Montréal, 15 septembre 2008 • No 259

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

LES CONSERVATEURS VEULENT MOINS D'ÉTAT? L'ILLUSION ET LA RÉALITÉ

 

par Martin Masse

 

          Dans La Presse, le chroniqueur Vincent Marissal écrivait la semaine dernière:
 

          (…) ce que M. Harper a exposé hier, c'est sa philosophie profonde: moins de taxes, moins d'État, plus d'argent dans les poches des contribuables, moins de programmes fédéraux et moins d'interventions du gouvernement.

          (…) Stéphane Dion dévoilera d'ici 10 jours un programme typiquement libéral avec de nouveaux programmes sociaux, des sous pour la culture, pour les chômeurs, pour les régions et il bonifiera encore ces prochains jours son Tournant vert. M. Harper, de son côté, nous a posément expliqué hier que moins l'État interviendra, mieux le pays se portera. Économiquement et politiquement.

          Nous sommes ici devant un classique débat gauche-droite.

          Si seulement c'était vrai…! La réalité est beaucoup plus prosaïque.

 

Une orgie de dépenses

          Les conservateurs ont été au pouvoir pendant un peu plus que deux ans et demi et ont déposé trois budgets. Ils ont effectivement profité des surplus considérables légués par le précédent gouvernement libéral pour réduire la TPS de deux points et l'impôt sur les corporations de 22 à 15% (en 2012). Et à part ça? Pas grand-chose à noter sur le plan d'un retrait de l'État, outre l'importante déréglementation de l'industrie des télécommunications enclenchée par Maxime Bernier, qui continue d'ailleurs jusqu'à ce jour d'avoir des répercussions (cette décision récente du CRTC découle en effet des instructions en matière de politique données il y a deux ans par le ministre, qui obligent l'organisme à se fier le plus possible au libre jeu du marché pour atteindre les objectifs de la loi).

          Comme le rappelait toutefois le directeur de la Canadian Taxpayers Federation, John Williamson, le 11 septembre dernier, le ministre des Finances Jim Flaherty n'a pas utilisé les surplus uniquement pour réduire le fardeau fiscal. Il s'en est aussi servi pour procéder à une orgie de dépenses:
 

          Voters were initially assured a Conservative government would be fiscally responsible. The Tories have instead been reckless, embarking on a spending binge that hamstrings their ability to lower personal income taxes and reduce debt in the future. They have even managed to best Liberal Paul Martin's spending levels.



          While in office, Mr. Martin grew Ottawa by 14% over two years. The first two Conservative budgets increased the size of the federal government by 14.8%. This makes the Conservatives even bigger spenders. While the 2008 budget promised to moderate spending growth to 3.4% this fiscal year, it seems bribing voters with their own money remains a higher calling. The department of finance reported last month that expenditure receipts swelled an eye-popping 8.4% in the first three months of the year. This is two-and-a-half times the 2008 budget plan.

          Although they continue to claim they will hit their 3.4% expenditure target, the Conservatives have proven throughout their term in office that they cannot control spending. Consider the government's first budget: It called for Ottawa's expenditures to grow by 5.4% in fiscal 2006-07. At the end of that year, government receipts had jumped by 7.5%. The 2007 budget plan announced an additional 5.6% spending hike. The real amount in 2007-08 was a 6.9% increase. So much for responsible budgeting.

          Vous ne verrez évidemment ces chiffres nulle part, sauf dans la page opinion du Financial Post éditée par notre ami Terence Corcoran. À gauche en effet, il serait un peu embarrassant de reconnaître que les conservateurs sont aussi entichés des dépenses étatiques que n'importe quel gouvernement « progressiste », plus en fait que les gouvernements libéraux de Chrétien et Martin. On préfère répéter les idioties habituelles sur le démantèlement présumé de l'État. Ou bien on tente d’expliquer la chose en disant que « On sait bien, si ces chiffres sont vrais, ça doit être à cause des dépenses militaires qui augmentent très vite pendant qu'ils coupent dans le reste. » Ce qui est aussi faux: les conservateurs dépensent partout.
 

Il faut conserver les hausses de budget

          Selon les données du Conseil du Trésor, le budget du ministère de la Défense passera de 16,9 milliards $ en 2007-2008 à 18,3 milliards $ en 2008-2009, en hausse de 8,4%. C'est une augmentation rapide il est vrai, qui suit d'autres augmentations du même ordre depuis deux ans, mais qui ne dépasse pas de beaucoup la hausse générale des dépenses. Le montant additionnel de 1,4 milliard $ est de toute façon insignifiant comparé aux dépenses totales de 220 milliards $.

