Montréal, 18 novembre 2007 • No 242

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

FRANCE: LA FAILLITE OU LE RENOUVEAU

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          La France est aujourd’hui face à son destin. Les médias ont beau jeu de stigmatiser aujourd’hui la lâcheté des responsables politiques. Mais tous les hommes politiques, les commentateurs lucides ou les intellectuels qui ont envoyé des mises en garde depuis plus de 20 ans sur la situation de la France ont été brisés, notamment par la classe médiatique. Alors il nous reste en effet les lâches et les arrivistes, prêts à toutes les concessions pour parvenir au pouvoir ou pour y rester. Mais le temps des concessions est fini. Soit l’on se décide à mettre en oeuvre et affronter la vraie rupture, soit notre pays s’écroulera.

 

          Il faut donc rompre en effet avec la comédie tronquée du « dialogue social » consacrée par les accords de Grenelle en mai 68. Mais l’histoire officielle a tendance à sacraliser ces accords pour en faire une référence incontournable, ce qui a conduit un président élu par une majorité de droite à baptiser la conférence sur l’environnement « Grenelle de l’environnement » au moment où le Parti socialiste explose et où tous les partis qui se définissaient comme antilibéraux sont laminés.

          Malgré le verdict indiscutable des urnes, le vrai pouvoir échappe au nouveau gouvernement.
 

La vraie rupture

          L’histoire officielle, dans une amnésie suspecte, aura occulté la partie essentielle de la pièce qui s’est jouée en ce printemps de 68(1). Elle oublie notamment de rappeler que, malgré la signature des accords de Grenelle, la grève continua, les syndicats estimant que ce n’était pas suffisant. Dans leurs perspectives révolutionnaires et anarchistes, aucune concession obtenue dans le cadre de l’économie de marché ne pouvait être suffisante. Quelques jours plus tard, un million de Français excédés descendent les Champs Elysées et en appellent au Général de Gaulle. Ce dernier dissoudra l’Assemblée nationale pour provoquer des élections législatives en juin 1968 qui voient le triomphe du Parti gaulliste.

          Le moins que l’on puisse dire, c’est que la légitimité des fameux accords signés rue de Grenelle était entachée dès ses origines. La récréation était terminée parce qu’il y avait l’homme de la situation. Mais la brèche était ouverte. Les leaders de mai 68 avaient pénétré le monde de l’éducation et des médias, manipulant les appareils et les esprits, ce qui allaient leur permettre de réécrire histoire à travers des manuels scolaires et des organes de presse outrageusement orientés.

          Ce qu’il y a de tragique dans cette affaire, c’est que les accords de Grenelle ont consacré une pratique du dialogue social qui court-circuite les institutions démocratiques, ce qui est fondamentalement anticonstitutionnel. Dans les pays démocratiques, la discussion avec le peuple se produit au moment des campagnes électorales. À l’issue des campagnes, les électeurs votent; et le nouveau gouvernement passe à l’action sur la base des programmes annoncés.

          On ne peut pas discuter à l’infini, surtout avec des individus qui ne respectent aucunement les principes de l’État de droit et dont l’objectif est le désordre comme une finalité en soi. Depuis 1968, quel que soit le gouvernement qui sera désormais élu dans notre pays, il devra valider sa copie devant des « partenaires sociaux » qui n’ont pourtant aucune légitimité, mais qui s’appuient sur un chantage et la menace de recourir à la rue et à la violence. Voilà ce qui a été consacré à Grenelle et voilà ce qu’il faut maintenant dénoncer si l’on veut sortir de cette impasse. Comment peut-on rendre hommage à cette date qui rentrera dans l’histoire comme le début de la spirale infernale d’endettement de l’État français dont la seule issue est la faillite?

          Depuis cette date, les politiques économiques sont orientées dans un seul et même sens: baisse autoritaire du temps de travail, accroissement du SMIG devenu SMIC, conventions collectives imposées qui ne tiennent aucunement compte de la réalité du fonctionnement du marché du travail au risque d’aboutir à un chômage structurel qu’aucune mesure conjoncturelle ne pourra réduire, et enfin culte proprement aveugle de la politique de relance de la demande dont les fondements théoriques sont pourtant totalement dépassés aujourd’hui.

