Montréal, 15 novembre 2008 • No 261

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

LA CHANSON FRANCOPHONE EN CRISE: NEXT!

 

« On aime nos artistes, en autant que ça ne nous coûte pas une cenne pour les voir, qu'ils présentent leur spectacle dehors, l'été, et que la bière est froide... »

 

–Richard Martineau,
Le Journal de Montréal, 25 septembre 2008

 
 

par Gilles Guénette

 

          Au Québec, les crises se suivent comme les saisons. Et les secteurs de l’économie les plus souvent touchés ont tous quelque chose en commun: ils dépendent largement des fonds publics. Plus l’État intervient dans un secteur, plus les chances d’y voir se matérialiser une crise (réelle ou fabriquée) sont grandes. Cette dynamique de la crise n’épargne évidemment pas le secteur de la culture. Que ce soit le livre, le cinéma, la télévision, la danse, tous les secteurs culturels y sont passés, y passent, y repasseront. Ces temps-ci, c’est la chanson francophone qui vit la crise. Vite, un programme!

 

Rien ne va plus

          Au lendemain du gala de l’ADISQ, diffusé le 2 novembre dernier, Nathalie Petrowski écrivait ces quelques lignes dans La Presse:
 

          …dans 30 ans, je me demande bien ce que nous retiendrons du gala de dimanche lancé à train d'enfer et dont l'ambiance délicieusement survoltée donnait l'impression que la grande famille de la musique était au sommet de sa forme et plus prospère que jamais. L'immensité du Centre Bell et l'énergie de la foule de 10 000 personnes ont de toute évidence contribué à créer l'illusion que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais autant dire que l'illusion était aussi parfaite que mensongère.

          Non seulement ça ne va pas bien sur le plan des ventes de disques comme de spectacles, mais tout semble indiquer que le déclin va s'accélérer avant de diminuer. Pourtant, pendant les trois heures du gala, je n'ai pas entendu le moindre cri d'alarme, appel au secours ou déclaration de guerre de la part des artistes ou de leurs producteurs. Personne n'a évoqué la possible disparition du CD à la faveur d'un téléchargement généralisé. Personne ne s'est insurgé contre le piratage. Personne n'a fait d'appel de phares ou fait de mises en garde à James Moore, le nouveau ministre de Patrimoine Canada. (« Trente ans plus tard... », 4 novembre 2008).

          Ce à quoi la chroniqueuse faisait référence lorsqu’elle écrit que « ça ne va pas bien sur le plan des ventes de disques comme de spectacles », ce sont les récentes données de l'Enquête sur la fréquentation des spectacles au Québec de l'Observatoire de la culture et des communications qui révèlent que la fréquentation des spectacles de chansons francophones est en baisse au Québec et que les ventes de CD poursuivent leur long et tranquille déclin dans le marché québécois.
 

Au-delà des chiffres

          Ainsi, on apprenait le mois dernier que l'assistance aux spectacles de chansons francophones a chuté de près de 12% en un an. Et que même s'il y a une hausse de l'offre, les chanteurs francophones québécois ont perdu plus de 136 000 spectateurs durant cette période. À l'inverse, l'assistance aux spectacles de chanson anglophone a augmenté de 10% entre 2006 et 2007. « Cette hausse anglophone était prévisible, explique Claude Fortier, responsable de l'Enquête de l'Observatoire. Mais on s'explique mal la baisse d'assistance de la chanson francophone. Les gens font peut-être des choix différents et leur budget est limité. »



          À l'ADISQ, on s'en doute, on est sur mode « panique ». On qualifie la situation de « très préoccupante » d'autant plus que les ventes de disques au Québec pour les sept premiers mois de 2008 ont chuté de 15%. « La baisse du disque affecte le spectacle, explique la vice-présidente Solange Drouin. Et quand on décortique les chiffres, on s'aperçoit que la chanson francophone baisse dans les petites et moyennes salles, alors que normalement celles-ci présentent la relève. » Et comme par réflexe, l'ADISQ se tourne vers le gouvernement et lui demande d'intervenir pour appuyer l'industrie. Selon l'association, le milieu fait face à une « spirale descendante » et l'heure est à l'action.

          Pour ce qui est de la baisse des ventes de disques plus spécifiquement, Le Mensuel de l’ADISQ nous apprenait aussi qu’« au cours des sept premiers mois de 2008, les ventes d’enregistrements sonores sur CD ont reculé de 15% par rapport à la même période l’an dernier, cumulant ainsi quatre années de baisses consécutives. Les ventes de musique numérique ont pour leur part augmenté de 60%, mais cette croissance n’est toutefois pas suffisante pour compenser la baisse des ventes sur supports traditionnels. Rappelons que la part du numérique dans le marché total de la musique, au Québec, n’était évaluée qu’à 1,6% en 2007. »
 

« Lorsque les porte-parole de la culture vous parlent de la disparition du CD à la faveur d'un téléchargement généralisé ou des terribles répercussions du piratage sur la vie des artistes, dites-vous qu'ils sombrent dans la démagogie. »


