1992, 
			l’Union européenne et qui aujourd’hui comporte pas moins de 27 États 
			membres à savoir, et dans l’ordre chronologique, les pays 
			fondateurs, la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark, la Grèce, 
			l’Espagne et le Portugal, l’Autriche, la Finlande et la Suède, 
			Malte, Chypre, la Hongrie, la République tchèque, la Pologne, 
			l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, la République 
			slovaque ainsi que, depuis 2007, la Roumanie et la Bulgarie.  
			 
			          Nous chercherons 
			ainsi à 
			démontrer que l’Europe a, au fil de ses élargissements successifs 
			cédé à la tentation protectionniste et constructiviste; car l’Europe 
			a bel et bien cédé à l’idéologie la plus néfaste du XXe siècle: la 
			planification.
			 
			  
			
				| 
				 Les justifications théoriques de la construction européenne  | 
			 
			 
			         
			Nous avons déjà dit que l’Union européenne a comme fondement premier 
			la paix; par exemple, le projet de traité établissant une 
			Constitution pour l’Europe établissait formellement que « 
			[l]’Union a 
			pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses 
			peuples(5) ». 
			 
			         
			Encore faut-il savoir comment l’on permet à la paix de se 
			développer... 
			 
			         
			C’est donc toute la problématique institutionnelle qui mérite d’être 
			ici évoquée. En effet, la construction européenne a toujours connu 
			une divergence, profonde, entre deux conceptions théoriques qui 
			marquent de leur empreinte, aujourd’hui encore, l’essentiel du débat 
			communautaire.  
			 
			         
			La première approche est celle des « eurosceptiques », mais c’est la 
			seule approche à être réaliste. Elle ferait de l’Europe 
			institutionnelle une organisation internationale permettant la tenue 
			de conférences entre États membres qui, dans l’hypothèse où 
			apparaîtrait comme utile et nécessaire une action de type politique 
			commune, donnerait lieu à la ratification d’actes juridiques 
			adéquats.  
			 
			         
			La seconde, celle des « européens convaincus », et qui est par 
			essence idéaliste, voudrait faire de l’Europe une institution 
			internationale de type supranational sans pour autant qu’il 
			s’agisse, par exemple, d’un État, d’un État de type fédéral 
			notamment.  
			 
			         
			Parenthèse: on peut déjà nous reprocher de décrire cette seconde 
			approche comme étant par trop « idéaliste ». En fait, nous utilisons 
			ce terme à dessein, puisqu’un tel « idéal » ne s’approche de rien de 
			connu: cherchez, et vous vous apercevrez qu’il n’existe aucune 
			organisation internationale dont l’objectif serait de se substituer 
			aux États préexistants, ou de s’imposer à eux sans pour autant 
			tendre vers une forme étatique fédérative, compétente tant en 
			économie qu’en politique... Ni l’ONU, ni l’OMC, ni l’ALENA, ni 
			l’OPEP, ni le Saint Empire Romain germanique ne peuvent prétendre 
			servir de modèles à l’Union européenne, qui – les pro-européens nous 
			le répètent déjà à satiété – se veut être une expérience « originale 
			» et « inédite », c’est-à-dire, entièrement « novatrice ».  
			 
			         
			Or, en droit pas plus qu’ailleurs, les bons sentiments ne donnent 
			pas nécessairement de bons fruits; comme l’a dit avec justesse le 
			grand libéral Edmund Burke, « [i]l en va 
			de la science de composer un État, de le renouveler, de le réformer 
			comme de toutes les autres sciences expérimentales; elle ne 
			s’apprend pas a priori(6). » L’Union européenne est donc, en elle-même, un projet de type « 
			constructiviste », qui ne se rapproche de rien de connu, à moins de 
			prendre comme base les principes d’un régime étatique fédéral. Car 
			l’Union européenne est bien, pour certains, l’ébauche d’un « super » 
			État fédéral. En l’état actuel des choses, à l’heure où tous 
			s’accordent à dire que l’Europe est en crise, et qu’elle souffre 
			d’un « déficit démocratique » profond, avouons qu’il s’agit bien 
			d’un idéal plus que d’une réalité... 
			 
