Montréal, 15 juin 2008 • No 257

 

OPINION

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 
 

EURO 10 ANS PLUS TARD: LA RUINE

 

par Michel de Poncins

 

          La fête règne en Europe pour célébrer le dixième anniversaire de l’euro avec des articles dithyrambiques dans la presse. Il faut freiner l’enthousiasme car l’examen objectif des faits oblige à constater que l’euro joue un rôle important dans la paupérisation de la France.

 

L’instauration

          Comme pour toute opération économique et financière d’envergure, il convient de comparer les investissements avec la rentabilité réelle. L’exercice est difficile car il s’agit d’un phénomène historique global touchant toutes les activités humaines. La comptabilité nationale, déjà si douteuse en elle-même, ne peut rien dire de valable. Quant aux comptes publics, nous connaissons leurs inexactitudes multiples qui leur ôtent toute validité et les divers mensonges qu’ils recèlent. Il faut donc rassembler des éléments épars et incertains.

          Voyons d’abord les investissements et ensuite les profits, s’il y en a, sans oublier les aspects négatifs qui sont nombreux.

         Les investissements sont constitués par les coûts de l’instauration de la monnaie unique. Personne ne les a recensé en totalité pour la raison principale que la statistique étant nationalisée et donc au service du pouvoir, personne n’avait intérêt à le faire. En plus, ces coûts n’apparaissent pas dans les comptabilités seulement sous forme d'investissements mais souvent sous forme de dépenses courantes. Ils sont logés soit dans des comptes publics, soit dans des comptes d’entreprise, soit dans les comptabilités personnelles.

          Voici une liste très résumée de la nature des dépenses engagées à l’époque: dépenses d’informatique, de publicité, de formation, impression des billets, frappe des pièces, probablement blanchissage d’argent sale, quantité innombrable de temps perdu, investissements dans les banques, les ministères, la communication, les assurances, les syndicats, le commerce, l’industrie et la police pour trimballer les billets tous neufs. Toute la vie nationale dans presque tous les domaines fut perturbée!

          Faute de pouvoir chiffrer la totalité, citons quelques évaluations qui furent données officiellement. Une évaluation raisonnable précisa que toutes les sociétés et entreprises de quelque nature, même les plus petites, durent investir 0,5% de leur chiffre d'affaires. Le cas des banques est particulier. Le coût de l’introduction de l’euro dans les systèmes financiers en France fut évalué couramment à 11 milliards pour les banques et à 29 milliards pour les marchés financiers: un total de 40 milliards. En Allemagne, des chiffres identiques ont circulé. Mais il s’agit d’un coût sec en quelque sorte. Il faut ajouter une proportion inconnue de frais dans tous les services et au niveau de la direction. Il ne serait pas étonnant que la réalité financière réelle soit au moins du double, voire du triple.

          Le ministère des Finances a adressé une brochure à tous les contribuables pour expliquer l'euro. Combien a coûté ce morceau de pure propagande très mensongère?

          Aux investissements visibles comme les matériels, le personnel et le temps, il faut ajouter des pertes d’argent multiples se produisant partout sous des formes diverses et variées.
 

La nature des dépenses

          Une autre remarque s’ajoute concernant la nature des dépenses. Une grande partie des investissements furent de nature publique. Dans un pays comme la France, qui est socialisé à plus de 60%, c'est particulièrement évident. Or les vrais économistes savent que les dépenses publiques sont, non pas quelquefois, mais toujours une cause de ruine puisqu’elles conduisent aux impôts et réglementations qui détruisent la richesse et en particulier l’emploi. Les entreprises qui ferment leurs usines ou leurs magasins pour parfois les transférer à l’étranger le font non par la volonté de leurs patrons, mais par la volonté des pouvoirs publics qui chassent littéralement les investisseurs hors de France par leurs dépenses. Tous les comptes étant mélangés, personne ne peut évaluer le nombre d’emplois détruits à cause des investissements étatiques sous formes de dépenses engendrées par l’euro. La seule certitude est que c’est beaucoup et que les dégâts correspondants ont augmenté considérablement l’investissement total.