          Ce qui faisait écrire à Alain Brunet, chroniqueur spécialisé dans le domaine de la musique à La Presse, qu’« on aura beau dire que le CD connaît une fin plus douce au Québec que dans les grands marchés du monde, ces statistiques récentes indiquent néanmoins qu’il sera rattrapé par son destin. Depuis la mort annoncée du CD physique, c’est-à-dire au tournant de cette décennie, le marché québécois a été protégé par ses propres consommateurs, qui ont consciemment freiné leur transition dans l’univers numérique lorsqu’il a été question de télécharger les produits québécois. Ce n’est plus tout à fait le cas. »
 

Introuvables

          Protégé?! J'ignore où il prend cette idée que les consommateurs québécois ont « consciemment freiné leur transition dans l’univers numérique lorsqu’il a été question de télécharger les produits québécois »? Avez-vous déjà tenté de télécharger du matériel québécois illégalement?! N’importe qui ayant tenté la chose vous le dira: il y a beaucoup d'artistes de la Belle Province qui sont introuvables. On commence à peine, ici et là, à pouvoir télécharger en toute légalité des chansons à l'unité...

          Alors lorsque les porte-parole de la culture vous parlent de la disparition du CD à la faveur d'un téléchargement généralisé ou des terribles répercussions du piratage sur la vie des artistes, dites-vous qu'ils sombrent dans la démagogie. Parce qu’ils savent très bien – ou les enfants des plus vieux en tout cas le savent très bien – que la musique québécoise n’est pas vraiment touchée par cette réalité. Et ce n’est pas parce que les Québécois ont décidé, par solidarité, de freiner leurs ardeurs.

          Les problèmes qu’éprouve la musique québécoise francophone se situent donc ailleurs. Peut-être est-ce parce que l’offre ne rejoint pas la demande? Comme c’est souvent le cas lorsque des fonds publics sont impliqués – qu’on pense au secteur du livre qui publie chaque année 4000 titres, dont la plupart finissent sous le pilon –, beaucoup de CD offerts ne trouvent pas preneurs. Bien sûr, les artistes « underground » d'aujourd'hui sont souvent les artistes « mainstream » de demain, mais l’offre québécoise est peut-être trop axée sur les artistes dont les produits ne répondent qu’à une infime partie de la population. (Cela expliquerait la propension des artistes d'ici à faire dans le disque ou le spectacle « collectif ». Les artistes, incapables de générer un intérêt suffisant, se regroupent et participent à des disques/concerts hommage.)

          Peut-être se fait-il trop de produits pour la taille du marché – pour reprendre l’argument préféré des intervenants du milieu: celui de la taille du marché, pas celui qu’il y a trop de produits… Parce que si la plupart des livres finissent sous le pilon, qu’advient-il de la plupart des disques? Y a-t-il un « pilon » pour les disques? Une sorte de gros four dans lequel on les fait fondre pour en fabriquer d’autres? Sans doute.

          De plus, bien des Québécois estiment peut-être ne pas avoir besoin d’acheter des disques, tellement la radio fait tourner de musique québécoise. C’est vrai, grâce à notre fameux système de quotas digne de l'ex-Union soviétique, les stations sont obligées de faire tourner 65% de musique francophone aux heures de grande écoute. Quelqu’un qui aime le son québécois le moindrement est bien servi.
 

Gratuité oblige

          Va pour les CD, mais comment expliquer que la popularité des spectacles est à la baisse, alors? Hmm… Pour toutes les raisons susmentionnées et aussi parce qu’à force de se voir offrir des concerts « gratuits », c'est-à-dire, payés par la collectivité – n’allez pas croire que les artistes sont si généreux qu’ils donnent leur art! –, les gens en sont venus à se dire « Pourquoi débourser pour des billets quand on peut voir le spectacle gratis? » Ils ne sont pas fous. Leur budget étant limité, ils font effectivement des choix différents et mettent leur argent ailleurs.

          Ils le mettent dans des iPods, des voyages, des soupers au resto, une nouvelle télé à écran plat, de nouveaux vêtements, etc. La culture est tellement partout et gratuite (les festivals, les films, le musée, l’autobus pour s’y rendre…), que le consommateur a moins besoin de débourser d'argent pour combler ses besoins en chanson québécoise. Dans leur effort de « démocratisation de la culture » (concept bidon qui en fait veut dire « faire payer ses sorties et produits culturels par la masse »), nos politiciens ont fait en sorte que les Québécois croient de plus en plus que la culture québécoise doit être gratuite – donc, qu’elle est sans valeur. Bravo.

          Comme l’écrivait Richard Martineau durant la récente crise (!) du financement de la culture par les conservateurs, « consommer de la culture, ce n'est pas seulement écouter Rire et délire à TQS ou manger un hot-dog sur le site du Festival de jazz ou du Festival d'été de Québec en reluquant le cul des filles qui passent devant le kiosque Budweiser. […] C'est AUSSI acheter un billet de spectacle. Vous savez, les bouts de carton que les gars déchirent à l'entrée de la salle? » Semblerait que le concept soit de plus en plus abstrait pour de plus en plus de monde.
 

 

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