			         
			Revenons-en aux institutions. La Communauté européenne, héritière de 
			la Communauté économique européenne de 1957, est la principale 
			structure communautaire.  
			 
			         
			Elle « a pour mission, par l’établissement d’un marché commun, d’une 
			Union économique et monétaire [...] de promouvoir dans l’ensemble de 
			la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des 
			activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale 
			élevé, l’égalité entre les hommes et les femmes, une croissance 
			durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de 
			convergence des performances économiques, un niveau élevé de 
			protection et d’amélioration de qualité de l’environnement(7). 
			»  
			 
			         
			Le marché commun, venant dépasser en mérites une simple zone de 
			libre-échange ou même une union douanière, sème alors, et pendant 
			longtemps, la confusion: l’Europe va-t-elle oeuvrer en vue de 
			l’érection d’une vaste zone de libre-échange renforcée, débouchant 
			parfois sur des normes juridiques communes, selon la technique des 
			traités internationaux? L’Europe va-t-elle s’inspirer de l’approche 
			pragmatique et réaliste, l’Europe va-t-elle correspondre à l’idéal 
			libéral d’une vaste zone de paix, de liberté et d’échanges 
			marchands?  
			 
			         
			De nombreux libéraux vont y croire.  
			 
			         
			Néanmoins, alors que des libéraux s’engageaient fermement pour la 
			construction européenne (notamment en Allemagne et en Italie), 
			certains d’entre eux s’opposaient vigoureusement à l’idée d’une 
			Europe purement artificielle, rompant en quelque sorte les liens 
			avec ses fondements historiques, culturels et même, religieux.  
			 
			         
			Une telle réflexion continue d’avoir son importance aujourd’hui; 
			ainsi, il y a peu, le débat sur les racines judéo-chrétiennes de 
			l’Europe(8), 
			de même que la volonté de rupture des citoyens européens (pour qui 
			l’Europe est, quoi qu’on en dise, en crise) nous a montré que 
			l’Union européenne, du moins telle qu’elle est conçue aujourd’hui, 
			ne répond pas à une attente réelle de la population européenne, et 
			ne saurait être comprise comme étant le fruit d’une évolution 
			spontanée de la société(9).
			 
			 
			         
			Car le déficit démocratique de l’Union, c’est avant tout la faillite 
			d’un système plus constructiviste que pragmatique. En effet, l’idée 
			d’un grand marché européen a progressivement débouché sur l’idée 
			d’une nouvelle force économique entièrement régie par un cadre 
			juridique unique, une idée qui n’est plus vraiment libérale.  
			 
			         
			Qu’on en juge; les défenseurs de la construction européenne vont de 
			plus en plus parler d’un projet de « fédération » européenne venant 
			à la suite des États-nation traditionnels, les dépassant même pour 
			aboutir à une forme politique nouvelle; l’Europe aurait en outre la 
			charge de développer des institutions communes et d’harmoniser les 
			politiques sociales entre États membres. 
			 
			         
			« L’instauration [du marché commun] n’était pas conçue comme une fin 
			en soi, mais comme un premier pas devant être suivi par des 
			développements ultérieurs. Il s’agissait, selon cette conception 
			participant d’un fédéralisme fonctionnaliste, de mettre en place des 
			solidarités sectorielles, en particulier dans le domaine économique, 
			devant conduire, par le jeu d’un engrenage auquel ne pourraient se 
			dérober les États concernés, à une unification politique(10). »  
			 
			         
			Aussi, à partir de ce moment, l’Union européenne n’est plus 
			libérale. 
			 
			         
			Bien sûr, certains prétendent que l’Europe est, malgré tout, 
			libérale, car elle défend prioritairement des objectifs de nature 
			économique également poursuivis par les libéraux. Nous allons 
			essayer de démontrer l’erreur d’une telle conception en débutant 
			avec un exemple simple, la Politique agricole commune (PAC) que 
			l’Union européenne supervise pourtant au nom de l’établissement 
			d’un marché commun.
			 
