Montréal, 15 août 2008 • No 258

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

DÉ(LIVRE)Z-NOUS DU MARCHÉ III

 

« Est-ce que l’édition va bien au Québec? Oui, nos ventes sont en légère hausse depuis deux ou trois ans. Est-ce que le livre, est-ce que la lecture se portent bien? Non. »

 

–Hervé Foulon, président des éditions Hurtubise HMH

 
 

par Gilles Guénette

 

          Au Québec, lorsqu'on n'est pas suffisamment compétitif et qu'on veut s'assurer des rentrées d'argent sans trop se forcer, on se tourne vers l'État et on réclame des quotas, des tarifs, des prix planchers, des taxes spéciales, des politiques d'achat local. C'est simple, correct et socialement accepté. C'est ce que viennent de faire deux joueurs importants du monde de l'édition, deux éditeurs littéraires et indépendants. En jeu, la survie de l'édition québécoise pour certains, la vente de beaucoup de bouquins pour d'autres.

 

Pourquoi pas 99.9%?!

          Le mois dernier, on apprenait que les présidents de deux grandes maisons d'édition montréalaises réclament une politique gouvernementale d'achat de livres québécois par les bibliothèques scolaires. Selon eux, les auteurs d'ici y sont sous-représentés par rapport aux auteurs étrangers. Les bibliothèques scolaires québécoises bénéficient pourtant, depuis 2005, d'un programme d'investissement de 40 millions $ du ministère de l'Éducation et de 20 millions $ de la part des commissions scolaires, qui sert à l'achat de livres neufs.

          Selon Jacques Fortin, président-fondateur des Éditions Québec Amérique, le problème, à l'heure actuelle, est que le gouvernement dépense son argent pour la littérature des autres. Pour sa part, Hervé Foulon, président des Éditions Hurtubise HMH, affirme qu'il faudrait instaurer une règle qui obligerait les bibliothèques à acquérir 50%, sinon 70% de livres québécois. Selon lui, 60 millions $ ont été investis pour acheter des livres, mais il faut regarder ce qu'on achète avec cet argent…

          Chaque année, il se publie 4 000 livres – dont 500 romans jeunesse – dans la Belle Province. À elles deux, Hurtubise HMH et Québec Amérique publient près de 160 nouveaux livres par année, répartis dans des domaines aussi variés que le livre jeunesse, l’essai, le roman grand public et le manuel scolaire. « Mais nous avons encore du chemin à faire, de dire Jacques Fortin. Seulement 35% des livres vendus ici sont des oeuvres québécoises, alors que ça devrait être au moins 50 à 60%. »

          M. Fortin ne mentionne pas sur quoi il se base pour dire que 50 à 60% des livres vendus ici devraient être des oeuvres québécoises, mais bon… Sans doute son côté éditeur qui parle. Quoi faire alors pour que les Québécois lisent plus « québécois »? Les sensibiliser davantage? Lancer une campagne « nationale » de promotion? Interdire la littérature étrangère sur tout le territoire?

          Certes, nos Don Quichotte de la culture n’envisagent pas forcer tout le monde à acheter « local » pour remédier au 35% de livres québécois vendus au Québec (du moins, pas pour l’instant), mais ils souhaitent que l’État force « nos » bibliothèques scolaires à acheter plus de livres d’auteurs d’ici pour meubler leurs rayons. Comme ces établissements nous appartiennent « collectivement », contrairement aux librairies, les éditeurs indépendants se sentent en droit de presser leur propriétaire – l’État – à jouer en leur faveur.
 

La réalité

          Un technicien en documentation, dont nous tairons ici le nom, nous écrit. Il dit travailler dans une bibliothèque « avec des syndiquées [noter l’emploi du féminin ici] qui comptent les jours avant leur retraite dans 15 ans! » Ses collègues (ou patronnes?) préfèreraient regarder les livres québécois prendre la poussière sur les tablettes plutôt que voir leurs subventions coupées pour non respect des normes. Elles veulent donc plus de subventions pour agrandir leur bibliothèque qui croule sous le poids des vieux livres et pour faire de la place à plus de nouveautés!

          Aux dires de notre ami technicien, le milieu dans lequel il travaille vient à peine de découvrir l'existence des clés USB et on n'y a pas mis Encarta à jour depuis 1998. C’est un milieu « retardé, gauchiste et méprisant envers la jeunesse et les gars. Rien pour aider la fréquentation des adolescent(e)s qui ne trouvent pas leurs comptes dans les six exemplaires du dernier tome de Quatre filles et un jean! »

          À son avis, « la Loi sur le livre n'encourage aucunement les auteurs québécois en égalisant les profits et en offrant toutes sortes de subventions aux éditeurs. Le Conseil des arts et des lettres subventionne la création littéraire, mais comme ce sont des comités de pairs qui décident, les auteurs les plus ambitieux qui auraient du succès notamment chez les jeunes sont boudés. Seuls les Michel Tremblay et Marie Laberge de ce monde, déjà fortunés, ont accès à ces subventions. Mais ça vous êtes déjà au courant! »
 

