Montréal, 15 mai 2008 • No 256

 

OPINION

 

Xavier Collet est responsable du site de l'ADEL.

 
 

UN BON HISTORIEN
EST UN HISTORIEN MARXISTE!

 

par Xavier Collet

 

          Dans Les Actes de Lecture de mars 2005, Annie Lacroix-Riz, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris Diderot-Paris 7, définit l’histoire comme « une discipline essentielle pour savoir ce qui est, pour former des enfants à évaluer leur propre position sociale, pour réfléchir et être en situation soit de maintenir la société telle qu’elle est, soit éventuellement de la changer parce qu’elle pourrait ne pas paraître satisfaisante ». Elle ajoute que « l’histoire constitue une discipline clé dans la tentative des classes dirigeantes pour empêcher les enfants et la population de connaître la situation telle qu’elle est ». Et face à ce qu’elle présente comme une volonté de falsification de l’histoire menée par la bourgeoisie, elle se situe dans la catégorie de ces historiens qui pensent que « l’histoire est l’histoire de la lutte des classes », reprenant ainsi la fameuse citation de Friedrich Engels.

 

          Celui qui place l’idéologie avant la vérité ne peut se présenter autrement que comme un idéologue. Lacroix-Riz n’est donc pas là dans une posture d’historienne mais de propagandiste marxiste, dont le souci est justement d’orienter ses élèves vers une présentation de l’histoire apte à en faire des révolutionnaires au service de la dictature du prolétariat. Et comme le disait Lénine: « Si le mensonge sert la cause révolutionnaire, alors le mensonge est vérité. »

          La réflexion qu’elle produit sur l’histoire est empreinte de cette volonté de défense idéologique du communisme puisqu’elle déplore l’ouverture de sa discipline à des historiens non marxistes, particulièrement dans le champ de l’histoire de la Révolution, ce qui conduirait à déconsidérer le phénomène révolutionnaire. En effet, pour la marxiste qu’elle est, seul un autre marxiste peut défendre une révolution, car pour les autres: « la violence révolutionnaire est une violence fantasmagorique puisque le révolutionnaire s’invente un ennemi auquel il prête des intentions malignes, d’où ces répressions abominables qui font que la révolution est la pire des solutions et qu’il convient de l’éviter. »

          Violence révolutionnaire, qui, notons-le au passage, a utilisé la Terreur et conçu la première tentative d’éradication d’une population entière: celle de la Vendée. Mais il semble que pour les historiens marxistes dont elle se revendique, la violence révolutionnaire, y compris par voie d’exécutions sommaires et de génocide, soit un détail, voire une nécessité, quand il s’agit d’aller dans le sens de l’histoire. Ce n’est pas pour rien que le sanglant Robespierre figure au panthéon du Pôle de renaissance communiste en France, le parti d’extrême gauche pour lequel elle milite.
 

Un complot contre l’histoire!

          De Robespierre à Staline, le sang n’est pas le seul dénominateur commun. Si l’un et l’autre sont injustement critiqués selon Annie Lacroix-Riz, c’est là l’oeuvre des contempteurs de la révolution que sont les classes dirigeantes, la synarchie, les grands trusts ou la CIA, que sais-je encore. En tout cas il y aurait un complot contre l’histoire en tant que discipline apte à permettre le renversement de la société capitaliste puisque: « s’il y a un poids important des donneurs d’ordre de la haute fonction publique administrative, les collègues universitaires ont aussi une responsabilité importante dans le fait que l’histoire de la classe ouvrière a disparu, que des chapitres sur le totalitarisme mêlent harmonieusement Staline et Hitler, que depuis 20 à 25 ans l’historiographie française a complètement changé de sens. »

          Et c’est toujours selon ces oeillères conspirationnistes que Lacroix-Riz prête à cette classe dirigeante qui la paie avec l’argent des contribuables des intentions de faire jouer à la discipline qu’est l’histoire le rôle qu’elle lui accorde elle-même: « L’histoire est devenue un instrument idéologique majeur de conversion réactionnaire de ce qu’on appelait autrefois les masses, avec des conséquences considérables dans la vie de tous les jours. »

          Son rôle est donc de réviser le révisionnisme historique imposé par les officines patronales: « Il faut lever un des butoirs les plus importants, non seulement à la connaissance scientifique mais à la réflexion et à la capacité critique: c’est-à-dire pouvoir opérer des révisions sur une série de champs qui ont été l’objet de l’incursion et de l’offensive de Furet et consorts ». Réviser donc l’histoire de l’Union soviétique « telle que vous la connaissez si vous avez lu le merveilleux concentré idéologique paru dans Le Monde à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Staline en mars 2003. » Et la réviser pour permettre de nouvelles Révolutions soviétiques: « Quand on parle d’éducation populaire, on parle d’éducation du peuple ou d’une fraction du peuple ainsi hissé à la compréhension de ce qu’il est, des forces dont il est l’objet, des rapports qu’il entretient avec telle classe ou tel groupe de classes. L’histoire de l’Union Soviétique n’est pas une question extérieure car il importe de savoir dans quelle mesure les classes dirigeantes ont considéré en 1917 comme effroyable et mortifère l’existence d’un pays supprimant l’exploitation de l’homme par l’homme comme on appelait cela, la propriété privée des grands moyens de production et d’échanges... »

