Montréal, 15 septembre 2008 • No 259

 

OPINION

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 
 

LA MARGE DE MANOEUVRE

 

par Michel de Poncins

 

          Les larmes publiques continuent à couler sur le malheur des temps. Si ce n'était tragique, le spectacle pourrait être comique, avec, en prime, les visages tout sourire de la tribu innombrable des ministres sortant de graves débats et François Fillon qui, devant l'écroulement de la croissance, en appelle au sang-froid.

 

Situation délétère

          Les exportations baissent, le panier de la ménagère est de plus en plus coûteux, la compétitivité des entreprises est en diminution et l’inflation menace sans que l'on sache très bien la mesurer.

          Dans ce triste spectacle, le rêve du pouvoir est d'inventer de nouveaux « dispositifs »: ce terme est détestable, car il désigne de nouvelles lois s'ajoutant à la pyramide ingérable des lois précédentes.

          On néglige de remarquer que dans l’inondation de lois qui depuis un an furent votées par les princes, il y en a environ 60% qui ne sont pas applicables car les décrets-lois et circulaires ne sont pas sortis et ne sortiront peut-être jamais.

          Il faudrait également bien préciser qu’un des aspects du drame national est que justement une loi ne soit pas applicable sans décrets-lois et circulaires: cela veut bien dire que l'architecture des lois est tellement complexe qu'un texte ne peut jamais être complet en lui-même et applicable sur le champ, comme cela devrait être.

          Dans cette situation délétère, le pouvoir invoque à satiété la situation internationale qui, certes, n'est pas brillante, non seulement à cause de la crise financière, mais aussi à cause d'un ralentissement de la croissance dans le monde entier.

          Mais également, pour se justifier, il a répandu la légende de l’absence supposée de marge de manoeuvre et la presse aux ordres répète en boucle cet énorme mensonge: il est, en fait, soigneusement entretenu par ceux qui, au sommet de l’Etat, ne veulent surtout pas réaliser la rupture nécessaire et possible avec le socialisme.

          En fait, la marge de manoeuvre du pouvoir existe et, si elle était immense il y a un an après l’élection présidentielle, elle est encore intacte. En effet, elle se mesure très exactement au degré de socialisation de la société française. Celle-ci, sans être complètement communiste, est largement socialisée, probablement, à hauteur de 65% du PIB.

          Dans une telle situation, toute rupture avec l'étatisme, à condition d'être immédiate dans ses effets et massive dans ses résultats, libèrerait les forces productives; les acteurs économiques privés relèveraient la tête et recommenceraient à investir et à entreprendre; la spirale de la création de richesse permettrait de continuer la rupture sans s’arrêter remédiant ainsi à toutes les calamités: retraites, santé, éducation, chômage, etc.
 

Ailleurs

          L'exemple de certains pays qui se sont libérés, même imparfaitement, du socialisme montre l'extraordinaire effet de levier qui se produit grâce à la libération même partielle: voir les régions côtières de la Chine, bien d’autres pays asiatiques et la Nouvelle-Zélande.

          La rupture doit être immédiate; cela signifie que le « pouvoir libérateur » ne doit pas se perdre dans les méandres des lois, des décrets d'application, des circulaires et des contentieux. Ses décisions doivent être applicables sans délais et sans recours.

          Elle doit être massive: se contenter de diminuer des dépenses et des impôts est contre-productif, car la population ne voit rien venir. Il faut supprimer totalement telles ou telles dépenses, en commençant par les plus inutiles, les plus ridicules, disons-le, les plus idiotes.

          Parallèlement il est nécessaire de supprimer complètement tel et tel impôt, car l’effet psychologique s’ajoutera à l’effet mécanique: tous les impôts sont meurtriers par essence et il n’est pas difficile de choisir ceux dont la suppression totale peut avoir le plus grand impact sur la prospérité générale.
 

« Ne voulant surtout pas s’engager dans la rupture, [le pouvoir] s'est livré à des gesticulations législatives qui n'ont que des effets négligeables sur quelques catégories de la population et aucune conséquence sur la situation générale du pays.  »


          C'est tout le contraire de ce que le pouvoir a fait. Ne voulant surtout pas s’engager dans la rupture, il s'est livré à des gesticulations législatives qui n'ont que des effets négligeables sur quelques catégories de la population et aucune conséquence sur la situation générale du pays.