			 
			         
			Apparue en 1962, la PAC avait pour but initial d’accroître la 
			productivité du secteur agricole des divers États membres de la CEE, 
			tout en garantissant aux consommateurs des prix suffisamment 
			compétitifs. Ça, c’est ce que l’on en dit souvent. Voyons maintenant 
			ce qu’il en est réellement. 
			  
			
				| 
				 De l’abondance au gâchis, petite histoire de l’agriculture 
			européenne  | 
			 
			 
			         
			Cela fait de nombreuses années que les économistes libéraux nous 
			éclairent sur les dangers de la PAC(11), 
			qui symbolise à elle seule les pires dérives de la planification 
			administrative d’un secteur économique donné, et dont on peut 
			retracer – et simplifier – l’évolution en quatre phases distinctes.
			 
			 
			         
			Première phase, justifiée par les nécessités de l’époque: celle du 
			contrôle de l’État dans l’immédiat après-guerre.  
			 
			         
			En effet, à la Libération, l’Europe occidentale a connu les 
			privations héritées de la guerre, les coupons de ravitaillement et 
			les longues files d’attente devant des épiceries presque vides, en 
			un mot: la pénurie. Il fallait certainement investir en bloc dans 
			l’agriculture, la moderniser, et encore une fois, à l’époque c’est 
			l’État qui, seul, avait la capacité de le faire.  
			 
			         
			Néanmoins, l’idée selon laquelle il faudrait « planifier » 
			l’agriculture va vite prendre forme dans l’esprit des gouvernements 
			européens qui vont peu à peu se donner comme objectif de faire de 
			l’Europe un continent pouvant vivre en autarcie, au moins du point 
			de vue alimentaire.  
			 
			         
			D’où le glissement rapide vers la deuxième phase, c’est-à-dire le 
			passage du contrôle de l’État à la mise en place d’une idéologie 
			d’indépendance et d’autarcie, certes pas totalement contestable, eu 
			égard à l’expérience passée, mais qui allait profondément marquer le 
			fonctionnement de l’agriculture européenne. Pour ce faire, les États 
			vont favoriser l’agriculture et orienter les productions, l’État 
			devenant ainsi « acteur » de l’économie, conformément à la doctrine 
			keynésienne en vogue à l’époque, une doctrine qui trouvera son point 
			d’aboutissement dans les institutions européennes naissantes. C’est 
			à ce moment que naissent officiellement la PAC et le Fonds européen 
			d’orientation et de garantie agricoles (FEOGA).  
			 
			         
			Malheureusement, les États vont inciter les agriculteurs à produire 
			dans tel ou tel secteur d’activité, et ce sans lien réel avec les 
			exigences du marché, et en grandes quantités bien sûr... Les 
			politiques vont donc mettre sur pied, par le biais de la PAC, une 
			agriculture intensive totalement déconnectée des attentes des 
			consommateurs, même si l’objectif affiché est de répondre à leurs 
			attentes; mais comment le pourrait-on si l’on ignore les « indices » 
			que sont les prix librement débattus sur le marché?  
			 
			         
			Un tel bouleversement de l’ordre économique ne pouvait que conduire 
			à la crise, avec des marchés saturés et d’autres totalement 
			dépourvus des ressources susceptibles de satisfaire une demande 
			pourtant bien existante, d’où une politique européenne absolument 
			antilibérale puisque d’inspiration keynésienne et interventionniste.
			 
			  
			
				| 
				           « Un poste [...] important des dépenses visibles est celui des 
			fonds versés par les pays membres de la Communauté européenne à 
			leurs agriculteurs au travers de la PAC. Les dépenses invisibles de 
			soutien des prix sont en majeure partie cachées dans les prix de la 
			consommation. Ceux-ci sont tenus artificiellement à un niveau plus 
			élevé qu’ils ne le seraient sans le soutien de l’État(12). 
			»   | 
			 
			 
			         
			Et, naturellement, c’est sur le citoyen européen que pèse le poids 
			de cette politique: en tant que consommateur, il pourrait obtenir 
			des produits étrangers à un prix meilleur; en tant que 
			contribuable, on rappellera qu’évidemment, c’est lui qui finance 
			cette production agricole... 
			 