          Où s'en va donc notre argent, si ce ne sont pas les dépenses militaires qui expliquent la croissance des budgets? Cet autre tableau présentant les dépenses prévues cette année par secteur nous en donne une indication. (Notez que selon ces prévisions, les dépenses augmenteront de 4,9% cette année, mais on sait que les données réelles souvent toujours par dépasser ces prévisions, comme ce fut le cas lors des deux années fiscales précédentes.) On y apprend que les programmes touchant les affaires internationales, l'immigration et la défense (ces trois ministères sont consolidés dans un seul secteur) verront leur budget s'accroître de 7,8% cette année, soit encore une fois un peu plus que la moyenne.
 

« À gauche, il serait un peu embarrassant de reconnaître que les conservateurs sont aussi entichés des dépenses étatiques que n'importe quel gouvernement "progressiste", plus en fait que les gouvernements libéraux de Chrétien et Martin. »


          Ce sont toutefois les Services gouvernementaux généraux (qui incluent les transferts aux gouvernements territoriaux et les paiements de péréquation) qui subiront la plus forte augmentation, à 16,3%. Le bandit de grand chemin qui se montre très généreux entre les moyens brigands et les pickpockets, voilà sûrement un pas de géant vers l'État minimal! Suivent les transports, avec une augmentation de 12,3%, et les programmes touchant la sûreté et la sécurité publique, avec une augmentation de 11,7%. Les programmes touchant l'environnement et les ressources, de même que les programmes de soutien aux industries, aux régions, à la science et à la technologie, augmenteront de même tous plus vite que la moyenne cette année. Les programmes culturels n'augmenteront que de 3,9% – moins que la moyenne mais tout de même un peu plus que l'inflation, ce qui signifie une augmentation en termes réels. On est donc loin du saccage dénoncé par les parasites culturels.

          L'augmentation la moins forte (si l'on exclut la justice et la loi, dont les budgets vont diminuer) est celle des programmes sociaux, qui inclut les principaux transferts aux individus et aux provinces (l'assurance-emploi, les prestations aux aînés, le Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de programmes sociaux): 3,4%. Là encore, il faut mettre les choses en perspective. Ce poste budgétaire finance une bonne partie de l'État-providence canadien et compte pour une gigantesque portion des dépenses du gouvernement fédéral, soit 46%, ou 100 milliards $. Ce sont des dépenses relativement fixes, qui augmentent cette année au même rythme que l'inflation, de 3,3 milliards $, ce qui nous indique tout de même qu'il n'y a aucune coupure dans ces programmes en termes réels.

          Bref, presque tous les postes de dépenses augmentent plus vite ou aussi vite que l'inflation, ce qui explique la croissance de la taille de l'État en termes réels. Les dépenses militaires ne comptent quant à elles que pour une portion modeste de ces augmentations, soit environ 14% (le 1,4 milliard $ de hausse du budget de la défense dans le premier tableau sur les 10,2 milliards $ de hausse totale des dépenses dans le deuxième tableau).
 

Le triomphe de l’étatisme de droite

          À droite aussi, la presque totalité des partisans conservateurs préfèrent se fermer les yeux pour maintenir l'illusion. On se dit que ce gouvernement a tout de même annoncé des coupures courageuses des subventions aux parasites culturels (qui découlent en fait d'une révision automatique des programmes faite par les bureaucrates; le gouvernement se vante d'ailleurs de dépenser plus aujourd'hui pour la culture qu'il y a deux ans). Que s'il reçoit des électeurs un mandat majoritaire, il aura enfin les mains libres pour vraiment faire le ménage.

          Ah oui, comme cet autre étatiste de droite, George W. Bush, qui, nous le rappelle John Williamson, a augmenté les dépenses à un rythme annuel de 8,4% depuis le début de la décennie, ce qui bat tous les records. Et, ajouterais-je, qui procède en ce moment au plus gigantesque renflouement étatique d'un secteur économique dans l'histoire du monde en prenant le contrôle total des entreprises semi-privées qui subventionnaient l'achat de propriétés, Freddie Mac et Fannie Mae.

          Tiens, drôle de coïncidence: des augmentations de dépenses de 8,4% sous Bush depuis huit ans; une augmentation de 8,4% des dépenses sous Harper durant les trois premiers mois de l'année. C'est Gilles Duceppe qui a raison: Harper n'est qu'un clone de Bush! Ce sont tous les deux des « big government conservatives » qui disent une chose et font le contraire, qui achètent des votes à la pelletée avec l'argent des contribuables, et qui sont plus intéressés à consolider leur pouvoir qu'à mettre en pratique les principes auxquels ils disent croire.

          Il y a peut-être une logique à vouloir appuyer le moins pire des candidats pour faire avancer nos idées à petits pas, et dans bien des cas les promesses des conservateurs semblent mieux y correspondre que celles des autres partis. Mais il faudrait tout de même s'assurer de faire la distinction entre le discours et la réalité. Question de ne pas être trop déçu et d'avoir l'air stupide lorsque cette dernière nous rattrape.
 

 

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