          La grande mission de l’« historienne » Annie Lacroix-Riz est donc, vous l’aurez compris, de convaincre de la nécessité de renverser un capitalisme mondialisé « de plus en plus exploiteur » qui serait en crise afin d’instaurer une société communiste. Faire partager cette conviction se heurte selon elle à la disparition de l’URSS, ancien facteur de mobilisation du mouvement révolutionnaire, mais aussi à l’image ternie du camp socialiste. C’est donc à des historiens qu’il revient de réécrire l’histoire soviétique pour réhabiliter une idéologie dont la mise en pratique a révélé les échecs et fait supporter un coût humain de plus de 100 millions de morts.

          Membre de l’ex-comité Honecker, du nom du dictateur de l’ex-RDA, Lacroix-Riz est donc une fidèle du totalitarisme conquérant de cette ère révolue. On comprendra qu’elle n’a pas pu se réjouir de la chute du mur de Berlin. D’ailleurs, c’est en tant que professeur d’histoire contemporaine à Paris 7 et membre du Pôle de renaissance communiste en France qu’elle a produit un discours remarqué lors de la rencontre des partis communistes et ouvriers du 21 janvier 2006, rencontre consacrée à lutter contre le projet de résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe condamnant le communisme à l’Est. Elle y mit en accusation la trahison des dirigeants du mouvement ouvrier: le Parti communiste français (PCF) se rangeant à « l’aile "gauche" de la social-démocratie », la Confédération générale du travail (CGT) rangée dans la Confédération européenne des syndicats, soumise « aux disciplines européennes ». Et plus généralement, elle y déplora la fin depuis vingt ans du combat contre l’anticommunisme dont elle les estime responsable (il est vrai qu’à une certaine époque Les Lettres Françaises n’hésitaient pas à faire taire un Kravtchenko qui racontait son goulag!).
 

« La grande mission de l’"historienne" Annie Lacroix-Riz est donc, vous l’aurez compris, de convaincre de la nécessité de renverser un capitalisme mondialisé "de plus en plus exploiteur" qui serait en crise afin d’instaurer une société communiste. »


          Cette attaque contre le communisme est présentée comme une entreprise du « grand capital » et de ses relais qui va « instrumentaliser les intellectuels » en les entretenant et en les flattant pour donner un écho à leurs travaux. Elle dénonce là François Furet, Annie Kriegel, puis s’en prend à Stéphane Courtois et à son équipe pour Le Livre noir du communisme. Elle dénie le caractère historique de leurs recherches pour qualifier leurs travaux d’oeuvres de propagande. Elle conclut: « Une des tâches idéologiques d’aujourd’hui consiste à accompagner les luttes par une solide formation marxiste des militants, dimension historique comprise: cette formation suppose une connaissance réelle de l’URSS, faisant justice des tombereaux de sottises déversés avec efficacité depuis quelques décennies. Les intellectuels communistes, historiens notamment, devront s’y impliquer. »
 

Le génocide par la faim? Un bobard Vaticano-polono-allemand!

          Mais au fait, quelles sont ces sottises déversées sur l’URSS? La première selon Lacroix-Riz concerne la famine organisée en Ukraine. La « grande famine » d’Ukraine (c’est elle qui met les guillemets) est une campagne de propagande, un bobard vaticano-polono-allemand lancé en 1933. Réhabiliter l’URSS de Staline méritait bien qu’elle développe cette thèse auprès de ses étudiants, de la communauté universitaire et du grand public par site interposé notamment.

          Une thèse contraire au témoignage livré par Arthur Koestler dans « Mythe et réalité soviétiques » (Le yogi et le commissaire, 1969) au sujet d’un voyage en Ukraine lors de l’hiver 1932-1933, mais pour Lacroix-Riz Arthur Koestler, démocrate de gauche, était en réalité un agent des services secrets britanniques. Quant à Boris Souvarine, Raymond Aron, Jean-François Revel, ce furent des agents au service des Américains, bien sûr! Les historiens non marxistes s’étant penchés sur la question ne sont pas non plus de bonne foi: « Il est également permis de douter du sérieux des études conduites à Harvard, université essentielle dans la gestion idéologique de l’"empire" américain, notamment via ses centres d’activités "russes" gravitant autour du "Russian Research Center", et modèle de coopération avec la CIA et le FBI ». Enfin, les marxistes ayant renoncé à leur idéologie par confrontation avec le socialisme réel, cela n’existe pas selon Lacroix-Riz. Les renégats communistes parlent aussi d’un génocide qui n’a jamais existé tout simplement parce que ce sont des renégats. Effarant!

          Et pourtant, marxiste ou pas, un historien devrait savoir exploiter les sources soviétiques et notamment les rapports de la police politique. Un historien devrait aussi tenir compte d’autres travaux déjà réalisés sur ce drame à grande échelle, comme ceux particulièrement fouillés de Robert Conquest ou encore de Nicolas Werth.