			         
			Vient alors la troisième phase: devant la réussite apparente de 
			l’entreprise, il va falloir faire passer l’agriculture européenne de 
			l’autarcie à l’exportation à grande échelle.  
			 
			         
			Désormais et pour s’en sortir, l’Europe doit vendre, et, si elle ne 
			peut pas vendre, alors elle doit donner (ou vendre à perte, ce qui 
			revient plus ou moins au même) à tous ceux que les politiques 
			européens considèrent comme des alliés potentiels. De fait, en 
			pleine guerre froide, les dictatures communistes vont profiter des 
			largesses d’une Europe qui cherchait désespérément à se débarrasser 
			de marchandises dont elle ne savait trop quoi faire... Donner au 
			grand adversaire politique de l’époque du blé et de la viande de boeuf, véritable « cadeau » que l’on refuse à sa propre population, 
			voilà le vrai visage de l’Europe d’alors!  
			 
			         
			Certes, d’autres pays en manque vont également profiter de ces 
			exportations à prix réduit, des pays d’Afrique notamment. Mais c’est 
			bien cette logique d’assistanat qui a empêché l’Afrique de vivre de 
			sa propre production et de développer une agriculture qui pourrait 
			faire sa force. Car, faut-il le rappeler?, si les mêmes Européens 
			abolissaient enfin leurs tarifs protectionnistes, et importaient les 
			produits africains sans les taxer, en d’autres termes, si l’Europe 
			vivait vraiment le libre-échange qu’elle prône, 
			les peuples d’Afrique pourraient vivre dignement du propre fruit de 
			leur travail, plutôt que de la solidarité internationale.  
			 
			         
			Quatrième étape, contingente aux progrès de la mondialisation 
			économique dans les années 1990: la montée en puissance de nouveaux 
			acteurs économiques comme la Chine, l’Inde, le Brésil, qui bouleversent une nouvelle fois la donne. Donc, 
			nouvelle crise des marchés agricoles... L’Union européenne doit 
			réagir, et décide de fixer des quotas en vue d’empêcher les 
			agriculteurs de produire à hauteur de leurs capacités, eux que l’on 
			forçait jusque-là à produire en grandes quantités!  
			 
			         
			D’où le mécontentement du monde rural, d’où les manifestations 
			d’agriculteurs devant les préfectures, d’où les émeutes en province, 
			d’où les ports bloqués par des pêcheurs en révolte.  
			 
			         
			D’où, également, la nécessité politique des gouvernements à 
			continuer le versement des aides sociales aux mêmes agriculteurs qui 
			vivent désormais de ces aides plus que de la vente de leur 
			production.  
			 
			         
			L’Europe a fait de ses agriculteurs de véritables « assistés sociaux 
			».  
			 
			         
			Pour résumer, en intensifiant la production agricole tout en 
			bloquant artificiellement les prix et en multipliant les allocations 
			de toute sorte, l’Union européenne a conduit, par sa logique 
			planificatrice, à l’échec économique et financier de l’agriculture 
			en Europe.  
			 
			         
			Ce n’est qu’aujourd’hui que l’opinion publique commence à prendre 
			conscience de l’ampleur de cette crise, notamment par le biais de 
			différentes officines écologistes qui pointent du doigt les méfaits 
			de l’agriculture intensive en Europe: pollution des sols due à 
			l’utilisation systématique d’engrais chimiques (dont l’affaire du 
			lisier breton est une illustration éclatante), scandales 
			alimentaires divers comme celui de la vache folle, mise en place de 
			quotas qui favorisent certaines catégories d’agents économiques au 
			détriment d’autres, ... les maux en sont bien connus.  
			 
			         
			Mais attention: ce que les écologistes critiquent aujourd’hui en 
			parlant d’agriculture « industrielle », c’est le système économique 
			capitaliste, et non le véritable responsable, à savoir: la 
			planification administrative, les écologistes étant aujourd’hui 
			complètement inféodés aux partis politiques qui ne font rien d’autre 
			que de vouloir asservir encore un peu plus les hommes à l’État. Car 
			le libertarien conséquent est bien plus proche de la nature que les 
			écologistes; la véritable politique écologique est libertarienne, 
			car elle est la seule à être à la fois respectueuse des droits de 
			propriété et des capacités productives de chacun, tout en demeurant 
			source de progrès technique.  
			 
