| 
             Patrice Vézine: Après des années passées à 
			écrire des chroniques et à publier pour la promotion des idées 
			libérales en France, quel bilan en forme d'autoévaluation es-tu en 
			mesure d'effectuer à ce jour? Tes idées sont-elles davantage entendues? 
			 
			
			 Jean-Louis Caccomo: Quand j'ai commencé à écrire, personne ne 
			me connaissait, sauf les chercheurs spécialistes qui lisaient les 
			revues de recherche dans lesquelles je publiais mes articles 
			académiques, ce qui se compte sur les doigts d'une main. J'ai 
			diffusé mes premières chroniques par fax à une vingtaine d'abonnés. 
			Puis j'ai appris à me servir du courrier électronique et des listes 
			de diffusion. Mes premières listes touchaient trente personnes. 
			Aujourd'hui, un millier d'adresses sont inscrites sur mes listes 
			tandis que mes plus fidèles lecteurs diffusent les chroniques avec 
			leur propre liste. Des personnalités publiques sont abonnées et 
			réagissent parfois au côté volontairement provocateur des 
			chroniques. Ainsi, j'ai pu entretenir une correspondance suivie et 
			passionnée avec François Bayrou; Jean-François Revel m'a fait 
			l'honneur de m'écrire un jour une lettre pour m'encourager à 
			continuer. J'ai droit parfois à un petit mot de sympathie de Guy Sorman et de certains chroniqueurs du 
			Figaro comme Ivan Rioufol. 
			Enfin des économistes comme Jacques Marseille ou Christian 
			Saint-Etienne m'ont exprimé leur soutien. Quand j'ai commencé, tous 
			ces noms étaient pour moi des icônes intouchables et inaccessibles. 
			 
			En 2005, un bloggeur m'a contacté pour m'expliquer que je 
			toucherais plus de monde en créant mon propre blogue. Je ne savais 
			pas ce 
			qu'était un blogue. J'ai fait le saut. Aujourd'hui, mon blogue connaît 
			une audience croissante qui m'a permis de toucher les rédactions de 
			certaines revues. Ainsi, je suis devenu chroniqueur pour le site 
			libertarien du Québécois Libre et, plus récemment, pour la 
			revue mensuelle Politique Magazine (Paris) tandis que mes 
			chroniques sont reprises dans de nombreux blogues en France, au 
			Canada (le Blogue du QL), en Italie ou en Espagne (El 
			conservador). De ce point de vue, on peut espérer que je 
			bénéficie d'une audience croissante. 
			 
			P.V.: De résistance, tes chroniques sont devenues pleines 
			d'espérance: es-tu vraiment optimiste? 
			 
			J.-L.C.: J'ai écrit pendant sept ans sur le registre de la résistance. 
			C'est un peu épuisant. Certains me reprochaient d'être toujours 
			pessimiste, de critiquer pour critiquer. La campagne électorale de 
			2007 m'a en effet donné à espérer. Je ne suis pas dupe des hommes et 
			femmes politiques qui ont tendance à confondre la fin avec les 
			moyens (le pouvoir). Mais j'ai espéré en mon peuple, au peuple de 
			France dont la succession chronique des revendications corporatistes 
			a quelque chose de désespérant. Je dois dire que ce manège infernal 
			a repris de plus bel aujourd'hui. En cela, je ne suis guère 
			optimiste. 
			 
			P.V.: Internet, publication d'ouvrages, enseignement et recherches 
			universitaires: envisages-tu dans le futur d'autres moyens d'action 
			en vue de contribuer à la progression de la philosophie libérale 
			dans les esprits? 
			 
			J.-L.C.: Le combat sur le terrain des idées est essentiel car les 
			antilibéraux ont gagné avant tout sur ce terrain, discréditant les 
			mots en les chargeant de connotations extrêmement péjoratives, de 
			manière à discréditer ceux qui voulaient incarner les idées 
			libérales. Je continuerai donc à m'impliquer à fond sur ce terrain. 
			À ce propos, je participe à un ouvrage collectif sur le thème de Mai 
			68, à l'intérieur duquel j'ai écrit un chapitre qui propose une 
			analyse économique des accords de Grenelle. Aujourd'hui, on reprend 
			le terme de Grenelle sans bien mesurer ce qui s'est passé à ce 
			moment. C'est un peu comme avec le Front populaire, immédiatement 
			associé aux congés payés. On oublie que près de neuf mois après 
			l'accession de Léon Blum au pouvoir, les caisses de l'État étaient 
			vidées... Il est plus que jamais essentiel de faire contrepoids à la 
			présentation officielle et dominante de l'histoire, de l'économie et 
			de l'actualité, que ce soit dans les manuels, dans les milieux 
			intellectuels, dans les publications et dans les médias. Cependant, 
			le seul engagement sur le terrain intellectuel ne suffit pas car le 
			débat politique obéit à d'autres logiques dans lesquelles l'image, 
			la sympathie et des tas d'éléments moins rationnels interviennent, 
			au-delà des programmes des uns et des autres. De ce point de vue, je 
			dois dire que je suis allé de déception en déception. 
			 
