Montréal, 10 février 2008 • No 252

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

NICOLAS OU NÉRON?
DE QUOI SARKOZY EST-IL LE PRÉNOM?

 

par Patrick Bonney

 

          Un petit livre ayant pour titre De quoi Sarkozy est-il le nom? remporte actuellement en France un vif succès. Il est l’oeuvre d’un philosophe marxiste, Alain Badiou, professeur à l’école normale supérieure, prestigieuse institution qui a su cristalliser, au cours du siècle passé, la quintessence (avec du bon et du moins bon!) de l’esprit français: Aron, Sartre, Nizan, Merleau Ponty, De Beauvoir et même... Henry-Levy!

 

          Que dit Badiou? Que la politique de Sarkozy, qu’il surnomme au passage, et en référence à Victor Hugo, « Napoléon le très petit », n’est rien d’autre que l’expression de ce qu’il appelle le « Pétainisme transcendantal ».

          Lien de parenté politique que nous avions dénoncé en son temps, mais sans l’affubler, il est vrai, de cet adjectif qui lui donne – c’est incontestable! – la dimension spirituelle qui lui manquait. Qu’il est bon d’être philosophe même si l’on ne doit pas en conclure qu’il suffit d’ajouter « transcendantal » à chaque substantif pour le devenir.

          Pour Badiou, Sarkozy serait donc bien l’héritier de Pétain. Un héritier qui s’appuie, comme son prédécesseur, sur ces peurs malsaines (nous avions employé le mot « chiasse ») qui irriguent le tissu social français et finissent par le contaminer tout entier.

          Et si entre le libéral-libertaire que je suis et le marxiste qu’il est, nul ne s’étonnera que l’analyse que nous faisons respectivement de l’origine et de la nature de ces peurs soit divergente, nous nous rejoignons sur l’essentiel.

          À savoir cette dérive néo-pétainiste qui fait de l’étranger – pauvre bougre dont, toute considération humanitaire mise à part, nous aurons besoin pour financer notre coûteux système de santé et de retraite – le nouveau bouc émissaire de notre désarroi national. Étranger qui, désormais, tient le rôle jadis dévolu au juif. On sait Sarkozy fan de bicyclette, mais de là à ce qu’il nous rejoue la rafle du Vel' d'Hiv'...

          Et si le discours évolue – ce n’est plus « la terre qui ne ment pas » (c.f. Pétain), mais la mer (soutien aux pêcheurs) ou le feu (subvention à la sidérurgie) – non seulement l’idéologie demeure mais elle est partagée par le plus grand nombre.

          Et Badiou de rappeler à cet égard (même si les communistes ont un peu traîné les pieds à cause du pacte germano-soviétique) que la résistance française à son origine n’était le fait que de quelques-uns (par opposition à l’immense majorité pétainiste) et rassemblait des hommes et des femmes de toute obédience et de tous horizons: libéraux, monarchistes, Gaullistes, communistes, francs-maçons, juifs, catholiques, musulmans, etc.

          L’appel à l’union sacrée est d’autant plus tentant, qu’à cette référence historique, nous allons en ajouter une autre.

          Les initiés se souviennent sans doute que la passionaria des pièces jaunes (à son mari les grosses coupures et à elle la menue monnaie!), Bernadette Chirac, pour ne pas la citer, avait surnommé Dominique de Villepin, alors conseiller de son époux, « Néron ».
 

« Rendons à l’empereur romain qui aimait à s’exhiber en jupettes avec ses amis du showbizz, qui organisait de grandes fêtes orgiaques et qui choqua la bonne société romaine en épousant un castrat à peine pubère (la Carla Bruni de l’époque) ce qui lui revient. »


          Force est d’admettre – atavisme marital? – qu’elle s’est largement fourvoyée. Tout au plus, Villepin serait-il Britannicus, fils putatif à la popularité croissante, foudroyé en plein vol par son rival à l’initiale trompeuse. Rival au sujet duquel on peut, sans illusion, citer Racine: « Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes! »

          Un N peut en effet en cacher un autre. Et si n’est pas Napoléon qui veut, est, en revanche, Néron qui doit!

          On raconte que notre N à nous (Sarkozy) aurait lu Sénèque pendant sa courte traversée du désert après que Chirac l’eût banni pour avoir soutenu Balladur. Soit il l’a lu de travers, soit Sénèque n’a décidément pas de chance avec ses disciples.

          Car c’est bien au célèbre stoïcien, auteur entre autres classiques, des Lettres à Lucilius, qu’Agrippine, sa mère, confia l’éducation du jeune Néron... avec le succès que l’on sait!

          Et ce ne sont pas les cinq premières années de son règne durant lesquelles il pût se targuer d’être populaire qui démentiront notre propos tant le souvenir désastreux qu’il laissa par la suite reste gravé dans les mémoires. D’autant que, comme le souligne Paul Veynes, professeur au collège de France et fin connaisseur du monde antique:

          Les célèbres cinq bonnes années se sont passées à expédier des affaires courantes et à nommer des fonctionnaires. On exagère à peine lorsqu’on affirme que la politique impériale consistait surtout à maintenir ou rétablir le statu quo; elle ne se proposait pas de s’adapter perpétuellement à une situation perpétuellement changeante. Les cinq années n’ont nullement vu de vagues de réformes.

          Citation à conserver pour les années qui viennent car on ne voit pas ce qui pourrait en démentir la justesse à propos de qui nous occupe. En d’autres termes, ce qui vaut pour Néron vaut déjà pour Nicolas.

          En revanche, rendons à l’empereur romain qui aimait à s’exhiber en jupettes avec ses amis du showbizz, qui organisait de grandes fêtes orgiaques et qui choqua la bonne société romaine en épousant un castrat à peine pubère (la Carla Bruni de l’époque) ce qui lui revient. Car il était, comme on dirait aujourd’hui, un communicateur hors pair. À mi-chemin en somme entre un Sarkozy et un Delanoë (le maire de Paris), et précurseur de cette société du spectacle chère à Guy Debord dont nous n’avons pas fini de payer les dérives.

          Mais si Néron, à l’instar de notre président faisait bling-bling, c’était d’abord dans sa tête. Et c’est pour cela, on le sait, que tout a mal fini. Assassinat en série dont celui de sa propre mère, incendie volontaire de Rome, folie meurtrière puis suicide pour échapper à la vindicte sénatoriale qui se proposait rien de moins que de lui mettre la tête dans une fourche et de le promener tout nu à travers Rome.

          De quoi faire réfléchir et regretter que les vieilles coutumes se perdent. Mais à la fourche, nous préférerons toujours les mots! Surtout quand ils sont de Racine et qu’ils s’adressent à Néron:

Tes remords te suivront comme autant de furies;
Tu croiras te calmer par d’autres barbaries;
Ta fureur s’irritant soi-même dans son cours,
D’un sang toujours nouveau marquera tous tes jours.
Mais j’espère qu’enfin le ciel, las de tes crimes
Ajoutera ta perte à tant d’autres victimes;
Qu’après t’être couvert de leur sang et du mien,
Tu te verras forcer de répandre le tien;
Et ton nom paraîtra dans la race future,
Aux plus cruels tyrans, une cruelle injure.

          À bon entendeur salut!
 

 

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