			         
			Une grande dame de la politique (que l’on accepte ou non 
			l’intégralité de son héritage), a toujours combattu la PAC et a, à 
			diverses reprises, tenté de la démanteler. Il s’agit de Margaret 
			Thatcher, qui ne comprenait pas pourquoi le contribuable britannique 
			devait subventionner l’agriculture française. Son intransigeance 
			(formulée de manière lapidaire pas le trop fameux « I want my money 
			back ») en a fait l’une des plus ferventes opposantes à la 
			construction européenne. Mais, contrairement à ce que l’on dit 
			souvent, ce n’est par antipathie à la construction européenne, mais 
			bien par crainte des dérives de cette même construction que Lady 
			Thatcher demanda que l’on mette fin à la PAC. Il est incontestable 
			que le système actuel est sclérosé, source de nombreuses dérives et, 
			à terme, d’inégalités profondes. Par exemple, d’après l’économiste 
			suédois Johan Norberg – se basant sur les statistiques de l’OCDE – 20% des producteurs agricoles européens 
			les plus riches accaparent environ 80% des subventions de la PAC. 
			Plus significatif: 40% du budget total de l’Union est redistribué 
			à... moins de 1% de la population européenne! 
			 
			          Même les 
			adversaires du libéralisme ne peuvent que partager avec nous ce 
			constat d’échec; la PAC, en plus d’être inutile et inefficace, est 
			aussi source de très nombreuses inégalités.  
			 
			         
			Pour résumer, avec sa politique agricole l’Union européenne montre 
			bien son mépris du libre-échange (et son attachement à un 
			protectionnisme économique qui n’a rien à voir avec le libéralisme 
			authentique) ainsi que l’accroissement inconsidéré de la « technocratie » et de la « bureaucratie » communautaire. 
			 
			         
			On pourrait multiplier les exemples en énumérant les innombrables 
			politiques économiques artificielles de l’Union européenne: dans le 
			domaine industriel, dans le domaine bancaire, dans le domaine 
			monétaire... l’euro sera un autre bon exemple de notre propos. 
			  
			         
			Nous n’avons certes pas la prétention de réaliser ici un cours 
			d’économie, ni même d’étudier en profondeur la question du 
			bien-fondé du choix, ou non, de la monnaie unique appelée « euro », 
			là encore souvent critiquée par les libéraux(13). 
			Nous n’en avons pas les compétences; aussi, nous nous bornerons à 
			étudier si les choix économiques de l’Union européenne 
			correspondent, ou non, aux grands principes du libéralisme classique 
			et/ou du libertarianisme contemporain.  
			 
			         
			Il existe désormais une « super » banque centrale, chapeautant 
			les banques centrales nationales, la Banque centrale européenne. 
			Création en soi purement artificielle, comme toutes les banques 
			centrales (le marché pourrait s’en passer), les technocrates 
			communautaires ont au moins désiré rendre cette banque centrale 
			indépendante du pouvoir politique, ce qui est à saluer.  
			 
			         
			En fait, l’Union européenne a conçu au fil des ans une Union 
			économique et monétaire (l’UEM) dont les avantages sont, eux aussi, 
			bien connus: adopter une monnaie unique en vue d’obtenir une vérité 
			des prix au sein de l’Euroland tout en entraînant une réduction des 
			coûts liés au change des monnaies et à la couverture des risques de 
			change.  
			 
			         
			Nous ne les remettons pas en cause; toutefois, l’euro – et, avant 
			lui, l’écu (European Currency Unit), mais qui n’avait pas une 
			utilisation forcée – est une monnaie purement « artificielle », tout 
			le contraire d’une décision « spontanée » du marché.  
			 
			         
			La question de l’euro correspond en fait à un choix monétaire entre 
			des taux de change fixes et des taux de change flottants.  
			 
			         
			Mais cela, quel homme politique l’a expliqué en ces termes? 
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