Montréal, 11 octobre 2007 • No 237

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

L'ENVIRONNEMENTALISME
COMME RELIGION

 

par Gilles Guénette

 

          Si à l'époque de mes grands-parents, les gens se faisaient regarder de travers lorsqu'ils n'assistaient pas à la messe du dimanche durant quelques semaines, de nos jours ce sont les gens qui ne recyclent pas, qui conduisent de grosses voitures ou qui n'apportent pas leurs sacs au supermarché qui se font décrocher des regards accusateurs.

 

          Je me suis fait cette réflexion l’autre jour lorsqu’une vieille dame s’est empressée de remettre ses sacs réutilisables à la caissière du Loblaws que je fréquente en me regardant du coin de l’oeil. Ce qu’elle semblait dire à la caissière, c’est « Moi, j'les ai mes sacs madame! » – comme la petite étudiante studieuse que tout le monde détestait en classe. Et à moi, de son gros oeil sermonneur: « Eh oui monsieur, heureusement qu'il y en a qui sont conscientisés ici bas! » Si ça peut renforcer votre foi Mme Chose…
 

J'entends des voix…

          L’environnementalisme semble être en voie de devenir (si ce n’est déjà fait) une nouvelle religion. Des « signes » se manifestent ici et là, tels autant de révélations. Prenez la nouvelle campagne « nationale » de sensibilisation à la collecte sélective municipale intitulée « Votre voix écolo », lancée en grande pompe le mois dernier par la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, quelques sociétés d’État, et des regroupements de municipalités.

          Dans sa version imprimée, on voit un petit ange, sourire fendu jusqu’aux oreilles, répéter à qui veut bien l’entendre: « Avant de jeter, écoutez votre voix écolo! » (encore heureux qu’il ne nous tutoie pas tous allègrement). En lieu et place de son auréole, on retrouve le fameux symbole du recyclage – ces trois petites flèches en forme de cercle.

          Quand j’étais petit, on parlait de conscience dans un contexte religieux. « Écoutez la voix de votre conscience », qu’on nous disait à la maison ou à l’école pour savoir si tel ou tel acte que nous avions commis était irréprochable – ou non. La « conscience » venait de l’extérieur. Il s’agissait en fait de la voix du Saint-Esprit. Celui qui s'adressait ainsi à nous, par l’entremise de notre conscience, c'était... Dieu. Lui-même en personne.

          Aujourd’hui, Dieu est muet. Cette voix qui nous parle, c’est la « voix citoyenne ». Elle nous dit qu’il est impératif de sauver la Terre. Ce n’est plus notre âme qui doit être sauvée, mais la Terre. La planète a remplacé notre âme. Un collectif d’écologistes, de fonctionnaires, de syndicalistes et de bien-pensants a remplacé Dieu. Dans notre supposée ère hyper-individualiste, avouez que c’est un peu… contradictoire.
 

Et la lumière fut

          Le 4 octobre dernier, dans une pub couvrant les ¾ d’une page de La Presse, on pouvait lire blanc sur vert: « Le 11ième commandement: La Terre tu épargneras. Et un peu d’argent du même coup. Les fluocompactes Greenlite consomment au minimum 75% de moins d’énergie. Elles réduisent votre facture d’électricité et durent jusqu’à dix fois plus longtemps que les ampoules incandescentes. Utilisez-les religieusement. – Ainsi dit Nina. » Quelques jours plus tard, on pouvait voir sensiblement la même pub coiffée cette fois-ci de: « Et l’on entendit que… le ciel reprochait à l’obscurité d’avoir éteint la lumière. Puis fût une nouvelle lumière, issue de Greenlite. »

          Sur le site de l’entreprise en question, le visiteur est accueilli avec ces quelques phrases: « Et Dieu Dit: “Que la lumière soit,” et la lumière fut. Ce qu’il voulait dire était “Que Greenlite soit”. À son tour, Nina [Gupta] Dit, “Greenlite Fut”. Tout le monde a constaté que Greenlite est efficace. Les compacts fluorescents de Greenlite utilisent moins d’énergie pour améliorer l’environnement. En conservant l’électricité, vous vous sauver des sous. Réjouissons-nous et disons amen. »

          Décidément, il y a une tendance vraiment lourde à l’oeuvre chez Greenlite.ca. On serait quasiment tenté de croire qu’une congrégation de soeurs a investi dans la compagnie à condition que le message divin y soit véhiculé! On se demande si les Québécois qui ont déserté massivement l’église dans les années 1970 vont se retrouver dans une telle approche – quoi qu’ils n’auront bientôt plus le choix, le gouvernement fédéral va interdire les ampoules incandescentes traditionnelles…

          La campagne de Nina ne s’adresse manifestement pas aux jeunes. Les références religieuses y sont beaucoup trop présentes. En fait, elles prennent toute la place. Les « commandements », « que la lumière soit », « disons amen », ça ne doit pas éveiller grand-chose chez l’adolescent d’aujourd’hui. Mais réjouissons-nous, comme dirait l’autre, ce n’est pas lui qui achète les ampoules. C’est sa mère.
 

