Montréal, 25 novembre 2007 • No 243

 

OPINION

 

James Tooley, Ph.D., est professeur à la Newcastle University et directeur du E.G. West Centre. Cet article a été traduit par Quentin Meunier et est reproduit ici avec la permission de l'auteur.

 
 

L'INDUSTRIE MONDIALE DE L'ENSEIGNEMENT*

 

par James Tooley

 

          Nombreux sont ceux qui, aux États-Unis, semblent croire que l’entreprise commerciale d’enseignement est une invention américaine. Beaucoup en Grande-Bretagne semblent pareillement penser que la récente initiative de notre gouvernement – cherchant à intégrer des sociétés privées d’enseignement dans la gestion des écoles – est un phénomène américain indésirable et importé dans une Grande-Bretagne peu disposée. Ces idées sont on ne peut plus fausses. Mes recherches montrent que ce sont dans les pays en développement que nous trouvons les sociétés privées d’enseignement – y compris commerciales – les plus avancées. Le livre dont cet article est le résumé apporte également d’importantes leçons pour l’enseignement aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

 

          Loin de trouver un secteur de l’enseignement privé restreint et destiné uniquement à une élite dans les pays en développement, mes recherches montrent un secteur pédagogique étendu, en expansion rapide et remarquablement innovant. À Moscou, où jusqu’à très récemment l’enseignement privé était interdit, la même proportion d’étudiants qu’en Grande-Bretagne fréquente l’école privée: environ 7%. En Colombie et en Côte d’Ivoire, respectivement 40 et 57% des inscriptions à l’école secondaire se font dans le secteur privé. C’est dans les pays en développement que nous trouvons les compagnies consacrées à l’enseignement les plus développées.

          En Indonésie, 94% des étudiants de l’enseignement supérieur sont dans des écoles privées, avec plus de mille universités privées enregistrées. Le secteur de l’enseignement compte aussi des entreprises qui gèrent des « chaînes » d’écoles et d’universités, parfois sur la base d’une franchise, capables de bénéficier d’économies d’échelles. La plus grande d’entre elles, Objetivo/UNIP, est l’une des quelques chaînes d’écoles en concurrence au Brésil. Elle compte plus de 500 000 étudiants – de la maternelle à l’université – répartis sur près de 500 campus. Educor en Afrique du Sud, cotée à la bourse de Johannesburg, compte plus de 300 000 étudiants, du secondaire à la formation professionnelle. La compagnie indienne NIIT a 400 000 étudiants inscrits dans des parcours académiques et professionnels en Inde et dans vingt autres pays, notamment aux États-Unis.

          Ces entreprises pédagogiques réfutent l’objection selon laquelle les consommateurs d’enseignement souffrent d’un problème d’« information » permettant à des entrepreneurs véreux de tirer avantage de leur ignorance. Au contraire, les « marques de commerce » fonctionnent ici comme dans les autres secteurs, donnant aux parents et aux étudiants l’assurance qu’une qualité élevée est offerte et maintenue. De même que, connaissant peu de choses aux ordinateurs, j’ai acheté mon portable en confiance bien conscient que le besoin de maintenir sa marque fasse en sorte que Toshiba reste vigilante, les consommateurs d’enseignement fréquentant une école Objetivo au Brésil ou DPS en Inde sont confiants qu’un contrôle de qualité strict est en place pour maintenir un niveau constamment élevé.

          Les compagnies prennent la promotion de leurs marques au sérieux. Au Zimbabwe, la chaîne Speciss College sponsorise une équipe de basketball nationale et organise un prestigieux concours de personnalité Mister et Miss Speciss. NIIT produit son propre programme télévisé de vingt-quatre heures, décrit comme un programme gratuit d’alphabétisation informatique pour les masses. La promotion de marque de NIIT semble très réussie; un sondage récent montre que, tout comme les gens disent un « Bic » au lieu d’un « stylobille », « faire un NIIT » est synonyme en Inde de « suivre un cours d’informatique ».

