Montréal, 7 octobre 2007 • No 236

 

OPINION

 

Yann Takvorian est président-fondateur de Immigrer Contact.

 
 

VERS UN GÂCHIS DE COMPÉTENCES?

 

par Yann Takvorian

 

          Alors que de nombreuses universités françaises pratiquent la délocalisation des diplômes, certains pays comme le Canada pratiquent encore une politique inverse. Délocaliser un diplôme, c’est permettre à des étudiants de pays partenaires d’acquérir une formation de haut niveau sans quitter leur région.

 

          Pour les universités françaises, l’avantage se retrouve dans des collaborations croisées. Pour les entreprises et commanditaires participants, c’est l’occasion de s’ouvrir à d’autres marchés. Pour les pays hôtes, c’est l’assurance de garder leurs meilleurs éléments sur place. Ainsi, même si la délocalisation a un coût, elle contribue à la mondialisation du savoir et des compétences.

          Les jeunes diplômés, les chercheurs d’expérience et les professionnels qualifiés sont les moteurs de l’innovation et de l’économie d’une région. Mettre en place les infrastructures pour les former et les retenir garantit tout de moins un probable dynamisme économique. Face à la mondialisation, c’est un réflexe adopté par de nombreux pays d’Europe et d’Asie. Pour assurer son développement, un pays doit former mais surtout garder son élite! Nicolas Sarkozy a d’ailleurs condamné le « pillage » de cerveaux que pratiquent certains pays ouverts à l’immigration et lui préfère, à juste titre, la notion de « circulation » qui implique un retour obligatoire au pays source après une période finie de perfectionnement à l’étranger.

          L’Amérique du Nord a bénéficié pendant des décennies d’un pouvoir d'attraction considérable et à ainsi bénéficié d’un apport régulier et opportun de cerveaux. Il lui a suffi d’ouvrir ses portes jusqu’à pousser l’insolence avec une loterie. Faire un Master aux États-Unis, décrocher un diplôme d’une université américaine, obtenir une bourse d’études ou une carte verte, est encore un sésame pour une carrière enviée. Une fois sur place, les facilités d’emploi pour les meilleurs éléments étrangers finissent certes par priver les pays sources d’un savoir-faire, mais au moins, ces compétences ne sont pas perdues pour tout le monde.

          La Chine, depuis quelques années, tente également de rapatrier sa diaspora cadre pour consolider l’envolée triomphante de son économie. Tous les ponts d’or sont bons pour ces Américains, Européens ou Australiens, à l’aise dans deux cultures, souvent trilingues et rompus aux techniques de travail occidentales. Nombreux sont ceux qui se laissent tenter par les opportunités offertes et s’installent en famille à Pékin ou Shanghai.

          À l’opposé de ce grand troc mondial des compétences de la nouvelle économie du savoir, certains pays en sont encore à pratiquer une immigration de peuplement. Ainsi, le Canada attire tous les ans 200 000 immigrants dont une majorité constituée de professionnels qualifiés. Le Québec, par des campagnes agressives de recrutement dans le monde entier, charme 45 000 immigrants chaque année, le gros de la cohorte étant également constitué de professionnels qualifiés.
 

« Usant d’argumentaires fallacieux, le Canada comme le Québec vont s’abreuver aux forces vives de pays émergeants, fragilisant leur dynamique de croissance et d’innovation. »


          Or, quels que soient les pays de provenance, ces professionnels priveront d’une part leur pays d’origine de compétences pourtant financées par leurs impôts, mais surtout, gaspilleront leurs acquis dans un programme de peuplement qui n’est pas taillé pour leur garantir une carrière.

          Usant d’argumentaires fallacieux, le Canada comme le Québec vont s’abreuver aux forces vives de pays émergeants, fragilisant leur dynamique de croissance et d’innovation. On ne leur demandera pas de venir lutter contre le vieillissement de la population et de faire des enfants que les autochtones ne font plus – pour des raisons d’ailleurs suspectes et que l’on cachera soigneusement. On leur proposera au contraire de se joindre « à une dynamique formidable d’opportunités, dans une région de tous les possibles! »

          Les immigrants ainsi sélectionnés en Asie, en Europe, en Amérique du Sud et au Maghreb le sont principalement sur la base de leurs diplômes, expertises professionnelles et moyens financiers. S’ils sont jeunes, riches et instruits, ils seront bons pour le voyage!

          On peut facilement imaginer qu’ils représentent pourtant une grande richesse pour leur pays d’origine, qui a dépensé en temps et en infrastructures beaucoup d’argent pour les former. Ce n’est pas enrichissant de se faire déposséder de ses meilleurs éléments, d’autant qu’en partant exercer ailleurs une activité professionnelle, en allant faire de la recherche ou créer des entreprises à l’étranger, les immigrants qualifiés transfèrent une partie du potentiel économique et de développement de leur propre pays vers un autre.

          Certains diront alors que c’est le jeu de l’ouverture des marchés et de la libre circulation des personnes. L’expérience acquise ailleurs par ces immigrants reviendra peut-être au pays d’origine et lui profitera ultimement, un peu comme les programmes d’échanges culturels et de coopération dont les effets ne se mesurent que sur le long terme.

          Ceci est vrai, à la condition que nombre de ces immigrants économiques ne frappent pas le mur du corporatisme une fois sur place! Or, au Canada et plus encore au Québec, la non-reconnaissance des diplômes, des formations, des expériences ainsi que les différences culturelles et linguistiques sont à la défaveur des nouveaux venus. Il faut une dizaine d’années à un immigrant qualifié pour retrouver le niveau de vie qu’il avait avant d’arriver dans son pays d’accueil. Une décennie de perdue!

          Combien d’autres doivent abandonner leurs acquis, recommencer au bas de l’échelle et dépenser leurs économies? Combien doivent réobtenir sur place un diplôme identique à l'original qui avait pourtant présidé à leur recrutement? Combien abandonnent et retournent d’où ils viennent avec l’échec et le désaveu pour seul viatique? Combien insistent et s’étiolent dans des jobines alimentaires, incapables de revenir en arrière? Et quand bien même ils le feraient, ils auraient l’allure de réfugiés dans leurs propre pays et cette seule idée les en dissuade.

          Pourquoi alors les avoir fait venir? Pourquoi avoir dépouillé en pure perte leur pays d’origine de leurs talents? Pourquoi prétendre distinguer l’immigration économique, les réfugiés politiques et le regroupement familial si c’est pour finir par mettre tout le monde dans un grand panier humanitaire qui nourrira un sectarisme frileux et mesquin? Avec ce gâchis économique et humain, nous sommes loin, finalement, de la délocalisation des diplômes et des échanges croisés d’aptitudes. Nous sommes face à un processus inverse et d’une légitimité contestable sous la forme d’un formidable gaspillage de compétences!

          Pour contrer la supercherie de ce fourre-tout migratoire, il importe non seulement d’en prendre collectivement conscience, mais de le dénoncer fermement et d’encourager plutôt les vrais programmes de délocalisation de diplômes, qui sont finalement une version moderne, viable et équitable de la coopération économique et de la répartition du savoir.
 

 

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