Montréal, 21 octobre 2007 • No 238

 

OPINION

 

Jean-Luc Migué est Senior Fellow à l'Institut Fraser. Pierre Simard est professeur à l'Enap-Québec.

 
 

ACCOMMODEMENTS VOLONTAIRES,
PLUTÔT QUE « RAISONNABLES »

 

par Jean-Luc Migué et Pierre Simard

 

          Est-il raisonnable de distribuer des accommodements liés aux différences culturelles? Pour l'économiste, les bonnes décisions politiques s'apparentent à un bien public: elles bénéficient à tous et ne privent personne. Toutefois, notre système politique permet à divers groupes d'intérêt de se faire accorder des privilèges qui, s'ils leur sont profitables, sont coûteux pour le reste de la société. Non seulement coûteux en termes monétaires, mais aussi parce qu'ils créent de l'insécurité ou de la frustration dans la population. Or, c'est essentiellement ce qui se passe avec l'octroi d'accommodements dits raisonnables.

 

          Dans le présent débat sur les accommodements, certains soutiennent – en s'inspirant d'un jugement de la Cour suprême – qu'il est justifiable d'accorder des accommodements dans la mesure où ils sont peu coûteux monétairement, et traités au cas par cas. Ils deviendraient dès lors raisonnables. Cette distinction est oiseuse. En fait, la qualité première de tels accommodements n'est pas tant d'être raisonnable que de camoufler leurs coûts réels.

          En qualifiant l'accommodement de raisonnable, on entretient l'illusion que le coût est minime. On cherche à convaincre le citoyen qu'il surestime le fardeau lorsque l'accommodement crée des brèches dans le système de valeur auquel il adhère. Que l'insécurité ou la frustration ne sont pas véritablement un coût, mais une émotion passagère imputable à l'ignorance. Cette perspective omet une réalité: même minimes, les coûts s'additionnent. La mise en place d'un régime d'accommodements expose le citoyen au supplice de la goutte.

          Il suffit d'écouter les présentations à la Commission Bouchard-Taylor pour appréhender cette réalité. N'en déplaise à certains intellectuels et politiciens, les accommodements sont vécus par plusieurs comme un instrument de discrimination politique en faveur de petits groupes au détriment de la masse. Même au nom de l'ouverture sociale, bâtir un régime public d'accommodements pour répondre aux demandes de 1% de la population devient une recette infaillible pour susciter les antagonismes.

          Qu'est-ce qui fait que les accommodements sont perçus comme coûteux? C'est qu'une fois octroyés par l'État, ces accommodements deviennent la norme. On ne peut s'y soustraire et le citoyen doit les accepter même s'il les rejette. En somme, ce dernier est frustré que l'État décide à sa place ce qui est acceptable ou non.

          Convaincus d'avoir le don de sagesse, nos élus prennent ainsi parti dans les affrontements qui divisent la population dans leurs principes les plus profonds: le port du turban à la GRC, le voile islamique à l'école publique, etc. Autant d'objets de controverse morale où le législateur s'accorde le monopole de la raison contre la volonté de larges fractions de la population.

          En réalité, en acceptant l'idée d'accommodements, on rejette l'individu pour privilégier les groupes. Plutôt qu'à l'égalité des chances pour tous les individus, on vise à la parité, à l'égalitarisme entre les groupes religieux et ethniques. Le problème, c'est que pour y parvenir l'État n'a d'autres choix que de pratiquer la discrimination active et de promouvoir de force le multiculturalisme.
 

« Convaincus d'avoir le don de sagesse, nos élus prennent ainsi parti dans les affrontements qui divisent la population dans leurs principes les plus profonds: le port du turban à la GRC, le voile islamique à l'école publique, etc. »


          C'est ainsi que cette nouvelle religion d'État multiculturaliste tient du collectivisme. Elle impose la concession de traitement préférentiel à des regroupements d'individus et n'accepte pas qu'un acte soit tout simplement permis: il doit être obligatoire ou interdit. Le citoyen ne peut compter sur la concurrence et exprimer sa désapprobation en allant « magasiner » ailleurs.

          Il suffit de se promener dans un centre commercial pour mesurer à quel point les Québécois ont pu s'enrichir de la présence d'individus appartenant à différentes communautés culturelles. Et cet enrichissement s'est accompagné d'accommodements privés à leur endroit sans que personne ne monte aux barricades pour les contrer. En régime concurrentiel, l'entreprise cherche à satisfaire les besoins particuliers d'une clientèle variée et à se différencier de ses concurrents. En somme, elle discrimine.

          À la différence de l'État, les entreprises et individus assument le coût de leurs préjugés. S'ils abusent de la discrimination, ils se privent, par exemple, d'une main-d'oeuvre qualifiée ou de clients. Ils ne peuvent en refiler le coût à leurs victimes. Par exemple, un entrepreneur pakistanais a construit en banlieue de Toronto un petit quartier qui rassemble – autour d'une mosquée – toute une communauté musulmane. Les non-musulmans choisissent de s'installer ailleurs et n'exigent pas d'accommodements politiques.

          La seule voie pour minimiser les tensions sociales et dégager les bénéfices des autres cultures est de redonner au citoyen le pouvoir de choisir ce qu'il juge acceptable ou non. Les accommodements raisonnables se feront d'eux-mêmes. Le rôle de l'État n'est pas d'attiser les rivalités ou d'instaurer la course aux faveurs, il est de produire des biens et services qui profitent à tous les citoyens. Sa principale obligation est de s'abstenir de pratiques discriminatoires, quelle que soit l'origine ou les croyances en cause.

          Bref, les Québécois doivent rejeter les accusations de racisme portées contre eux. Ils doivent résister à la tentation d'étaler leur « ouverture sur le monde » par la mise en place d'un mécanisme d'octroi de privilèges aux groupes ethniques et religieux. Grâce à la concurrence, les préjugés à l'endroit des nouveaux arrivants s'estomperont, s'ils ne sont pas nourris par des accommodements raisonnables, coercitifs et étatistes.

 

* Cet article a été publié dans le quotidien Le Soleil, le 12 octobre dernier.

 

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