Montréal, 17 février 2008 • No 253

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

HOMOPHOBIE OU REFOULEMENT? ET SI NICOLAS PRÉFÉRAIT LES GARÇONS...

 

par Patrick Bonney

 

          Plus c’est gros, plus ça passe! La dernière saillie de Nicolas Sarkozy dont personne n’a relevé la monstruosité mérite qu’on s’y arrête. Interrogé sur l’admiration qu’il voue à Céline (l’écrivain, pas le couturier!), Sarkozy a cru bon de se justifier en ces termes: « On peut aimer Céline sans être antisémite comme on peut aimer Proust sans être homosexuel ».

 

          Au-delà de ce besoin permanent de justification – pourquoi a-t-il si peur qu’on le prenne pour un antisémite, un raciste ou un homosexuel s’il ne l’est pas? – le balancement de sa phrase pose problème et relève même de l’homophobie primaire – aussi inconsciente soit-elle!

          Sarkozy met en effet sur un même plan l’antisémitisme et l’homosexualité. Il range dans la même catégorie une passion malsaine et une légitime inclination. Et même si je ne suis pas emballé par l’usage du droit que font nos sociétés occidentales avancées, il compare une dérive que la justice française (dont il est le garant) condamne avec un penchant qui relève de la stricte intimité et que chacun est libre d’exercer comme il l’entend.

          Car de deux choses l’une: soit cette phrase condamne l’antisémitisme et du même coup l’homosexualité, soit elle éclaire le personnage d’un jour nouveau et nous y reviendrons.

          Car pour sa défense, il suffisait à Sarkozy de dire: « On peut aimer Céline sans être antisémite ». Point à la ligne! L’allusion à l’homosexualité est de trop ou pour le moins mal venue. À la rigueur, on aurait pu admettre: « On peut aimer Céline sans être antisémite comme on peut aimer La cage aux folles sans être homophobe ». Et j’écris « à la rigueur » car, nonobstant la performance de Poiret et Serrault, je ne place pas La cage aux folles au rang des modèles du bon goût et de la tolérance.

          Car effectivement, si les mots ont encore un sens, le seul lien que l’on puisse établir à ce jour n’est pas celui qui relierait l’homosexualité à l’antisémitisme mais l’homophobie à l’antisémitisme. Lien que l’extermination des homos et des juifs par les nazis a d’ailleurs tristement confirmé. Un récent téléfilm en témoigne.

          Au-delà du dérapage sémantique, un deuxième point vient à l’esprit. Si Céline a bien revendiqué son antisémitisme virulent par le truchement de livres aussi terribles que Bagatelles pour un massacre, L’école des cadavres ou Les beaux draps, Proust pour sa part a été plus ambigu et les exégètes n’ont pas fini de s’étriper au sujet des personnages gays ou lesbiens de la Recherche. Personnages dont on ne saurait au demeurant, et loin s’en faut, faire l’objet principal du livre. Ajoutez à cela – ce que Sarkozy, entre bien d’autres choses, ignore – les procès récurrents en antisémitisme qui sont faits à Proust (dont le récent Proust antijuif d’Alessandro Piperno) et vous aurez une idée du pataquès présidentiel.

          On voit qu’une fois de plus, Sarkozy a tout faux. S’il avait voulu dans un même élan condamner l’antisémitisme et l’homophobie, il n’avait qu’à citer l’excellent Jean-Louis Bory ou encore Dominique Fernandez, Yves Navarre, André Gide et même Jean Genet auquel Sartre a rendu hommage appuyé et dont il disait, à juste titre, qu’homosexuel ou pas, ce dernier était d’abord et avant tout un grand écrivain.

          Mais une fois n’est pas coutume, plutôt que de vouer Sarkozy aux gémonies et le taxer a priori d’homophobie, risquons une autre lecture. Et si en réalité, cette peur panique d’être pris pour un homosexuel n’était que le réflexe d’un refoulé?