          Face au négationnisme d’un génocide, ainsi qu’à la conception particulière et revendiquée de sa profession, des voix se sont légitimement fait entendre contre les menées de l’« historienne ». Les réseaux de Lacroix-Riz vont alors se mobiliser pour hurler contre l’atteinte à l’indépendance de l’université et de la recherche. Pour faire bonne mesure, ils se réclameront aussi de la liberté de pensée afin d’exiger par voie de pétition des mesures ministérielles contre les « attaques politiques ».

          On peut se demander comment Lacroix-Riz aurait répondu à une critique intérieure dans le système socialiste qu’elle appelle de ses voeux? Inutile de se poser bien longtemps la question, elle y répond elle-même par la pétition qu’elle a initié contre le pluralisme des médias au Venezuela: « nous croyons en la légitimité de la décision du gouvernement vénézuélien de ne pas renouveler la licence d'émission de RCTV qui expirait le 27 mai étant donné que la RCTV a usurpé son accès aux ondes publiques pour appeler à maintes reprises au renversement du président Hugo Chavez ». Notre éminente « historienne » Riz n’a-t-elle pas « usurpé son accès » à une fonction publique pour donner de l’écho à son négationnisme et faire la propagande de son parti? Comment peut-elle pétitionner pour condamner chez d’autres ce que ses amis considèrent légitimes pour elle, et comment ces amis là peuvent-ils signer en même temps une pétition pour la liberté d’expression ici tout en la condamnant là-bas? (On retrouve en effet parmi les signataires de ces deux pétitions Georges Gastaud, professeur de philosophie, Maurice Cukierman, professeur d’histoire et de géographie, Michel Collon, écrivain.)

          De toute façon les libertés universitaires ont des limites que la loi française a fixées et Lacroix-Riz elle-même n’a rien à y redire, au contraire, puisque dans le cadre du bulletin Informations Syndicales Antifascistes d’avril 2000, elle tient chronique de l’affaire d’un mémoire révisionniste à Lyon II. À ce sujet, elle déplore le fait que « dans l'enseignement supérieur l'autorité mandarinale, l'autonomie et les franchises universitaires freinent la lutte contre les théories d'extrême droite ». On comprendra donc le ridicule de la pétition envoyée par ses réseaux au ministre De Robien.
 

Au-delà du négationnisme de Lacroix-Riz, un axe coco-facho?

          Ces réseaux de soutien puissants et structurés font la démonstration de l’infiltration d’extrémistes au sein des plus hautes instances « intellectuelles ». La thèse négationniste de Lacroix-Riz s’alimente d’une vision paranoïaque de l’histoire dans laquelle les Américains tirent les ficelles contre des régimes de paix tels que l’URSS, la RDA, Cuba, la Corée du Nord. Cette thèse est donc, en réalité, une des parties émergées de l’iceberg conspirationniste.

          Il apparaît que derrière la volonté de réhabiliter l’histoire de l’URSS (donc Staline et le totalitarisme communiste), il y a cette diabolisation d’un « axe américano-sioniste » auquel il faudra imputer tous les malheurs contemporains. On ne s’étonnera donc pas qu’Annie Lacroix-Riz intègre le comité d’organisation d’Axis for Peace, une émanation du Réseau Voltaire, et fasse participer ses étudiants à des débats surréalistes dans le cadre de son DEA (projection du film État de guerre sous le patronage d’Attac et des théoriciens du complot du 11 septembre 2001). Notons d’ailleurs qu’outre Annie Lacroix-Riz, Axis for Peace compte des personnalités telles que Thierry Meyssan, Dieudonné, Michel Collon, tous admirateurs d’Hugo Chavez, ce nouvel espoir de la révolution socialiste à la sauce rouge-brun.

          Ces mêmes cadres d’Axis for Peace se retrouvent lors du spectacle de Dieudonné au Zénith le 18 décembre 2006 avec la direction du FN, où Dieudonné se distinguera en évoquant la liberté de la recherche de Robert Faurisson. Jean-Marie Le Pen aura lui-même suffisamment convergé avec cet Axe-là pour produire à la veille des présidentielles une déclaration surprenante à l’égard d’un soi-disant complot du 11 septembre. Annie Lacroix-Riz fera d’ailleurs une autre déclaration non moins surprenante pour la même élection en comparant Nicolas Sarkozy, « candidat favori du grand capital » à un sinistre personnage ayant pris le pouvoir dans les années 1930.

          Voilà donc pour les grandes lignes. Si vous croyez vous aussi à cette grande conspiration, alors vous ne verrez pas d’inconvénient à ce qu’Annie Lacroix-Riz donne de l’écho à ses thèses et forme les esprits en se finançant dans vos poches de contribuable. Par contre, si vous n’avez pas le désir de payer pour cela, que vous êtes indignés, choqués, ne restez pas passifs mais transmettez cet article à vos amis et à votre député en rajoutant ce que vous en pensez.