Montréal, 10 février 2008 • No 252

 

LECTURE

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 


Pierre Leconte, La Grande Crise monétaire du XXIe siècle a déjà commencé!, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2007.

 
 

LA GRANDE CRISE MONÉTAIRE
DU XXIe SIÈCLE A DÉJÀ COMMENCÉ!

 

par Martin Masse

 

          Les banques centrales, sortes de mammouths datant de l’ère collectiviste, radicalement inadaptées à une économie authentiquement libérale, non seulement portent l’entière responsabilité de la Grande Crise monétaire du XXIe siècle qui a commencé, mais encore en sont les principaux vecteurs. Dans la double mesure où: 1/ elles n’ont aucune capacité scientifique de déterminer la quantité de monnaie dont une économie a réellement besoin, alors même que c’est ce qu’elles ont la prétention de décider en permanence, ce qui revient à stupidement « tenter de mettre en ordre l’inconnu » selon les mots du prix Nobel d’économie Friedrich von Hayek; 2/ elles se sont elles-mêmes condamnées à pratiquer en toutes circonstances des politiques monétaires ultra laxistes du fait de la « dictature » qu’exercent les acteurs des marchés financiers mondialisés évoluant hors de tout contrôle, dont elles sont devenues les auxiliaires zélés. Comme les injections massives de liquidités et les baisses de taux d’intérêt artificielles décidées en août et en septembre 2007 par Ben Bernanke, Jean-Claude Trichet, Mervyn King and Co en sont la triste illustration. (p. 14-15)

 

          Voilà en quelques phrases les prémisses de cet essai de Pierre Leconte sur la crise financière que nous vivons depuis l’été, qui est sorti des presses il y a seulement deux mois. M. Leconte sait manifestement de quoi il parle lorsqu’il traite de ces questions financières et monétaires complexe. Il est économiste, fondateur d'une société financière en Suisse, et a été membre des bourses des marchés à terme de Londres et de New York, puis conseiller d'une banque de développement et d'une banque centrale sud-américaines.

          Son analyse est essentiellement la même que celle des économistes autrichiens. On y retrouve des références à Mises, et même à notre collaborateur André Dorais sur les fluctuations du prix de l’or. Il décortique avec beaucoup de détails les étapes de l’accumulation pyramidale de crédit dont les banques centrales et les marchés financiers se sont faits les spécialistes au cours des dernières décennies. Et il tente d’éclairer ce qui arrivera au cours des prochaines années, lorsque l’effondrement inévitables des monnaies de papier étatiques fera place à un autre système.

          Les livres ou articles en français sur l’actualité économique, d’un point de vue autrichien, étant on ne peut plus rares, il faut saluer cette contribution. Ceux qui s’intéressent de près à cette question auront intérêt à se procurer ce petit volume de 140 pages, qui se lit en une soirée. J’y ai certainement approfondi ma compréhension du phénomène et sur le fond, je ne suis pas en désaccord avec grand-chose. Je relèverai cependant quelques aspects agaçants du livre.

          Pour appuyer sa thèse très pessimiste, l’auteur sombre parfois dans les prédictions apocalyptiques qui n’apportent rien de pertinent à son analyse. Le livre se termine par exemple sur un scénario où il évoque des émeutes, une prise de contrôle de l’or par les gouvernements et la fin de la liberté politique. On ne peut évidemment rien exclure de tout cela: Roosevelt a confisqué tout l’or détenu par les Américains dans les années 1930, et l’hyperinflation qui a sévi en Allemagne a contribué à la chute de la République de Weimar. Mais bon, la politique fiction ne fait pas très bon ménage avec l’analyse financière, surtout lorsqu’elle ne s’appuie sur rien de bien développé.
 

« Les livres ou articles en français sur l’actualité économique, d’un point de vue autrichien, étant on ne peut plus rares, il faut saluer cette contribution. »


          M. Leconte défend à plusieurs reprises le « véritable libéralisme », mais vers la fin du livre, pendant quelques pages, il nous sert une série de commentaires pro-interventionnisme étatique qui tombent comme un cheveu dans la soupe.

          D’abord, une défense du protectionnisme dans certaines circonstances, typique de la prétention technocratique à savoir quand il est justifié d’utiliser le pouvoir de coercition de l’État pour empêcher les gens de faire des échanges volontaires, présumément pour le bien de la collectivité. Ensuite, une prise de distance par rapport à « l’insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laissez-faire ». Mais qu’est-ce qu’un véritable libéral, sinon un partisan du laissez-faire? Puis l’auteur nous suggère l’idée qu’être libéral, c’est « non seulement veiller à la séparation des pouvoirs et contrôler les dépenses de l’État, mais donner à ce dernier les moyens de casser les monopoles, nationaux et transnationaux ». Euh, non, c’est pas ça du tout! Les seuls véritables monopoles sont des monopoles étatiques, les États sont eux-mêmes de gigantesques monopoles à qui on doit enlever des pouvoirs, pas en donner. Les lois antitrust ne sont qu’une autre forme inutile et néfaste d’interventionnisme étatique. Un véritable libéral, qui cite de surcroît des auteurs autrichiens, devrait savoir cela.

          M. Leconte dénonce ensuite les inégalités de revenu croissantes dans nos sociétés (qui sont pourtant une conséquence du phénomène de manipulation monétaire qu’il dénonce, comme je l’écrivais récemment sur Le Blogue du QL) et propose une recette pour y remédier: « il faut que les États avancées, d’abord, permettent l’"égalité des chances", assurent la formation des jeunes, prennent en charge les vieux, etc., etc., etc. » Merci Monsieur Leconte pour ces excellentes suggestions, pas besoin d’ajouter d’autres « etc. », les socialistes ont déjà pensé à tout ça bien avant vous!

          Enfin, sur la forme, je dois dire que le livre manque de structure (on relit vers la fin des explications similaires à ce qu’on a lu au début, sans trop savoir où est le fil conducteur), et qu’un bon éditeur aurait dû réécrire les nombreuses phrases trop longues et compliquées, qui en rendent la lecture laborieuse.

          Mais bon, malgré ces quelques critiques, je le répète, le livre propose une analyse de la crise très pertinente et vient combler une petite partie du vide immense dans la compréhension de ce phénomène au sein du public. Et pour cela, il mérite certainement d’être lu.
 

 

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