Procession et marche


          Qui dit religion dit procession religieuse. La procession, pour ceux qui l’ignoreraient, est « un cortège, un défilé religieux plus ou moins solennel qui s’effectue en chantant et en priant » (Le Petit Robert). Les processions ont été remplacé pas les marches de protestation, le festif ayant pris le dessus du solennel. Et les écolos descendent souvent dans la rue: pour Kyoto, contre le Suroît, pour la Journée sans voitures, contre Rabaska…
 
 

« Alors qu’une majorité de Québécois se disent catholiques, mais très peu "pratiquants", une très grande majorité de Québécois se disent très sensibles aux questions environnementales et prétendent aussi être très "pratiquants". »


          Dans Les éteignoirs - Essai sur le nonisme et l'anticapitalisme au Québec (Éditions Voix Parallèles), un livre paru cette semaine, le professeur Marc Simard fait le lien:
 

          La manifestation constitue le point d'orgue de tout mouvement d'opposition « citoyenne » et provoque chez certains « nonistes » un état extatique. Certains pros n'en manqueraient pas une et font parfois des milliers de kilomètres (sans doute à pied ou à vélo pour ne pas contribuer à l'effet de serre) pour pouvoir dire qu'ils « y étaient ».

          Malgré sa prétention à constituer un moyen de pression face aux pouvoirs publics ou contre les promoteurs, elle est en fait un rituel religieux. Elle commence toujours par une procession, qui comporte des incantations contre le mal (« Mort à l'Amérique »; « À bas le profit ») et les suppôts de Satan (« Bush au pilori! »), des répons (« So-so-so, solidarité »), des mantras (« Le peuple uni ne sera jamais vaincu ») et parfois des chants sacrés (L'Internationale, Le temps des cerises ou Quand les hommes vivront d'amour, par exemple).

          Elle porte aussi en elle la possibilité de sacrifices humains, certains de ses participants s'exposant volontairement au poivre de Cayenne et aux gaz lacrymogènes, recherchant l'arrestation musclée ou se faisant infliger des scarifications ou des hématomes (évidemment dus à la «brutalité policière») qu'ils exhiberont ensuite devant leurs coreligionnaires comme des preuves de leur immolation pour le bien et la justice.

          Elle est aussi l'occasion d'une purification ou même d'un exorcisme, le manifestant démontrant à la face (médiatisée) du monde qu'il a expulsé le mal de sa personne et qu'il a renoncé à Lucifer, à ses pompes et à ses oeuvres.

          Elle a bien sûr ses martyrs, tombés au combat pour la cause, sanctifiés et élevés au rang d'icônes. Mais elle est surtout, comme les rites de toutes les confessions, une façon pour les élus de se reconnaître entre eux et de se distinguer des infidèles, le moment privilégié où communient les apôtres et les prosélytes de la bonne parole.

          À la tête de ces « processions citoyennes », plutôt que d’apercevoir les traditionnels enfants de coeur, les curés et les vicaires, on retrouve les « représentants » du peuple: les ministres, les députés, les syndicalistes, les écologistes, quelques chanteurs, suivis des « fidèles ». Tout ce beau monde ne s’adressent pas à Dieu, ils s’adressent à l’État – la plupart du temps pour qu’il « mette ses culottes » et qu’il arrange les choses.
 

« Vert » dans la tête

          L’environnementalisme, une religion? Ainsi soit-il. Mais comment cette réalité se traduit-elle dans les chaumières du vrai monde de la Belle Province? Alors qu’une majorité de Québécois se disent catholiques, mais très peu « pratiquants », une très grande majorité de Québécois se disent très sensibles aux questions environnementales et prétendent aussi être très « pratiquants ». La réalité est pourtant toute autre. Quand vient le temps de pratiquer leurs religions, les Québécois sont plus conséquents qu’ils ne le laissent croire.

          Comme l’écrivait François Cardinal dans La Presse le 4 mai dernier:
 

          Les Québécois sont parmi les citoyens les plus sensibles à l’environnement de la planète, selon un sondage mené pour La Presse. Alors que 90% des Québécois étaient convaincus des dangers liés au réchauffement de la planète, les Américains l’étaient à 77%, comme les Canadiens, les Suisses à 75% et les Français, à 51%. Mais cette grande préoccupation des Québécois se manifeste-t-elle dans leurs gestes quotidiens? C’est ce que La Presse a tenté de savoir avec l’aide de la maison SOM. Les résultats sont pour le moins surprenants.

          En matière de collecte sélective, 87% disent recycler alors que 23% des matières sont recyclées. 83% disent recycler les bouteilles d’eau alors que seules 9% des bouteilles sont recyclées. En matière de transport automobile, 94% croient que les changements climatiques sont en cours alors que 44% ont réduit leurs déplacements auto. Transport en commun: 93% disent croire à l’existence du réchauffement planétaire, 21% utilisent régulièrement le transport en commun pour se rendre au travail. Énergie: 69% disent avoir réduit leur consommation d’électricité alors que la consommation a bondi de 5,6% entre 1998 et 2005.

          Les Québécois ont beau vouloir sauver la planète, ils ne veulent pas se sacrifier pour autant. En d’autres termes, ils adhèrent à cette religion, mais ils ne la « pratiquent » pas. Comme lorsqu’ils se disent catholiques, mais qu’ils ne fréquentent l’église que lors d’enterrements. Ils souhaitent que la Terre soit sauvée, mais par quelqu’un d’autre. Même si à la limite ce quelqu’un d’autre devait être forcé de le faire. Ils espèrent au mieux une intervention divine, au pire, une loi.

          On a troqué une abstraction nommée Dieu, pour quelque chose de plus concret, la Terre. On n’adresse plus nos prières et incantations au Saint-Esprit, mais à l’État – c’est lui après tout qui forcera les Québécois à être davantage « verts ». Les nouveaux curés sont les Steven Guilbeault, Laure Waridel et Jean Lemire de ce monde. Reste à savoir ce qu’il adviendra de nos âmes, une fois la Terre sauvée…
 

 

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