			P.V.: À ce sujet plus précisément, quel bilan tires-tu de tes 
			engagements partisans (adhésion à Alternative Libérale et soutien à 
			Nicolas Sarkozy)? 
			 
			J.-L.C.: Mon premier engagement a été d'adhérer à Génération Libérale 
			et les cercles Idées-Action d'Alain Madelin, qui était pour moi le 
			seul homme politique incarnant un engagement libéral authentique et 
			dévoué à l'intérêt général. C'est pourquoi j'ai décidé de suivre sa 
			démarche d'adhésion à l'Union pour un mouvement populaire (UMP), en espérant animer un courant libéral 
			et réformateur au sein de l'UMP. Les intrigues l'ont emporté sur les 
			idées, les convictions et les personnes. Puis il y a eu la création 
			d'Alternative Libérale (AL). Enfin un parti explicitement libéral auquel j'ai beaucoup cru 
			aussi, m'y associant dès le début. Mais encore une fois, les 
			intrigues et les ambigüités ont brisé dans l'oeuf la dynamique 
			partisane de sorte que la plus grande partie des intellectuels 
			libéraux historiques (ALEPS) n'ont pas suivi ce mouvement. Enfin, je 
			me suis intéressé à Nicolas Sarkozy à partir du moment où il a 
			repris le contrôle de l'UMP, devenant peu à peu présidentiable sur 
			la base d'un discours de rupture réellement nouveau. Quant à savoir 
			si Sarkozy était libéral ou pas, j'avoue que je ne me posais pas 
			cette question. D'ailleurs, les membres d'AL en sont à proposer des 
			tests (!!) pour vérifier le degré de pureté libérale de leurs 
			adhérents... On ne doit pas mettre au même niveau le combat d'idées, 
			l'engagement intellectuel, qui doit demeurer le plus entier 
			possible, puis l'engagement politique. Il faut faire des 
			concessions. À ce moment, j'ai jugé qu'il était le seul candidat 
			susceptible de provoquer la rupture attendue par les Français. Mon 
			livre était sous-titré Impasse ou espérance... Aujourd'hui, je 
			dois admettre que nous sommes dans l'impasse. 
			 
			P.V.: Je défends l'idée selon laquelle la gauche est née libérale et 
			non collectiviste tandis que tu souhaites rendre la droite fière de 
			son « héritage libéral ». Peut-on s'entendre toi et moi? 
			 
			J.-L.C.: La gauche française s'est opposée au mouvement syndical, 
			craignant qu'il soit à l'origine d'un embourgeoisement de la classe 
			ouvrière. Très tôt, la gauche française est révolutionnaire et 
			collectiviste. Ces deux aspects reposent sur un antilibéralisme 
			extrêmement violent qui fait la culture de la gauche française. J'ai 
			fait mon doctorat d'économie dans une université socialiste et je connais de ce point de vue parfaitement mes classiques, tandis 
			qu'il a fallu que j'étudie seul l'économie et les grands textes 
			libéraux, presqu'en cachette. Certains professeurs comparaient 
			Milton Friedman ou Pascal Salin à des fascistes! Quand on a 20 ans, 
			on n'ose pas lire de telles horreurs et la parole d'un mandarin 
			d'université ne se remet pas en question. Depuis, j'ai fait mon 
			cheminement... et mes profs ne me l'ont pas pardonné. J'ai donc du 
			mal avec la gauche.  
			 
			Pourquoi faut-il toujours que tout ce qui évoque 
			le progrès (la culture, le social, la générosité) soit positionné à gauche? Malheureusement pour moi, la droite française a 
			honte de ses racines libérales. Elle est devenue tellement étatiste 
			et jacobine qu'elle se reconnaît plus volontiers dans des idées de 
			gauche que dans des idées libérales qui vont être qualifiées 
			d'extrême droite! D'ailleurs, en pratiquant l'ouverture, Sarkozy 
			récupère l'idée de Bayrou. De ce point, je me sens en effet trompé 
			car j'ai précisément écarté le vote Bayrou en l'absence d'une vision 
			claire du centre. L'expérience actuelle montre en tout cas qu'il est 
			difficile de se débarrasser de ce clivage gauche-droite. Même au 
			sein d'AL qui prétend apporter un nouvel axe dans la géométrie 
			politique, il y a une opposition entre gauche libérale et libéraux 
			conservateurs à défaut de proposer une vision claire et cohérente du 
			libéralisme. 
   |