« Si la santé financière de leur entreprise est affectée positivement par une plus grande injection de fonds publics dans leur secteur, eh bien qu'à cela ne tienne! Ce n’est que pure coïncidence. »


          Oui. Mais j’ignorais par contre qu’Hervé Foulon – le président des Éditions Hurtubise HMH à l’origine de la demande de politique gouvernementale – est aussi membre du Conseil d'administration et président de la Commission du livre et de l'édition spécialisée de la Société de développement des entreprises culturelles (la SODEC), « le même organisme [gouvernemental] qui lui remet ses subventions pour la traduction, la promotion, le transport et l'exportation de ses livres à l'étranger ».

          Or, se demande notre correspondant, quand M. Foulon (de concert avec son ami Fortin) dit vouloir encourager les écrivains québécois en souhaitant un quota de 70% dans les bibliothèques scolaires, « veut-il vraiment encourager les auteurs d'ici où veut-il seulement pouvoir éditer plus de livres pour recevoir plus de subventions? »
 

Pour la culture!

          Meuh voyons! Comme vous êtes de mauvaise foi! Bien sûr qu’ils veulent vraiment encourager les auteurs d'ici. Les gens du milieu culturel québécois travaillent d’abord et avant tout pour le bien de notre culture nationale. Ils n'ont pas le profit en tête lorsqu’ils plaident publiquement en faveur d’un plus grand rayonnement de notre culture ou qu’ils siègent sur les CA des créatures de l’État chargées de redistribuer les fonds publics.

          Ce n’est pas un hasard si on retrouve des représentants de l’industrie du livre sur la Commission du livre et de l'édition spécialisée de la SODEC, mais ce n’est pas intentionné non plus! Comme on peut le lire sur le site de la société d’État, « L’originalité de la SODEC tient au fait qu’elle allie les compétences des milieux professionnels aux exigences de la gestion des fonds publics. Les membres de son conseil d’administration, nommés par le gouvernement, sont issus de chacun de ses domaines d’intervention. […] La SODEC est ainsi en relation permanente avec l’ensemble des milieux de la culture, ce qui est déterminant pour la qualité de ses interventions. »

          Les membres de chacun de ces domaines d’intervention ne sont pas impliqués dans la gestion des deniers publics pour tirer la couverture de leur côté – comme les membres de nombreux comités de pairs, pour profiter des renvois d’ascenseur –, ils le sont pour assurer une plus grande qualité d’intervention en faveur de la culture québécoise. Et si la santé financière de leur entreprise est affectée positivement par une plus grande injection de fonds publics dans leur secteur, eh bien qu'à cela ne tienne! Ce n’est que pure coïncidence.

          MM. Foulon et Fortin ne veulent pas vendre plus de livres, ils veulent que les jeunes Québécois qui fréquentent les bibliothèques scolaires lisent plus de livres québécois. Ils veulent que nos lecteurs aient accès à des histoires qui leur ressemblent. Des livres comme Indiana Jones: le guide complet (chez Hurtubise HMH): « Cet ouvrage illustré offre un aperçu détaillé des trois premiers films mettant en vedette Harrison Ford dans son plus célèbre rôle, celui de l’archéologue qui parcoure les 4 coins du monde à la recherche de trésors enfouis. », ou La Machine à orgueil (chez Éditions Québec Amérique): « Mado s'est pendue. Pour Jean-Pierre dit DJipi, c'est comme être frappé par un dix-roues. Un dix-roues rempli de dynamite. Sans-abris [sic] de luxe, cet ancien punk sur le déclin erre de beuveries en ligne de coke à la recherche du vide. Il ne veut plus rien, se fout de tout. Il voudrait mourir lui aussi, là, tout de suite. Si seulement il en avait le courage... »
 

Tous pour un…

          Le modèle littéraire québécois a fait ses preuves. Chaque année, il réussi à produire plus de 4000 titres. Un exploit en terme de quantité, mais surtout de qualité. Que tous ces livres ne trouvent pas preneurs n’est qu’un petit détail. Que la majeure partie de ces volumes soit vouée au pilon aussi. Tout le monde vous le dira: le concept d’offre et (surtout) de demande ne s’applique pas en culture. Ce qu’il faut, c’est faire exploser l’offre pour stimuler la demande.

          Alors, cher monsieur, un conseil: ayez foi en notre modèle. Dites-vous que tout le milieu travaille pour vous et vos enfants. Pour que vous puissiez vivre dans un monde meilleur. Un monde où ce n’est pas le marché qui seul décide de ce qui meublera votre tête et celles de vos enfants, mais des citoyens intentionnés comme MM. Foulon et Fortin. Des Québécois de surcroît. Abandonnez-vous! Et offrez-vous un bon livre québécois! ;-)
 

 

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