          Toute politique économique jugée par ces partenaires sociaux incompatible avec le modèle social français sera immédiatement caricaturée, affublée de l’étiquette « ultralibérale » pour mieux être disqualifiée et écartée. Pour notre malheur, cette attitude grotesque et immature a conduit la France à être absente d’un mouvement de prospérité sans précédent qui a profité au monde entier, ou du moins aux pays plus ouverts qui ont fait les réformes adaptées. Et c’est aussi cette direction prise qui mine de l’intérieur toute la pérennité de notre système social, et notamment l’équilibre de notre système de retraite.
 

« La France ne dispose pas d’une potion magique qui aurait échappée à l’ensemble des autres pays industrialisés, lui permettant de ne pas faire les efforts que les autres ont dû faire. »


          Dans ce contexte, les alternances politiques ne sont qu’une illusion puisque la droite est jugée par sa capacité à appliquer une politique qui lui sera imposée par des syndicats gauchistes. Nous sommes aujourd’hui au pied du mur. On attend la rupture annoncée.
 

Le dossier des retraites: l’impasse

          Au-delà de la question des régimes spéciaux de retraite, c’est la question de la réforme du régime général qu’il faudra bien poser un jour. On ne pourra retarder indéfiniment l’inévitable. La France ne dispose pas d’une potion magique qui aurait échappée à l’ensemble des autres pays industrialisés, lui permettant de ne pas faire les efforts que les autres ont dû faire. Tous les pays développés ont affronté la question de la pérennité du système de retraite fondé sur le principe de la répartition, en réponse aux évolutions lourdes qui affectent les tendances démographiques (allongement de la durée de la vie).

          Or ces évolutions sont de nature à déstabiliser l’équilibre du système de financement des retraites par répartition qui a été mis en place en 1945 à une époque où l’espérance de vie d’un Français plafonnait à 65 ans (précisément l’âge officiel de départ en retraite). L’alignement des régimes spéciaux sur le régime général n’y changera rien, car les régimes spéciaux vont intégrer un régime potentiellement condamné.

          Il faut avoir le courage d’admettre et de dire que l’équilibre du système de répartition est fondé sur l’espérance de notre mort: il assure une retraite confortable aux « survivants » de toute une vie active. Or la croissance économique nous a apporté une amélioration de la qualité de la vie qui s’est traduit par un allongement de la durée de la vie: les « survivants » sont heureusement de plus en plus nombreux. Si l’on ne change pas ses paramètres structurels, c’est la mort du système de répartition qui est programmée de manière inéluctable.

          Fuir cette réalité est proprement irresponsable, et il vaut mieux la mort d’un système que celle des individus qu’il est censé protéger. Un système est conçu pour être au service des individus, et quand il ne marche plus, ce n’est pas les individus qu’il faut et que l’on peut changer, mais seulement le système.

          Partout dans le monde, c’est le couplage d’un système autorisant la capitalisation avec un système de retraite de base fondé sur la répartition qui a permis de sauver l’ensemble des retraites. Or, la France s’est enfermée de nouveau dans une impasse en écartant par principe – et surtout par aveuglement idéologique – le système de capitalisation(2).

          On pourra difficilement renverser les tendances démographiques, surtout si l’on continue d’adopter des lois et de cautionner des comportements qui contribuent à réduire la base réellement active de la population totale (allongement des études qui contribuent à désorienter une masse croissante de jeunes qui fuient les filières à vocation professionnelle, abaissement de l’âge de la retraite). Ainsi, nos politiques sociales s’ajoutent aux tendances démographiques longues pour fragiliser encore plus le système de répartition auquel nous nous disons attachés, faisant des Français les acteurs de leur propre faillite et nous interdisant de surcroît d’envisager les seules solutions qui s’imposent.

 

1. Le même processus est à l’oeuvre dans l’évocation du Front populaire, immédiatement identifié aux congés payés qui ne sauraient souffrir aucune critique, mais en oubliant de rappeler que, quelques mois plus tard après l’accession au pouvoir de Léon Blum, les finances publiques étaient en situation de faillite.
2. Rendez-vous compte, ce système fait de chacun de nous des capitalistes et des propriétaires en puissance, nous rendant propriétaire de notre patrimoine (capital accumulé tout au long d’une vie de labeur), nous rendant finalement maîtres de nos destins individuels, ce que ne peuvent tolérer tous les constructivistes pétris de marxisme et de tentation totalitaire.