          Un autre point de vue doit encore intervenir: le jeu du temps. Les financiers connaissent le rôle majeur du temps dans les phénomènes économiques et financiers. L’investissement total dans un projet doit prendre en compte l’étalement des investissements. Or, il y a longtemps que l’on parle de l’Euro: cela a peut-être vraiment commencé cinq ans avant sa création. Les dépenses pour sa création ont continué plusieurs années après la date fatidique. Il faut donc majorer le total des investissements du montant des intérêts composés pendant toute la période des investissements. Les personnes qui calculent les grands projets industriels sont accoutumées à ces calculs. Même si l’on prend un taux raisonnable de 3% par exemple, l’ajout nécessaire doit atteindre des chiffres fabuleux.
 

« Les économistes savent que les dépenses publiques sont, non pas quelquefois, mais toujours une cause de ruine puisqu’elles conduisent aux impôts et réglementations qui détruisent la richesse et en particulier l’emploi. »


          Quel chiffre total représente l’investissement de la France dans l’euro? Il est évidemment impossible de le connaître. Investissements publics, investissements d'entreprises, investissements personnels: tout se mélange et s’interpénètre. L'investissement total étant, bien que non chiffrable, absolument titanesque, il reste à évaluer les bénéfices retirés de la monnaie unique – s’il y en a – et les pertes – s’il s’en trouve – et l’on verra que c’est malheureusement le cas!
 

Les bénéfices

          Visons pour commencer les bénéfices qui étaient annoncés par la propagande et ont servi à convaincre, sinon les peuples majoritairement opposés à la création arbitraire d’une nouvelle monnaie, tout au moins leurs représentants.

          L’un des bénéfices visés pour les entreprises et la population était la diminution des coûts de transaction. Cette diminution devait, supposément, avoir un grand intérêt pour le niveau de vie. Remarquons que pour les entreprises, c'était parfaitement inopérant puisque l'informatique permet de toute façon avec ses développements extraordinaires de diminuer les coûts de transaction pour les grandes masses d'argent. Pour les particuliers, notons que c'est raté: les personnes qui encaissent des chèques venant de l'étranger constatent que les complications et les coûts sont toujours là aujourd’hui. Si, d’ailleurs, cette rubrique avait été un grand succès, elle n'aurait vraiment pas eu d'influence marquante sur la richesse générale et donc sur le niveau de vie. Il existe pour les voyageurs et seulement pour ceux-là une commodité qui est de voyager dans l’Euroland sans avoir à changer la monnaie: justifier le grand chambardement par cette seule commodité est à la limite du risible.

          Un autre bénéfice annoncé était de rendre la comparaison des prix plus facile avec toute l'Europe: mieux acheter et mieux vendre est une source de richesse. Là encore, il faut distinguer les entreprises et particuliers. Avec l’aide de l'informatique, les entreprises n'ont aucun problème pour comparer les prix en ouvrant tout simplement une colonne supplémentaire dans les documents et, de toute façon, la mondialisation oblige les entreprises de toute taille à se connecter avec le monde entier pour comparer les prix partout ailleurs indépendamment de l'euro. Quant aux particuliers, qui fera croire que pour l'achat d'une machine à laver nous allons comparer les prix à Düsseldorf ou à Barcelone avec ceux de Paris?

          Un autre avantage devait se trouver dans une plus grande facilité d'emprunter, en particulier par des taux plus avantageux résultant de l’existence d’une monnaie reconnue internationalement. La facilité d'emprunter d'une façon plus sûre est une source de richesse et le cas échéant de moindre coût. Sous cet angle, c'est raté. Le taux des emprunts en euros est dans l'ensemble plus cher que dans d'autres monnaies. Les circonstances historiques ont même été telles que la France s'est arrimée au mark dont le cours fut influencé par l'étrange façon dont l'unification allemande s'est réalisée. Les entrepreneurs français ont payé en quelque sorte l'unification allemande et il en est résulté une véritable action négative.
 

Les répercussions

          Après avoir évoqué de prétendus bénéfices – qui n'en sont pas – et même une action négative, l'on est obligé d'aborder de véritables désastres qui sont dus à l’euro d’une façon fort perceptible.

