Montréal, 15 décembre 2008 • No 262

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

COMMENT LES BANQUES CENTRALES MANIPULENT-ELLES LA QUANTITÉ DE MONNAIE?

 

par Martin Masse

 

          On parle beaucoup ces derniers temps de façon un peu abstraite de la manipulation des « leviers monétaires » par les banques centrales, qui sont au coeur des interventions massives des États pour contrer la crise économique. Bien peu de gens savent toutefois de quoi il s'agit de manière plus spécifique et concrète. Voici un résumé rapide de ces principaux leviers.

 

          Ce qui détermine en bout de ligne la valeur relative de la monnaie, c'est la quantité qui est en circulation. Le principal moyen qu'ont les banques centrales d'accroître ou de diminuer la quantité de monnaie en circulation à long terme est l'achat ou la vente de bons du trésor, c'est-à-dire des titres de dette des gouvernements. Elles ne les achètent plus directement des gouvernements mais plutôt des banques commerciales qui elles-mêmes les avaient achetés des gouvernements lorsque celui-ci les émet pour financer son déficit budgétaire courant (s'il y en a un, ce qui n'est pas le cas au Canada depuis une dizaine d'années, mais l'est aux États-Unis) ou refinancer sa dette qui vient à échéance.

          En achetant des bons du trésor aux banques commerciales, la banque centrale obtient un titre de dette et dépose dans le compte de la banque commerciale le montant correspondant. Cet argent est « créé » à partir de rien, ce que la banque centrale peut faire autant qu'elle veut (même si l'on fait souvent référence à la « planche à billets », il s'agit d'un montant apparaissant dans un compte électronique, et pas nécessairement de papier-monnaie qu'on imprime, ce dernier ne constituant qu'une petite partie de la masse monétaire existante, celle qui est utilisée dans les transactions quotidiennes). Elle « monétise » ainsi la dette du gouvernement et gonfle la « base monétaire », qui est la définition la plus restreinte de la masse monétaire.

          Cet argent sert par la suite de réserves aux banques commerciales, qui peuvent multiplier le nombre de prêts qu'elles font selon le système des réserves fractionnaires, de même qu'en « titrisant » les prêts – en les vendant à d'autres comme s'il s'agissant d'un investissement – et en les plaçant ainsi « hors bilan », ce qui permet de gonfler encore davantage la masse monétaire selon une définition plus large (il faudra revenir sur ces mécanismes; le point à retenir ici est qu'ils s'ajoutent aux manipulations de la banque centrale pour faire gonfler la quantité de crédit).

          Inversement, si la banque centrale souhaite diminuer la masse monétaire, elle vend des bons du trésor. Elle retire ainsi de la circulation l'argent que les banques lui donnent en guise de paiement, un argent qu'elle peut faire disparaître de la même façon qu'elle l'a créé.

          Le phénomène nouveau est que la Fed n'achètera plus uniquement des bons du trésor, mais aussi, comme on l'a annoncé à la fin du mois de novembre, toutes sortes d'autres titres adossés à des dettes hypothécaires et autres. Cela lui permet d'« injecter des liquidités » (l'euphémisme favori des parasites du milieu financier pour exprimer l'action de « créer de l'argent à partir de rien », une expression qui soulève moins de doutes sur la légitimité et la responsabilité d'une telle intervention) plus directement dans des secteurs spécifiques, comme les prêts hypothécaires et autres, de façon à soutenir le crédit et la consommation. Les banques commerciales ne sont en effet pas obligées de prêter autant qu'elles le peuvent. C'est pourquoi les gouvernements et les banques centrales ont recours à des moyens plus directs pour gonfler le crédit.

          L'achat de titres n'est toutefois pas la seule façon de gonfler la masse monétaire. Lorsque la crise a commencé l'année dernière, on parlait régulièrement des « facilités » spéciales mises en place pour prêter aux banques. Une banque centrale est en effet selon la théorie conventionnelle un « prêteur de dernier recours » (qui ne devrait pas exister puisqu'il ne fait qu'alimenter l'irresponsabilité, mais c'est un autre débat). Lorsque les banques commerciales sont en difficulté parce qu'elles n'ont pas assez de réserves liquides pour répondre à leurs besoins, elles peuvent ainsi emprunter des fonds à court terme des autres banques et de la banque centrale.
 