          Le secteur privé est non seulement important en taille, mais il est aussi souvent remarquablement innovant. Beaucoup de compagnies ont des départements de recherche et développement dédiés à l’avancement des méthodes d’enseignement et d’apprentissage. Elles sont aussi préoccupées par l’efficacité, étant donné la rareté des ressources telles que l’espace, la technologie et le temps des professeurs. NIIT a développé un modèle pédagogique qui permet à un centre de seulement 30 ordinateurs de servir 1260 étudiants par jour!

          Mais qu’en est-il de l’inquiétude sur l’inéquité de l’enseignement privé?
 

« Nous pouvons avoir l’assurance que quand la demande peut s’exprimer librement, l’offre sur le marché de l’enseignement se montre prête à fournir le service. »


          Premièrement, mes recherches révèlent une vaste panoplie de perspectives d’enseignement privé, ne s’adressant pas uniquement à une élite ou même aux classes moyennes mais fournissant des opportunités qui sont souvent accessibles à ceux aux moyens modestes.

          Deuxièmement, l’enseignement public lui-même n’est pas complètement gratuit et lorsque les coûts cachés de la scolarisation sont introduits, les différences entre les coûts de l’enseignement privé et public sont considérablement réduites.

          Troisièmement, le financement public de l’enseignement est également inéquitable – une « arnaque par la classe moyenne » comme l’a qualifiée un commentateur social – puisque relativement peu d’enfants à bas revenus fréquentent les enseignements secondaires et supérieurs.

          Quatrièmement, l’étude montre aussi que les institutions pédagogiques privées servent l’égalité des sexes en accueillant une plus grande proportion d’étudiantes que les écoles publiques.

          Cinquièmement, nombre des entreprises d’enseignement étudiées sont également conscientes de l’importance du « subventionnement croisé », des programmes de responsabilité sociale, des partenariats avec le secteur public et des programmes de prêts étudiants, tout ceci servant à accroître et non pas à entraver l’équité.

          Quelles sont les leçons de « l’industrie mondiale de l’enseignement » pour les systèmes éducatifs britannique et nord-américain ?

          Le plus important: nous pouvons avoir l’assurance que quand la demande peut s’exprimer librement, l’offre sur le marché de l’enseignement se montre prête à fournir le service. Ensuite, si les entrepreneurs de l’enseignement peuvent créer des solutions dynamiques, innovantes et économiques aux problèmes de l’enseignement à New Delhi ou en Afrique du Sud, alors ils devraient être en mesure de faire de même pour les problèmes de Londres, à condition de ne pas en être empêchés. De plus, il y a pour les mandataires publics beaucoup à apprendre des modèles novateurs de partenariats public-privé qui se sont développés dans plusieurs pays pour améliorer le niveau et étendre l’accès.

          Les politiciens feraient bien d’examiner les succès du partenariat entre la chaîne d’écoles Pitagoras du Brésil et le ministère de l’Enseignement à Minas Gerais, ou la chaîne d’écoles indienne DPS et son partenariat avec onze États indiens, ou la Fédération nationale des cultivateurs de café en Colombie et sa gestion et son financement des écoles publiques dans les régions agricoles pauvres. Là où la demande peut s’exprimer librement, l’offre pédagogique s’est montrée capable de remplir sa tâche.

          En conclusion, ces exemples d’innovation, d’efficacité et de pertinence pédagogique nous invitent également à nous interroger sur le rôle de l’enseignement public. Avoir voyagé au Brésil et pouvoir témoigner de ces entreprises privées d’enseignement, si désireuses d’investir dans l’innovation technologique et dans le développement des programmes, m’a fait m’étonner du manque d’innovation dans les écoles publiques britanniques. Aller en Afrique du Sud et y trouver des entreprises privées d’enseignement si soucieuses de la destination future de leurs étudiants – au point de racheter des sociétés de recrutement – a soulevé des questions sur les préoccupations des écoles publiques partout dans le monde occidental. Il y a beaucoup à apprendre de ces expériences qui ne pourrait qu’améliorer nos systèmes éducatifs.

 

* Cet article a été publié pour la première fois en 1999. Il est un résumé du livre The Global Education Industry - Lessons from Private Education in Developing Countries publié par l'Institute of Economic Affairs de Londres en 2004 (livre disponible gratuitement en ligne).

 

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