          Notons d'abord la perte des repères. Il nous avait été imprudemment annoncé que des centaines de millions d'habitants auraient un repère unique dans la tête sur tout le territoire européen et qui reposerait sur l'usage de la même monnaie. Or, en fait, ce fut une véritable perte des repères financiers pour tous. Nous avons tous des chiffres dans la tête: prix des appartements, des voitures et bien d’autres. Un calcul économique efficace et porteur de richesse implique comparaison et réflexion et nous avons été coupés de notre passé financier, ce qui est très grave pour la gestion. La perte qui en est résultée par les erreurs de gestion qui en ont découlé est inconnue. Si l’euro n’éclate pas en plein vol, la mise en ordre des repères peut durer une génération – souvenons-nous du nouveau franc, qui était simple à apprivoiser et qui a mis beaucoup de temps à être admis. Il est très comique de constater que quasiment toutes les banques dans une foule de documents indiquent encore aujourd’hui à coté du chiffre en euros le chiffre en anciens francs!

          Parlons de l’inflation. Il est clair pour tous que, dans la zone euro, il existe une forte tendance à l’inflation, sans que cette tendance et son effet sur la paupérisation puissent être mesurés tant c’est compliqué. Les vendeurs ont eu forcément comme réflexe de donner des « coups de pouce » aux prix quand c’était possible. Il s’est ajouté un facteur rarement mis en lumière. La fixation des parités initiales avec la monnaie de chaque pays fut une décision arbitraire ne pouvant en aucun cas correspondre à la réalité des prix consacrée partout par l’usage: il y eut nécessairement des moyennes de moyennes. Le désordre ainsi créé a facilité ces « coups de pouce ». La tendance inflationniste est telle aujourd’hui que la BCE ne lâche pas prise sur les taux et menace actuellement de les augmenter avec les conséquences que l’on sait.

          Vient maintenant un véritable ouragan dévastateur. Le parapluie de l’euro a permis, hélas, la poursuite de la ruine organisée par les pouvoirs successifs par le truchement des 35 heures et celui de la retraite à 60 ans, ainsi que d’autres folies ordinaires. Une monnaie indépendante aurait du subir des sanctions brutales conduisant à des révisions déchirantes. La paupérisation visible à présent de la France, avec toutes les calamités en résultant, vient largement de ce facteur. Monsieur Trichet lui-même, ne s’apercevant sans doute pas de l’aveu tragique qu’il prononçait, a déclaré il y a deux ans que sans l’euro la France n’aurait pas pu faire les 35 heures!

          Pour terminer, voici un autre et significatif aveu. Monsieur Giscard d’Estaing a écrit, le 12 novembre 1997, dans le Herald Tribune: « Je ne vois pas à quoi l'euro va servir sinon à perturber gravement le monde des affaires. À chaque fois que je pose la question de savoir si c'est une bonne chose de réaliser la monnaie commune, j'entends toujours la même réponse: il faut le faire parce que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'être laissés de côté. Les responsables des gouvernements portugais, espagnols et italiens m'ont tous fait cette réponse, sans m'apporter la moindre explication. Je n'ai jamais entendu sur ce problème que de mauvais arguments. » Si cette phrase condamnait le projet, cela n’a pas empêché son auteur de promouvoir l’euro quand son intérêt personnel l’y invitait!

          Investissements immenses, absence de profits réels et création de foyers de pertes, la « rentabilité » est négative en quelque sorte et il est légitime de parler de ruine.

          Selon Désinformation Hebdo, un rapport de Bruxelles, peu diffusé, vient de décrire en détail la catastrophe. Les trois premiers pays d’Europe pour la compétitivité sont la Suède, la Grande-Bretagne et le Danemark, pays en dehors de l’euro. La France, l’Allemagne et l’Autriche sont les lanternes rouges. Dans l’Euroland, l’inflation est relancée. Quant au prétendu rôle international, c’est la déroute.

          Pour faire bonne mesure, ajoutons que la création de l’euro est le type même de l’action révolutionnaire par laquelle un quarteron de politiques impose ses volontés propres à des millions de personnes au lieu de laisser jouer les marchés.

          Elle s’inscrit fort bien dans la mise en place accélérée d’un pouvoir totalitaire mondial, à forte connotation socialiste, dont l’Europe n’est qu’un élément, et qui vise à la disparition des nations.