          Le cas est fréquent et en politique particulièrement. Aux États-Unis, faute de pouvoir vivre selon leur inclination naturelle, nombre de membres de l’exécutif se sont longtemps défoulés sur cette cible toute désignée à la vindicte des moralistes et des conservateurs de tout poil. On se souvient bien sûr d’Edgar Hoover, légendaire directeur du FBI, dont les prises de position publiques et les chantages exercés à l’encontre d’homosexuels en vue étaient en totale contradiction avec les réalités de sa vie privée.
 

« Car effectivement, si les mots ont encore un sens, le seul lien que l’on puisse établir à ce jour n’est pas celui qui relierait l’homosexualité à l’antisémitisme mais l’homophobie à l’antisémitisme. »


          On l’a dit, le régime nazi comme les dictatures communistes n’étaient pas en reste qui, dans leur « chasse à l’homme », mêlaient le juif et l’homo, chacun dissident à sa manière. Rappelons en effet qu’antisémitisme et homophobie ont comme racines communes la bêtise, la peur de l’autre (ou de soi-même!) et l’ignorance.

          Mots qui nous ramènent à Sarkozy. Car si ce dernier collectionne les conquêtes féminines et les étalent en une des magazines comme un vulgaire chasseur expose ses trophées sur le mur de sa salle à manger, s’il n’est rien qui ne le flatte davantage que de laisser penser qu’il est un homme à femmes, son coté « Village People » n’aura cependant échappé à personne.

          Archétype du mâle prédateur, présumé viril jusqu’à l’extrémité du pantalon, burné comme pas deux, il ne lui manque que la panoplie « tout cuir » pour se lancer dans la carrière.

          Se souvient-il, cependant, le petit Nicolas, tandis qu’il rit trop fort aux blagues sordides et graveleuses de ses copains homophobes, de ces lointaines vacances au bord de la mer où, perdu dans un slip de bain trop grand pour lui, sous le regard enamouré de sa petite maman chérie, il n’avait d’yeux que pour ces beaux garçons bronzés dont il devinait que la peau avait un goût de sel? Bien sûr qu’il s’en souvient et c’est pour ça qu’il a eu si mal à La Baule quand il a vu le beau Dominique de Villepin sortant des eaux et le défiant tel un elfe au torse glabre!

          Comme il l’a détesté de ne pouvoir l’aimer! Mais que n’a-t-il pas lu, quand il en était encore temps, Les amitiés particulières de Roger Peyrefitte, Corydon d’André Gide ou Ma moitié d’orange de Jean-Louis Bory! Il aurait compris alors qu’être homosexuel n’est pas la tare qu’il imagine et que l’on peut aimer un homme comme on aime une femme, avec la même tendresse, le même désir, la même passion, la même fidélité, la même (sujet qui l’obsède)... virilité!

          Ceux qui ont vu le film de Michel Deville, Le Dossier 51, se souviendront de la manière dont les services secrets « retournent » (passez-moi l’expression) un diplomate en lui faisant découvrir sa véritable nature. Il va donc falloir surveiller Nicolas de très près si l’on ne veut qu’il livre tous ses petits secrets...

          Car si l’on voulait être aussi méchant que lui et l’enfoncer davantage, on soulignerait son goût prononcé pour les femmes « plates » (Cecilia, Carla) quand les vrais cochons hétérosexuels (c.f. Fellini), au nombre desquels je me range, ne jurent que par les gros seins.

          Alors, Monsieur Sarkozy, à quand la sortie du placard?

          Pour finir sur une note plus sérieuse et en guise d’hommage, je voudrais citer le regretté Jean-Louis Bory dont les mots sonnent encore – et malheureusement! – aujourd’hui si juste:

          Au vrai, la bouffonnerie de la féminisation outrancière, plus qu’elle ne désamorce le scandale par le rire, empêche l’inquiétude. Elle rassure. Tout, n’importe quel guignol, plutôt que de découvrir que l’homosexuel peut être parfaitement viril, beaucoup plus viril même que bien des hommes à femmes... Vivent la plaisanterie scabreuse, l’obscénité bien gauloise, plutôt que de reconnaître qu’un homosexuel peut être un citoyen comme tout le monde. Un citoyen normal.

          Il n’y a rien à ajouter.
 

 

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