          Dans ce contexte, il ne faut pas s'étonner que les Français ne croient pas aux réformes. Ils n’ont pas vu le début du début d’une amélioration quelconque, constatant seulement la baisse de leur pouvoir d’achat. Tout roule comme avant, la pression des prélèvements obligatoires et des règlementations ne cessant de s’aggraver.

          Le rapport Attali, avec son « catalogue » de 316 mesures, est devenu une référence, citée d’une façon surprenante par le patronat; en confiant un rôle à un personnage ayant tant fait pour la paupérisation de la France lors de ses diverses fonctions, le pouvoir a montré qu'il ne croyait pas du tout à la possibilité d'inverser le cours des événements.

          En le laissant se livrer à de multiples parlottes accompagnées des fêtes habituelles pour délivrer un certain nombre de recettes censées sauver la France, il a montré également le peu de sérieux avec lequel il envisageait la situation. Qui peut croire que plus de taxis à Paris pourraient arranger les problèmes de la « veuve de Carpentras »?

          On a présenté, très vite après, 150 nouvelles mesures comme géniales et pouvant conduire à résoudre le problème de l'endettement de l'État; le manque de sérieux apparaît de nouveau, car le surendettement public n’est qu’une partie d’un tout.
 

Promesses

          Lors de la campagne électorale, il nous avait été promis de supprimer un fonctionnaire sur deux dès 2008; maintenant on vise l'horizon 2012 tout en tapant sur l’armée, ce qui est facile celle-ci ne se mettant pas en grève: de qui se moque-t-on?

          La dernière mesure présentée comme salvatrice est la généralisation du Revenu de Solidarité Active ou RSA, dispositif s'ajoutant à de multiples dispositifs antérieurs n’ayant servi à rien puisque justement il faut inventer un nouveau dispositif pour les corriger. Quant au financement de ce nouveau monstre bureaucratique il va, en frappant les capitaux, les chasser à nouveau hors de France alors que la solution des problèmes est justement dans l'épargne qui conduit aux emplois.

          Dans cette conjoncture, la presse toujours fidèle aux ordres salue le supposé génie d’un politique qui réalise le programme de l'opposition et s'étonne en même temps que cette opposition manque d’idées: tiens, tiens, c’est évident puisqu’un pouvoir prétendu de droite réalise son programme.

          Il est, cependant, utile d’expliquer pourquoi ce pouvoir n’utilise pas l’immense marge de manoeuvre à sa disposition pour réaliser la rupture que la France attend.

          Il y a au premier chef l’aspect idéologique. Les titulaires du sommet et pas seulement les ministres socialistes sont tous imprégnés de la culture étatiste depuis des lustres et cette culture est une glu dont il est difficile de se défaire. Personne dans leur « milieu » ne peut imaginer l’existence de la marge de manoeuvre signalée plus haut.

          Mais l’on retrouve la nécessité de la rigueur sous une forme dont personne ne parle. La prétendue opposition prévoit pour bientôt des mesures de rigueur frappant l’ensemble de la population et il est difficile de lui donner tort, tant que le pouvoir ne change rien en profondeur.

          Si la rigueur est nécessaire, ce n’est pas celle-là. En fait, la seule vraie rigueur, qu'impliquerait la rupture avec le socialisme et la liberté en conséquence, serait la rigueur vis-à-vis du personnel du sommet et des compagnons de route.

          J’ai montré souvent que les avantages personnels indus que s’octroient abusivement l’ensemble de ces personnages représentent grosso modo 5% du PIB et expliquent en grande partie la paupérisation de la France.

          Si l'on veut rendre aux Français leur richesse, il faut que le président, son entourage et l’entourage de l’entourage se sacrifient eux-mêmes sur l'autel de la rigueur et donnent l'exemple en rognant très largement leur propre train de vie personnel.

          La rupture serait alors la respiration pour l’ensemble du peuple français et la rigueur pour le sommet. Si le sommet ne comprend pas cela, il y aura des réveils douloureux pour tous.