Montréal, 15 mars 2008 • No 254

 

OPINION

 

Christophe Arvis est consultant senior marchés financiers à Paris

 
 

LA CRISE À LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
SONNE-T-ELLE LE GLAS
DU CAPITALISME FINANCIER?

 

par Christophe Arvis

 

          Les mouvements erratiques des marchés financiers depuis l’été 2007, la forte volatilité et les problèmes en cours au sein de la Société générale sont autant d’éléments qui tendent à prouver un dysfonctionnement dans les rouages du capitalisme financier. Nombre de commentateurs et de responsables politiques s’appuient sur ces faits pour appeler à davantage de régulation, (traduction: plus de réglementations), et appuyer une plus forte intervention de l’État.

 

          Or, dans l’histoire financière, il y a toujours eu des « excès » de la finance. Nous pouvons remonter jusqu’au 17ème siècle avec la crise des tulipes en Hollande, et il y en aura toujours.

          Ces emballements dans un sens ou dans un autre sont inévitables car ils sont naturellement constitutifs des comportements économiques, avec toute la part de subjectivité que cela comporte, on peut même dire qu’ils sont constitutifs des comportements humains eux-mêmes. En cela, la finance n’est pas décorrélée de toutes les autres activités humaines, avec ses passions, ses débordements ou ses phases de découragements. Dès lors que l’on comprend que ces phénomènes sont inévitables, il revient de s’y prémunir et d’en limiter les effets.

          Deux approches alors se distinguent: l’une faisant confiance dans la capacité de l’État et des régulateurs à contrôler ces phénomènes, voire à les empêcher. L’autre donnant pouvoir aux acteurs du marché eux-mêmes pour réguler le système.

          Dans une économie de science-fiction, un régulateur étatique parfaitement efficient ne serait qu’un neurorégulateur, un métasystème capable de contrôler chaque relation économique, de comprendre chaque incidence que peut avoir telle ou telle décision sur l’économie. Chose parfaitement impossible dans le monde réel. Les réglementations sont généralement uniformes et ne peuvent s’appliquer à tous les cas de figure, surtout dans un monde financier de plus en plus complexe.

          Le cas de la Société générale démontre parfaitement que la régulation administrative reste une chimère. Le rapport remis au premier ministre par le ministre des Finances Christine Lagarde révèle notamment que la position prise par le jeune trader incriminé aurait été dissimulée par des opérations fictives, comme des achats ou ventes de titres et de warrants à date de départ décalée, des transactions sur futures avec une contrepartie non encore désignée, ou des forwards (contrats à terme entre banques) avec une contrepartie interne au groupe.

          Si ce langage semble quelque peu ésotérique pour le commun des mortels, il démontre que la possibilité pour un opérateur de marché de procéder à ce type d’opérations oblige un contrôle interne très pointu pour découvrir ces malversations. C’est notamment un des rôles du middle office chargé du suivi des risques et du contrôle des opérations de marché. Aucune régulation extérieure administrative ne sera capable de faire mieux en termes d’efficacité et de rapidité que la régulation interne, par le perfectionnement constant des nombreux outils de contrôle.
 

« Dans une économie de science-fiction, un régulateur étatique parfaitement efficient ne serait qu’un neurorégulateur, un métasystème capable de contrôler chaque relation économique, de comprendre chaque incidence que peut avoir telle ou telle décision sur l’économie. »


          Le même rapport précise aussi que sur la période 2006-2007, la Société générale avait fait l’objet de 17 inspections de la commission bancaire qui n’ont abouti qu’à des recommandations de portée très générale. Ce qui est inévitable du fait de la haute technicisation des produits financiers qui demande une régulation plus précise, avec des outils informatiques et des algorithmes mathématiques, que seuls des experts et des acteurs du marché peuvent maîtriser et développer.

          Au-delà de ces points de régulation interne, nous ne devons pas oublier que le meilleur régulateur qui soit, malgré tous les défauts que l’on lui trouve, demeure le marché lui-même.

          Nous vivons dans un monde où la fluidité des marchés, l’interdépendance des systèmes et les risques systémiques qui en découlent, obligent les acteurs eux-mêmes à pousser toujours plus loin leur mode de contrôle. Chaque flux financier est en lui-même un acteur de la régulation. Car les risques sont grands, comme nous le voyons pour la Société générale: risques opérationnels avec des conséquences financières lourdes, risque de réputation, perte de confiance de ses actionnaires et de ses clients, démotivation de ses employés; enfin et non des moindres, risque d’être racheté lors d’une OPA.

          Dans un tel système ouvert, les malversations, les fraudes ou les mauvaises gestions sont immédiatement et rapidement sanctionnées.

          À l’inverse, dans un système financier cloisonné et beaucoup plus réglementé, la confiance repose sur la seule qualité de la régulation étatique. Les régulations sont moins opérationnelles et moins efficaces, les sanctions sont moindres car administratives ou politiques. Le danger est alors de voir les fraudes et les malversations devenir la règle et non l’exception.