« Une banque centrale est en effet selon la théorie conventionnelle un "prêteur de dernier recours" (qui ne devrait pas exister puisqu'il ne fait qu'alimenter l'irresponsabilité, mais c'est un autre débat). »


          Les taux d'intérêt fixés régulièrement par les banques centrales servent justement à déterminer le coût de ces prêts. Dans le cas de la Fed (le principe est le même partout mais les mécanismes ne sont pas exactement les mêmes au Canada et ailleurs), le Fed Funds Rate détermine le taux auxquels les banques peuvent se prêter d'une journée à l'autre les réserves de trop placées dans les coffres de la Fed dont elles disposent. C'est le principal taux d'intérêt qui est rapporté dans les nouvelles financières. Il s'agit d'un taux cible, pas nécessairement celui du marché, mais la Fed va utiliser ses autres « leviers » pour injecter ou retirer de l'argent et ainsi manipuler la quantité de réserves détenues par les banques pour que le taux du marché rejoigne le taux qu'elle fixe.

          La logique est relativement simple: plus le taux est bas, moins il est coûteux d'emprunter, et plus le crédit devient facile. Lorsque le taux (qui est pour des prêts à très court terme) de la banque centrale baisse, on s'attend à ce que les banques commerciales baissent leurs autres taux à moyen et long terme. Les emprunteurs deviennent plus nombreux, empruntent plus, et la masse monétaire augmente. À l'inverse, si le taux augmente, il devient plus coûteux de s'endetter et la masse monétaire aura tendance à se contracter.

          Il existe un second taux, le Discount Rate, qui est celui des fonds empruntés directement à la Fed par les banques commerciales. Il ne s'agit pas d'un taux de marché, puisque la Fed est le seul prêteur. Ce type d'emprunt était moins utilisé ces dernières décennies mais il semble qu'il joue de nouveau un rôle important puisqu'il permet à la Fed encore une fois de contrôler plus directement l'injection de fonds dans les banques, en augmentant ou réduisant son taux.

          Les fameuses « facilités » sont une façon additionnelle de prêter aux institutions financières. L'année dernière, les banques centrales de la plupart des pays ont mis en place des « enchères » de liquidités, à coups de dizaines de milliards de dollars, mois après mois. Les banques ayant besoin de liquidités (à cause de prêts insolvables et d'investissements douteux gigantesques dans le fameux papier commercial et les titres adossés aux subprimes qui grugeaient leurs réserves) pouvaient offrir des titres en garantie (collaterals en anglais) aux banques centrales, et celles qui offraient les paniers de titres les plus avantageux recevaient en échange des fonds correspondant à la valeur nominale (at face value) de ces titres.

          Évidemment, la crise était due au fait que la valeur nominale de ces titres ne correspondait plus du tout à leur valeur réelle. Concrètement, tout ce qu'on faisait était donc de transférer le risque d'investissement à la banque centrale (c'est-à-dire à nous tous) et de permettre aux institutions financières ayant fait ces investissements de s'en sortir indemne. Du point de vue de la logique interventionniste (keynésienne et monétariste) visant à soutenir le crédit, on permettait ainsi aux banques de se débarrasser de mauvaises créances et d'avoir des réserves fraîches de liquidités à prêter de nouveau.

          En théorie, tous ces fonds empruntés à la banque centrale par les banques commerciales (par opposition à la situation où la banque centrale achète des bons du trésor) doivent être éventuellement remboursés. Ils n'augmentent donc la masse monétaire que temporairement. C'est ce qu'on nous disait l'an dernier pour expliquer que ces emprunts n'auraient pas d'effet inflationniste, puisque les banques centrales allaient s'en débarrasser dès que la situation reviendrait à la normale.

          Sauf que la banque centrale peut renouveler indéfiniment un prêt ou garder indéfiniment des titres placés en garantie et ne jamais exiger de remboursement. Dans ce cas, l'effet est le même que si elle les avait achetés, et la masse monétaire augmente d'autant. Cela a aussi l'effet pervers de renflouer les institutions qui avaient fait ces investissements imprudents, ce qui n'est pas le cas lorsqu'elle achète des bons du trésor de la manière traditionnelle.

          Il existe d'autres moyens encore plus obscurs et moins importants de manipuler les réserves des banques et d'augmenter ou de réduire la masse monétaire, mais en gros, ce sont ces mécanismes auxquels on a recours depuis le début de la crise actuelle.
 

 

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